Archives de catégorie : Récits

pourquoi tu meurs ?

Les métamorphoses s’enchaînent, nos perceptions sont troublées, terra incognita, qu’est-ce qu’on est fatigué.
Qu’est-ce qui nous est tombé dessus ?
L’effondrement ?

D’abord, c’est un groupe de vieux bonshommes qui se présente.
Tu ignores complètement leurs plaisirs et quêtes – tu repères la quête d’un discours déjà commun, de plaisirs déjà connus communs, de bien-être très communs connus.
Tu entends les mots vidés de sens, révolutions tendues comme les mains d’un Christ avant ou après la passion.
Celle qui dit : Hollande aurait fait un très bon candidat.
Ceux qui donnent des petites leçons de convention.
« Contre toute attente, Hollande aurait fait un très bon candidat. »
Celui qui dit : vous autres, qui pensez qu’on peut accueillir toute la.
Qui dit : il y a des cycles, il y a des courbes. Pour l’économie, la courbe ceci. Politique, la courbe cela. La gauche : on est dans le bas de la courbe, il n’y a qu’à attendre.
Il n’y a pas chez nos bonshommes de cynisme dans l’attente de la remontée magique ou spontanée de la courbe ni de grandes idées ni aucune vision, jamais de mini Apocalypse, jamais d’effondrement.
Pas une imagination.
L’effondrement n’a pas eu lieu ou ils ont oublié.
Ici, pas de catastrophes, des tristesses mesurées, sans tragique sans complainte.
Entendre : il vaut mieux ça. Elle n’a pas eu le temps de souffrir.
Il est parti dans son sommeil, peut-on rêver mieux.
Ranger chaque chose dans les coins les recoins les encoignures.
Saturer l’espace de meubles.
Les jungles dans les villes, trop dangereux, pense aux conditions de vie des enfants.
Ceux qui savent comment faire avec l’administration et ils font ; avec les power point et ils.
Bien sûr un jour chez l’ophtalmo : c’est bizarre, vous avez perdu tant de vision, on ne voit pas bien ce qui explique.
Ce sont mes vertiges, en ce moment, je prends du.
Et du.
C’est quand même bizarre, tomber comme ça.
Maman peut plus faire de vélo.
Non rien.
Je n’ai jamais manqué un jour de travail.
Sera un bon candidat, crois-moi.
Toutes ces images de destruction massive, crois-moi on ne peut pas savoir, rien ne prouve, tant que j’ai pas les cadavres sous les pieds je.
Et comment tu veux séparer le bon grain de l’ivraie, ce monde-là c’est plein de religieux alors quand on a un chef d’état un peu autoritaire mais laïc ça s’appelle un moindre mal.

Qui semblent mais on peut se tromper coeur sec ne rien attendre d’autre que leçons et plaisirs de convention, bonne table, chalet pour trois familles, week-end en Normandie où j’ai acheté un bien à la mort de maman, un voyage, attention je ne fais pas de tourisme, je pensais pas que j’aurais supporté qu’il ait quelqu’un, d’ailleurs il l’a compris, c’est jamais gagné mais on est partis à Venise, ça a été comment dire, enfin on ne peut pas tout balancer pour.
On peut pas pour.
Balancer tout pour.

Arrive un autre groupe, un groupe déjà vu, un groupe à talonnettes, un groupe vu revu, vu dans les histoires d’autrefois, celles qu’on lisait, pas les meilleures des histoires qu’on lisait.

Un groupe dans lequel il y a des agents secrets. Agents qui agissent. Et secrets qui secrètent. Les agents secrètent et portent des valises entre les hommes qui sont d’accord les uns pour donner et les autres pour prendre. On ne trouve pas dans ce groupe l’hypocrisie de ne pas prendre ni la cupidité de ne pas donner – le tout c’est d’y aller avec l’air de ne pas y toucher. Il faut dire que pour ce groupe-là prendre n’est pas prendre et donner pas donner. C’est un groupe serré, un groupe haletant très mourant, un groupe qui ne sait pas bien qu’il est mourant parce qu’il marche à grands pas dans les couloirs des aéroports, parce qu’il marche à grand pas dans les palais modernes les riad les hôtels à hectares les savanes les fjords parce qu’il marche à grands pas ou court en baskets par dessus les criques et les garrigues.
Enfin tout le tintouin.

Les valises portent des millions et des millions de millions. Il y a des géographies qui séparent les hommes qui donnent et les hommes qui prennent les valises, on trouve des émissaires pour aller des uns aux autres, les émissaires sont des sortes de traîtres, de gros malins d’aventuriers, dans le groupe ce sont ceux qui roulent les mécaniques et tiennent les fils des récits les plus croustillants mais pour ne pas finir dans les eaux du Danube à la fin de l’histoire ils ont une idée, ils parlent : tout dire trahir une fois pour toutes sans état d’âme les hommes qui donnent et les hommes qui prennent pour que les hommes qui prennent sans hypocrisie comme sans scrupules ne puissent pas créer l’accident ou l’empoisonnement sans scrupules – si ce n’est sans hypocrisie.

Ne puissent pas créer l’accident sans attirer la curiosité des officines de journalistes aux aguets, il a parlé et a fini dans les eaux du Danube ?
Hum hum.
Parler mais pas pour dire – pour vivre.
Quant aux concurrents des candidats : s’ils ne laissent rien filtrer qu’ils ont bien connu bien connu les mêmes émissaires – qui sait pour quelles valises.
Parler si haut si fort que personne ne me croira, n’est ce pas.
Le groupe à talonnettes à riad yacht à millionnaires à phrases affutées dût-on déclencher des guerres, dût-on déclencher des guerres, des guerres contre phrases affutées ciblées qui emportent tout sur leur passage, des guerres pour planquer les valises, des guerres à ensanglanter le Moyen Orient, le groupe à talonnettes n’est pas trop inquiété.

Troisième groupe.
Ce troisième groupe n’est pas vraiment un groupe, c’est une séquence qui passe, pas une séquence mais un ensemble, c’est un ensemble de phrases, de ces phrases qui volent loin de ce qu’elles disent.

Ce qu’on veut dire n’est pas grand chose, c’est même nul en contenu, le truc c’est que le discours est bâti par algorithmes, l’auditeur spectateur réagira comme ci à tel mot, comme ça à tel autre, tel mot répété tant de fois dans les espaces ou fenêtres de paroles, télé radio tweets journaux meetings, compte compte, dans les phrases pointent les mots qu’il faut dans l’ordre et le désordre, bippe bippe, dans les phrases sans contenu le truc très gros grossier surgit – ou selon algorithmes et calculs experts ce qui va faire rêver l’auditeur spectateur.
Ou ce qui va le choquer.
Re-re-découverte de la rhétorique du choc ?
De comment la langue informe le réel ?
Ce qui choque, attrape, saisit.
Te prend.
Pas la valeur du mot tel qu’en lui-même, le mot en ce qu’il a de plus laid et vulgaire.
Donald Trump je ne sais quoi.
Les pains au chocolat.
Les phrases qui volent par dessus ce qu’elles disent, vieilles comme le monde.
Vieilles comme des émissaires à valise.

Ces groupes qui pensent qu’ils n’ont rien à voir avec la mort, pensent qu’ils n’ont rien à voir avec la mort, pensent qu’ils sont la vie, pensent qu’ils tiennent à la vie tandis que les lions d’Irak et du levant tiennent à la mort, ils ne peuvent pas la voir, la mort, en peinture, pas besoin de peinture, ils regardent les lions d’Irak et du levant il exceptent les lions partis en Irak au levant, ils exceptent c’est à dire ils en font des exceptions et bientôt dans le miroir se regardent lions se regardent agneaux cornus rugissant comme lions, ils sont par elle, la mort, attrapés, sont par elle, la mort, fascinés, considèrent les lions lions c’est tout, à enfermer côté lions et bourreaux une fois et pour toutes, la mort fait l’événement, tout type de mort fait l’événement car les mots ne font plus, rien ne fait plus ni la maison en Normandie ni l’exotisme éthique, les discours et plaisirs communs connus ne font plus, les lumières dollars et pacotilles ne font plus, alors c’est devenu dans la bouche des groupes qui défilent devant nous un cri aussi secret que l’agent : viva la muerte.

Il en reste, des groupes à voir venir.
Ici, le groupe de ceux qui sont prêts à donner leur vie.
Qui sont prêts à donner leur vie ?
Prêts à ?
Donner leur vie ?
Ou s’y résolvent, contraints, pour sauver un pays ?
Un gamin ?
Un gamin, une idée ?
Un pays ?
Le boulot qu’il faut faire pour qu’une idée ou un pays soit à toi.
Le gamin c’est autre chose.
Le gamin c’est l’exception.
Tu cours, fuis, le sauves.
Tu prends une arme, acceptes de tirer et d’être tiré.
Tu verras bien. Tu prends les camions, les déserts, les plaines, les mers.
Tu verras bien.

Quelle que soit la chose qu’on met au niveau du gamin on court toujours gamin dans les bras et vieux père sur le dos, c’est à dire un pays et la liberté et un vieux père sur le dos.

On fabrique invente, si on tire ou si on est tiré c’est slalomant à travers obstacles, embuches, inventant le trajet, si on tire ou si on est tiré.

Ce rien qui nous habite qu’une pulsion violente mal transformée dynamite.
Mais rien c’est rien – et rien ne peut venir de rien.
Rien ou une petite chose des débuts, la petite chose des débuts est vite anéantie, l’anéantissement prend toute vitesse, il prend toute folie et bientôt il prend forme.
La mini forme grossit, roule, ronde, spirale, volute et vole.
Forme bolide, énergie.
C’est tout.
C’est fini.
Que ce soit comme ça, une fois pour toutes.
L’arche de lumière.
Les sceaux, les cavaliers, les pestes et les tuberculoses, les pandémies.
Le glaive.
On s’embrase, on embrase.
On dit : il n’y a plus que la violence. Les corps n’existent pas. Si peu. On les terrasse, les piétine sous les sabots des bêtes.
Une fois et c’est fini.
On va plus loin, on est entre frères, camarades ; on va plus loin, plus vite, jamais on ne s’arrête en chemin.
On est très excité.
On ne croit ni à pendant ni à après. On ne peut pas négocier. D’abord il n’y a personne avec qui négocier.
On ne veut pas de ce qu’on obtient à négocier.
On embrase, s’embrase.
Prêts ?
On y pense moyen, en fait.
Pas si prêts.
On a la vie très excitée, les émotions très excitées, les autres sont tout et je suis le tout que sont les autres, je suis les autres qui font un tout.
Je suis le tout – lion et mon nom fleurira.
Je suis lion, légende.
Une légende de quatorze ans, une légende de quatorze à vingt-cinq ans. Je suis un gamin. Je suis le gamin que je porte moi-même, gamin, sur le dos.
La mort vient.
Elle est venue et je ne l’ai pas vue.

If (un petit bout)

J’avais conduit un personnage de 1962, un personnage d’Algérie, dans une cellule du château d’If.
Mon personnage avait perdu une terre, avait perdu avec sa terre ses vignes, son soleil, sa maison qui n’était pas une maison mais un palais.
Mon personnage était enfermé à quelques kilomètres de Marseille dans une cellule du château qui n’était plus une prison d’Etat mais appartenait toujours à l’armée.
Mon personnage a failli se trouver mal.
C’est un peu comme si jusque-là le château-prison l’avait attendu.
Sur le mur de cette cellule aménagée, il lit son nom, griffé. Lui qui n’en a pas changé. Il a perdu des pays, deux au moins, le premier qu’il n’a jamais connu, France métropole et le deuxième, France-Algérie. Il a perdu des pays mais pas son nom. Le siècle a fait un tour presque complet. Un de ses ancêtres après la Commune de Paris, en 1871, victime de la semaine de répression sanglante ordonnée par Adolphe Thiers, est enfermé au château d’If avant d’être déporté, certainement en Nouvelle Calédonie.
L’ancêtre grave son nom. Signe le château de son nom et d’une date.
Les communards futurs déportés en Nouvelle Calédonie ont-il été enfermés au château ?
Le château a-t-il emprisonné en 1962 de plus ou moins gros activistes de l’OAS ?
La seule histoire qui est attestée : les retrouvailles, en ce lieu, d’un nom.
Le nom de 1871 est celui de 1962.
En 1962, mon personnage de l’OAS n’a absolument pas conscience de la sorte de triangle historique et géographique qui s’est dessiné autour de lui, depuis presque cent ans.
En octobre 1870, Napoléon III vient de perdre la bataille et l’Alsace à Sedan, malgré 37.769 hommes partis sur le front franco-prussien, hommes enlevés à l’Algérie jusque-là de régime militaire. En septembre a été instaurée en France la IIIème République. En mars 1871 le gouvernement républicain se méfie du peuple de Paris affamé et révolté par la défaite. Les soldats, aux ordres de Thiers, viennent chercher, au nez et à la barbe de la garde nationale, les fameux canons qui appartiennent au peuple de Paris. On sait la suite, le 18 mars les soldats, à qui on intime l’ordre de tirer sur le peuple de Paris affamé et révolté, lèvent la crosse de leurs armes. On sait la suite. La Commune de Paris s’organise. On sait la suite. La IIIème République et Aldophe Thiers font un carnage.
L’Algérie de statut militaire a perdu 37.769 hommes au profit du front franco-prusse. Il faut dire que la IIIème République se démarque de l’Empire et souhaite, c’est Adolphe Crémieux qui parle, substituer en Algérie, au détestable régime militaire, un régime civil. La IIIème République souhaite assimiler l’Algérie à la France à un moment où l’assimilation est portée par des voix progressistes, celles qui visent à l’égalité.
Crémieux naturalise par décret les juifs algériens.
On commence par là – et on s’arrête là.
Quand on attribue la division juifs – musulmans au décret Crémieux, on oublie que ceux qui craignaient de tout perdre, les seuls à avoir quelque chose à perdre, étaient les colons pieds-noirs, on oublie l’excitation des émeutes antisémites provoquées par les agitateurs pieds-noirs, on oublie que Drumont une vingtaine d’années plus tard profite du climat, se présente à Alger aux élections législatives, y est élu député.
Les indigènes de statut musulman ne l’ont pas élu, qui ne votent pas.
Ce qui n’est une menue question.
Drumont voudra faire abolir le décret Crémieux, réviser le procès Dreyfus, condamner Zola.
La IIIème République souhaite donc l’assimilation et un régime civil en Algérie mais après la défaite de Sedan elle renvoie 17.000 hommes en Algérie. C’est que comme à Paris et comme à Marseille, on l’entend gronder, la révolte. Les paysans sont laminés par les séquestres, doubles impôts, confiscations, rétentions administratives, code de l’indigénat.
Les années qui précèdent ont vu le succès, craint par le gouvernement français qu’alertent des rapports militaires, de la confrérie religieuse Rahmaniyya et de son Cheikh Améziane El-Haddad.
La confrérie exhorte les musulmans à la ferveur.
Début 1871, les officiers des bureaux arabes enregistrent le refus de payer l’impôt.
On vend les semences à vil prix pour s’acheter au plus vite des armes.
On s’assemble en confréries de dix à douze membres.
A Paris, dans le même temps, la Commune crée comités et commissions.
Le 11 avril, à Paris, l’Union des femmes se constitue pour la défense de Paris. Le 8 avril, en Algérie, 15.000 Kabyles se soulèvent, appelés au djihad par le Cheikh El-Haddad.
Quelques décennies plus tard, on lira dans le Figaro, à l’occasion d’une nouvelle insurrection que la répression ultra sévère expliquera par le désormais célèbre fanatisme musulman, on lira dans le Figaro qu’à côté « des choses du ciel, les choses de la terre entraient pour quelque part dans l’exaspération des fanatiques ».
Ces choses de la terre qu’on aime oublier ou faire semblant d’oublier.
Dans les années 1858, dans les vallées béarnaises, les famines se succédaient. Les préfets craignaient recrudescence de foi et protestation politique conjointe. Cela n’a pas manqué, une petite fille a vu la Vierge. On s’arrangera pour que le Vierge elle-même, que l’Eglise va dessiner comme elle veut pendant que la petite fille meurt de tuberculose, écrase ceux-là même pour qui elle est venue.
Aux Kabyles entraînés par El-Haddad il faut ajouter ceux que El-Mokrani soulève avec lui.
Ou comment la révolte vient aux hommes qui n’ont rien à voir avec la révolte.
Parce que El-Mokrani, c’était pas franchement l’esprit de rébellion qui l’animait.
El-Mokrani, nommé bachaga, titre institué par les Français, avait reçu la légion d’honneur. Etait reçu chez le petit Napoléon, à Compiègne. Soutien des Français, il recevait le soutien des Français. Au milieu des années 1860, il avait payé de sa poche les semences pour ses villageois victimes de famines. La France de Napoléon III devait les lui rembourser. Il attendait. La France de la République a oublié. De plus, comme l’a dit Adolphe Crémieux, passons à un régime civil. El-Mokrani perd ses soutiens militaires. Un régime l’a trahi, lui qui a, si on peut dire ainsi, trahi. Ou accepté. Il a pris les honneurs et ça fait d’autant plus mal s’ils n’ont plus besoin de moi. Les honneurs perdus, il s’agit de retrouver l’honneur. Soudain El-Mokrani se lève, on va des portes de la Tunisie jusqu’aux portes d’Alger, d’est en ouest.
21 avril 1871, 20.000 insurgés marchent sur Alger.
A Paris, on interdit le travail de nuit et celui des enfants.
Le 8 mai El-Mokrani est tué au combat.
Au mois de juillet, le Cheikh El-Haddad est arrêté.
La répression est sauvage comme à Paris.
Le fils du Cheikh est déporté en Nouvelle Calédonie, avec une centaine d’insurgés. C’est là-bas que ceux-ci rencontreront ceux-là, les insurgés d’Algérie ceux de Paris. A ces gens-là on proposera remises de peine et grâces contre participation à la répression de la révolte kanake, on est en 1878.
Ce que tous ces gens-là accepteront, le plus souvent.
Quant à ceux qui n’ont pas été déportés.
Combien ont été, comme Crémieux, l’autre, celui de Marseille, Gaston, fusillés, visez la poitrine et non la tête, encore un qui est passé par la forteresse d’If, et vive la République.
Combien ont perdu de proches et d’espérances.
Combien de terres, combien ont été expropriés, rendus à la misère.
Défaite ou répétition générale, rendez vous dans même pas cent ans.

armier

Le temps filait. La voiture filait et comme d’habitude je me perdais à proximité de chez moi. Mercredi, longtemps le jour des enfants, ne l’est plus, ne le sera plus jamais, comment fait-on pour passer d’un monde et de ses rites à un autre, dans le temps d’une même vie ?

J’essayais d’écrire des sortes de romans, dans lequel il y aurait du temps, des semblants de suspens.
Il y aurait l’Histoire, des histoires.
J’en ratais plein, mes désirs étaient (trop) nombreux.
J’accumulais livres, documentation, je faisais des découvertes que je considérais comme des trésors, on pouvait voir les choses comme ça, dans cette liberté, cette phrase, dans une langue. J’avais des amis-livres. Je n’en faisais pas forcément quelque chose, les amis-livres rendent plus costauds mais aussi, plus seuls.
Le jardin et la maison étaient pleins de lumière, ça met le reste à une de ces distances.
Il y avait des personnages. Je rêvais de les poser là, dans le cours du texte qui s’écrivait au long cours.
Il étaient tous là, les personnages ; je n’étais pas bien ordonnée.
Hier, mardi, je me suis longuement perdue à proximité de chez moi, sur une route que j’emprunte depuis près de vingt ans.

A dix mètres, avait dit quelqu’un, il y a une quinzaine d’années – un monsieur qu’on disait énergéticien, un de ceux qu’il faut voir à tout prix, régulièrement j’avais envie qu’on me parle du corps et d’autre chose, tout ensemble, régulièrement on me parlait de quelqu’un qu’il faut voir à tout prix, tu vas voir il fait sauter les migraines, sauter, on m’avait parlé comme ça, c’est encore une histoire de voiture et de routes, je m’y perds. A dix mètres, a dit l’énergéticien dont je me rendais compte qu’il était, outre énergéticien qui fait sauter les migraines, coach de musculation, la salle à côté de celle où il faisait sauter les migraines était pleine de femmes et d’hommes peinant sur les instruments à muscler. Il portait une sorte de testeur, antenne à deux branches, brandissait l’engin vers moi dont le crâne était équipé d’un récepteur, le bonhomme avec énergie testait l’énergie que mon corps (ou mon âme) dégageait ou dont il (ou elle) manquait. L’énergie, dans mon cas, je l’apprenais, était à dix mètres de moi et ça expliquait tout, le monsieur du bout des routes landaises se contorsionnait pour qu’elle rentre sage, l’énergie, en son territoire – moi-même, âme ou corps, on ne sait pas.

J’ai pris une année sabbatique, j’étais au bout de l’enseignement, le collège a dégringolé, pour tout un tas de raisons il a dégringolé et mon année est sabbatique.
Jamais le jardin n’a été aussi radieux ni la succession des journées. Il faudrait savoir porter au jour les vies des hommes illustres ou infâmes, il faudrait savoir décrire au plus juste l’atroce grimace langagière et publicitaire que les futures élections présidentielles nous valent, il faudrait écrire des projets de, des projets autour de, il faudrait ramasser des brassées d’informations et les poser là, les montrer, en faire bouquets, il faudrait, c’est un chemin.
Tout était en chemin. Soi-même on était en chemin. On était le chemin et je trouvais ça chouette, le chemin, avec ses tracas, ses plaies, embuches, ses immenses peines, même, à hurler inconsolée dans la nuit.

Hier mardi fin de journée je me suis perdue c’est que tous les trois ou quatre ans j’ai envie qu’on me parle de mon âme, j’ai trouvé le chemin compliqué d’un thérapeute, un de ceux dont on te dit : il m’a sauvée la vie, il te fait sauter les ceci les cela, pourtant on se méfie d’un bouleversement quand il est si soudain, à ma décharge ça faisait bien longtemps que je n’avais pas eu envie qu’on me parle d’âme et une personne de confiance, c’est toujours le même scénario, m’avait mise sur la voie, à ma décharge j’étais en période de jardin et de lumière, à ma décharge Pierre m’avait parlé de la belle tradition, dans le sud de la France, des armiers, ces compagnons de l’âme des morts à peine ils meurent, qui savent, compagnons de l’âme, ce que veulent les morts à peine ils sont morts. Les armiers sont armés de ne je ne sais quoi, se tiennent tout près des larmes et de l’âme des morts.
J’étais prête.
En même temps je me demandais bien ce que j’allais livrer à la thérapeute comme symptôme vraiment emmerdant, depuis le début de l’année sabbatique, aucun de ces fameux symptômes n’était invivable. Je trouverais bien, en symptômes je me fais confiance. Mais ça a commencé par cette erreur sur la route, ça m’a amusée, je me disais allez perds-toi donc un peu.
C’est fait.
Je me suis perdue.
La route que j’emprunte depuis vingt ans, je m’y perdais sans peur.

J’ai pris une année sabbatique.
Il faut bien vivre.
Quand j’ai demandé à mon fils aîné de quoi il pensait vivre en faisant tel ou tel choix j’ai vu que la question était tordue, de quoi vivre ?Je ne comprends pas ta question, il a dit, sérieusement interrogatif.
Comment allez vous gagner de l’argent ?
Ah, ça !
J’ai pris une année sabbatique et je prépare un atelier d’écriture que je suis contente de mener bientôt dans la ville où en 1848 une petite fille a vu paraître quelque chose de blanc à qui on a donné un nom neutre puis un nom féminin.
Je suis partie de tempêtes.
De ces tempêtes, météorologiques, symboliques, intimes, qui fracassent le temps et signalent dans les oeuvres et les vies un avant, un après.
Il y a avant la tempête (ou le déluge), il y a un après.
Une coupure nette au milieu, un événement qui va tout changer. 
Prospero va marier sa fille et réconcilier ce qui était brisé par l’événement de la tempête.
Le roi Lear va devenir fou ou pauvre ou tendre ou triste.
Etc.

Je me suis perdue.
J’ai rencontré une énième poseuse d’antennes à scanner hyper voyant et pseudo scientifique, scanner, je n’invente rien, quantique, parce que chez nous, Madame, on regarde le totum (prononcer totom) de l’homme, l’âme, l’âme.
Mon âme était blessée et le scanner disait où elle en était de sa relation au corps qui lui était accordé, le mien donc, où ils en étaient tous deux qu’on ne sépare pas, il le disait via antennes, le scanner électro magnétique qui développait une activité quantaceutique, le scanner répondait aux questions, listait sur l’écran de l’ordinateur les bactéries, les mémoires du foie, d’ailleurs que le foie eût des mémoires inspirait à la dame naturopathe un jeu de mot, l’avez-vous, l’avez-vous ? Le foie ?
La foi.
C’est à dire on pouvait en parler, justement je, enfin quoi, vous croyez à, quelque chose, croire, quelque chose est un peu vague, je pourrais, mais passons.

J’ai écrit un mail que je devais écrire, on est mercredi, l’ex jour des enfants qui ne le sont plus, je suis plutôt de vie heureuse, les piles des livres et d’articles à lire me réjouissent, les journées ne sont jamais assez longues, je suis gênée aux entournures, j’ai écrit dans ce mail à un ami, je suis gênée parce que mon travail ne produit que ce qu’il produit, c’est pas tout à fait rien, mais pour nous, nous tous, en termes de connaissances ou d’utilité ou de lutte contre le racisme façon plongeon direct dans les années 60 ou années 30, quoi ? Soyons très honnêtes, rien. Rien, j’étais dans cette tension, depuis toujours d’ailleurs, j’avais choisi à la fac latin grec et j’étais et suis toujours aussi incapable de me débrouiller dans une des langues vivantes que j’ai pourtant toujours voulu fréquenter, espagnol, basque, arabe, italien.

La tempête j’ai bien aimé la poser à un moment de ma vie, il est hors de question de savoir aujourd’hui, mercredi, si c’est un souvenir primaire ou reconstruit, il est les deux à la fois, je prends la voiture après une annonce tragique, je prends la voiture, un de mes enfants est en danger, c’est alors que se lève une tempête dans le crâne, il y a un avant et il y a un après.
Je me suis arrêtée.
Je me suis arrêtée de parler – mais dans l’autre histoire, l’histoire du trajet en voiture, je ne me suis pas arrêtée, j’ai reçu soudain une migraine qui a coupé ma tête en deux, de la base au sommet.

Oh dit la dame aux antennes qui voit quelque chose sur l’écran de l’ordinateur, oh il y a eu un accident de voiture ? Oh il y en a un, en effet, dis-je mais c’est pas ce que vous croyez, j’ai envoyé promener les accidents, tous les accidents, l’accident n’est pas à moi, il n’est pas exactement à moi, si vous saviez combien il y en a, des accidents, il y a tant d’autres accidents que ces mini mémoires que vous lisez dans mon foie ma rate ou ma bile, tant d’autres accidents d’hommes passés par les fenêtres, il y a tant d’accidents et ces accidents, je dis, ils sont tous à moi, et ces tempêtes, je dis, elles sont toutes miennes.
Ce que je fais ? Je reconstruis un souvenir parmi d’autres car il me plait de poser un événement dans mon temps et le temps de mes enfants, je recompose un célèbre trajet en voiture, je propose qu’on l’appelle le célèbre trajet de la partition, c’est que ce trajet en voiture est tout pour moi parce qu’il a fonctionné comme fonctionne une tempête, il y a un avant trajet et un après trajet.
Un avant migraines et un après.
Puisque vous me demandez.
Un accident si vous voulez mais pas comme vous entendez.
La naturopathe me posait sur la tête des antennes quantiques reliées à son ordinateur, c’est une machine sérieuse, les médecins même voulaient de nos machines, la naturopathe proposait son verdict et le verdict tenait en deux mots.
Accident.
Dépression.

Il y a quinze ans, en ce jour de célèbre trajet de la partition, je courais pour bondir au volant de ma voiture dans le bureau de la directrice de l’école de mon fils cadet et y faire un scandale. J’y fis un scandale tout à fait mérité. Vous êtes dépressive, a dit alors le bureau de la directrice et j’ai cassé la gueule du bureau. Vous êtes dépressive, a dit la dame aux antennes mais je n’ai pas eu de colère ; résolument du côté des choses qui ne se laissent pas définir j’ai bien ri, la dame aux antennes a eu peur de m’avoir chiffonnée pire que si j’avais été en colère, je n’étais ni chiffonnée ni en colère, j’étais après, après après, longtemps après après.

Dans nos jardins radieux et nos jours sans école, on évitait, les enfants et moi, de poser des verdicts.
Il n’est pas né, le jour où les enfants et moi, nous aurons envie de définir.
Dans notre vie est entrée la tempête.
Quelque chose ou quelqu’un a porté la tempête.
C’était une tempête d’Algérie.
C’était une tempête sans le nom, une tempête sans son nom de tempête est entrée dans ma vie et dans la vie de mes enfants. A la place du sans nom de l’Algérie on a construit des souvenirs de mini tempêtes comme le souvenir du célèbre trajet de la partition, le jour de la partition nous a beaucoup marqués, je cassais la gueule des bureaux et des verdicts. Le jour de la partition a été suivi de quelques autres cassages de gueule et tous nous ont beaucoup marqués même s’ils n’ont pas, eux, de petits noms.

Et ces histoires d’antennes et d’âmes des morts ? Le mort c’est moi c’est à dire les autres, celles et ceux qui ont sauté par les fenêtres, ceux que les verdicts rattrapent, dans ma main un enfant pleurait, que dis-je, sanglotait, se roulait par terre contre l’abandon et contre les histoires, contre l’histoire de faire chemin, trajet, l’enfant dans ma main pourtant absolument courageux disait stop au chemin, au trajet, stop pour un instant, un instant seulement et pour ce même instant, en ce même instant, je disais moi aussi stop aux tempêtes et aux trajets, j’entendais une voix tordue et criarde qui répétait : vous savez ce qu’est l’aura ? Et je répondais : vite fait. Cette histoire d’antennes et d’aura a lieu tous les trois ou quatre ans, quand je fais une crise d’âme ou de totum, prononcer totom, totom quantique je ne sais quoi. Ce soir, mercredi, ex soir d’enfant, je me suis perdue dans mon enfant, il voulait quelque chose aspirant au contraire, voulait que ce soit pour toujours et grandiose comme montagne et qu’à la fois ce ne soit plus, c’est toi en haut de la montagne, enfant, bon sang c’est une histoire de route, de trajet modeste, dût-on s’y perdre un peu-beaucoup.
Des tempêtes sans nom ont traversé nos vies si bien que si j’ai deux mains, dans l’une pleure un enfant, dans l’autre se tait un enfant avec son nom muet d’Algérie.

la fille et le lézard

Débarque quelqu’un sans prévenir. Débarque quelqu’un, la tête d’abord, la chevelure noire et longue jusqu’aux reins, quelqu’un.
Au féminin.
Qui t’annonce que tu es sur son terrain, tu penses à la nymphe des fleuves ou des bosquets, tu dis : d’accord je me suis égarée mais je ne manquais de respect à personne, je vous présente mes excuses, j’étais là par épuisement et la fille gracile, cheveux en tresse sur les reins, grand cou séparant le tronc de la tête, tu ne fais rien remarquer parce que tu n’en mènes pas large, te dit en riant (ce qui te conduit à penser qu’elle se moquait un peu de toi avec son affaire de terrain personnel) : je vais vous montrer quelque chose, c’est bien parce que c’est vous.
Le chemin, là, dont tu aperçois l’entrée, est le chemin que prennent ceux qui ont accumulé tant de matière que la matière s’est ossifiée, te dit la fille.
Notons qu’elle te tutoie.
Elle explique : si la matière se densifie et qu’arrive l’événement de la mort dans la suite des histoires c’est quand même pas pour ça que meurt le reste, l’énergie par exemple ne meurt pas ou si elle meurt c’est quelque chose de complètement à part et de singulièrement triste, certes, mais de très rare, soyons loués.
Là, tu te dis que la fille débloque.
Tu révises ton premier sentiment, nymphe des bosquets, tu n’y crois plus une seconde.
Si on voit les choses de ton côté qui semble un côté plein de tristesse, reprend la fille à l’allure d’indienne au long cou, ce serait radicalement plus simple de mourir d’énergie.
Adieu, alors.
Elle se ravise : viens, emprunte avec moi ce petit chemin. Quant à savoir si on en revient, ah ah ah.
La fille aux longues jambes longs cheveux longs ongles rit puis cesse de rire.
C’est pédagogique comme visite, ajoute-t-elle.
La fille est docte et maternelle. Je remarque le tatouage sur ses reins quand le tee-shirt très court remonte un peu, à force de gestes.
Je fais tout ça ça pour te plaire, dit la fille, tu prends ton air d’outre-tombe or les outre-tombes tu sais quoi, je vais te dire à l’oreille (elle approche, les yeux écartés l’un de l’autre, les pupilles dilatées, son odeur de pluie, de nymphe des bosquets, de fée de rosée matinale), je vais te dire à l’oreille, t’expliquer le processus, ce n’est pas difficile.
Tu es naïve petit moineau.
C’est sa dernière remarque.
Ne pas se vexer.
La fille avance, le lézard sur le rein bouge avec elle, je lui arrive en bas des épaules, j’avance à sa suite, j’en aurai fait, des découvertes, j’en aurai suivi, des pistes, chemin au milieu des graminées, je m’étouffe, éternue trois fois, la fille et le lézard se dandinent devant moi et quand la fille se retourne elle me fait un clin d’oeil.
Elle me raconte ses séances d’hypnose, ça permet, dit-elle, de faire des découvertes, tu ne vas pas en croire tes yeux ni tes oreilles quand tu vas voir les morts.
Comment ils se sont ossifiés. Rien de perdu.
Elle se répète.
Ils sont morts de l’extérieur, les fluides devenus roches, la mort est arrivée, un accident, un emmerdement, un hic dans l’histoire ou alors c’est à force de fluides, à force et à force de fluides ce n’était plus possible, ça ne pouvait pas continuer, ça n’a rien de mortel, la mort n’est pas dedans.
D’accord.
Dis-je, suivant la fille qui me semble rajeunir au fur et à mesure que je la suis dans la campagne et la campagne est une crête maintenant, le chemin est un chemin de crête, d’un côté la route, sinuosité goudronnée, de l’autre côté la mer, d’un bleu miraculeux, d’un bleu qu’on n’a jamais vu jusque là, soit on n’était pas attentif soit il n’existait pas. La mer fait des ourlets mousseux, vraiment loin, on pourrait y être, on n’y est pas et entre y être ou pas il n’y a pas une si grosse différence.
La fille porte une tresse jusqu’en bas des reins, le lézard joue de sa chevelure, on avance, descend en zigzags, manque de se casser la figure sur les pentes de bruyère, en bas il y a une crique, la marée est basse qui laisse les pointes des roches saillir, des genoux, viens voir les corps, dit la fille en saroual.
Et ceux qui ont voulu mourir ?
Elle se trouble : c’est une légende. Il n’y en a pas.
Silence.
La fille n’a jamais entendu parler de mélancolie.
Elle revient à l’hypnose, aux quantités d’énergie qui circulent aller-retour et sens inverse, vitesse pas possible, tout droit maintenant, quand on dit droit il faut faire attention parce qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire on se foule une cheville, c’est que les rochers sont escarpés, traitres, de petits crabes se faufilent au-dessous.
Continue, dit la fille qui fait un peu la tête depuis la mélancolie.
Dire que je descends, je descends, je descends encore, dans une caverne d’océan, une caverne de marée basse qu’on appelle chambre, j’hésite, la fille m’a fait un signe de tête pour m’encourager, je n’ai pas eu le choix, les pieds s’enfoncent dans un sable couvert d’algues douces, n’aie pas peur, c’est là que tu verras.
Les corps.
Tu le vois qu’on s’est bien fichu de toi jusque là ?
D’abord, c’est l’odeur qui saute au visage, tracasse.
Ce n’est pas une odeur de mort mais d’herbe. On dirait une réunion de fumeurs de pétards endormis dans de douces positions. La main sur laquelle la tête s’appuie. Les jambes l’une sur l’autre. Les nuques abandonnées. Moi aussi je me suis abandonnée.
C’est ce que je crois du moins.
A mon réveil la fille a disparu. 
Alors, je crie, et l’hypnose ? Et l’hypnose promise ? Il n’y a plus personne autour de moi sauf les corps des morts historiques, ceux que l’accident a pris, il y a, clapotante, la marée montée qui ferme le trou de la caverne où je suis avec les morts.
Les flots ne recouvrent pas le trou naturel, la fille savait ce qu’elle faisait, une nymphe marine, à qui que ce soit que je pense elle a disparu, il me faudra attendre l’heure de la descente de la marée et j’attendrai.
Les morts ont de belles têtes décontractées. Certes en eux de la structure s’est accumulée, jusqu’au point où l’histoire a buté contre la fin. Le résultat ? L’air bienheureux, l’odeur pas désagréable du tout, le corps de roc, d’os pâle, blanc, dur, propre.
De beaux morts.
On a des gueules d’événements, disent-ils. Chez nous rien ne dégouline. Pas un mort une morte ne ressemble à un mort une morte. L’unicité du mort est ce qu’il y a de plus remarquable.
C’est simple, au fond.
Je n’ai pas besoin de séances d’hypnose.
La fille aux hypnoses et lézard et saroual est partie, elle m’a laissé tomber.
Elle m’a laissée dans le paysage.
Les paysages, autrefois, étaient forts comme les objets d’amour.
Plus forts.
Les emmerdes, évidemment, avec des paysages forts comme les objets d’amour, c’était tout le temps.
Je lisais des romans noirs. Je ne me souviens pas trop des aventures qu’ils multipliaient. Des ombres qu’ils suscitaient. Dans mes romans noirs, les corps n’étaient plus un problème. C’était des romans anti-mélancolies.

(accroche-toi, poupée, on décolle !)

Le lézard sur les tuiles du toit, le soleil se laissait voiler, l’idiot.
Le soir tombait déjà, ça faisait des toiles et des poings et des doigts dans le ciel, super lumineux le tout, gigantesque, on n’a plus l’habitude d’écouter les oiseaux, les grenouilles. Dans l’enfance et l’été c’est peut-être les grillons ; pas ce soir : les grenouilles.
On marchait.
Je marchais, seule. J’avais hérité, pour ma marche solitaire dans les grenouilles, les oiseaux et les lacs du ciel épouvantablement élargis, d’un fardeau singulier : l’enfant d’autrefois, sur la même route, portant les pensées, les ennuis, les mêmes. De petits équilibrages ? Ils avaient disparu, comme les grillons avaient disparu.
Restaient les grenouilles, ça m’allait mais ça m’allait un peu triste.
Le soir tombait, j’avançais sur la route où quelque chose devait se passer, avait dû se passer, j’avais une peur panique d’y aller voir, c’était irrésistible.
Le premier bruit m’a terrifiée, celui d’un chien dans le fossé : il devait être pris dans un piège, à moins qu’il ne remue à dessein les herbes hautes avant de me bondir dessus, m’écorcher comme il faut qu’on le soit à la fin. Une scène comme ça dans mes scènes-bestiaires. Tout pour la panique, surtout le soir, soir du retour à l’enfance ou soir du retour sur la route d’enfance. Le bruit-chien me terrifiait si bien que je faisais semblant, en appelais gaiement à la largesse du ciel, alors que le soir tombait, toujours pire je disais, je niais le chien et le bruit froissé dans le fossé, pire et pire le soir, je tournais la tête, si je devais finir écorchée eh bien je ne verrai pas la mort en face ni la peur, pas question.
Ce n’était pas un chien.
J’ai regardé l’écran du smartphone : il ne répondait plus.
J’ai voulu autre chose. C’était urgent, ça n’a rien donné. J’ai voulu de toutes mes forces parler à quelqu’un qui me reviendrait du passé, ça n’a rien donné. 
J’ai fait un bond. J’ai bondi à la place du chien. C’est que dans la nuit qui tombait, sur le chemin de pierres que j’appelle la route, à droite le champ labouré et à gauche les peupliers et les pins et les pins, c’est que dans la nuit qui tombait (on distinguait les formes), une biche a surgi, m’a heurtée comme ça, au coude, m’a frôlée, rasée, a sauté, j’ai accompagné la course jaune et les bonds côté peupliers, la tache rebondissait.
Le bruit d’un chien : tu parles.
Le deuxième bruit est un craquement. Il n’y a pas d’origine au craquement. Pourtant, quel raffut, mon premier mouvement est de regarder mes pieds et l’écran noir du smartphone et rien – la biche, qu’est-ce qu’elle est devenue, s’il y a dans mes scènes-bestiaires une ou deux biches, celle-ci sera la troisième ; la fureur du ciel est telle qu’une biche-bestiaire de plus ou de moins, peu importe, l’une d’entre elles est jeune fille soumise à la malédiction, ça en fait, des filles, sur la route de pierres.
Le craquement est identifié : le tonnerre. Il est arrivé comme ça, pas gêné, dans le ciel qui faisait jusque-là des vagues et des dessins dorés. Le tonnerre a explosé avec des zigzags de feu, pour de bon il n’y avait rien de plus repérable que ces bons vieux zigzags, des zigzags qui n’avaient rien à envier à ceux des enfants et des dessins.
Puis le feu.
Le feu, j’insiste.
Pour un peu je voyais la mer ici-même ici dans les champs je voyais la mer et les langues de feu par-dessus, fâchées, serpentantes, rouges.
Puis les roches. La roche nue alors que tout à l’heure, c’était à étouffer dans le vert des peupliers et des chênes – les fossés verts regorgeaient de scènes de chiens cachés ou de biches cachées sautant à l’aventure. Les roches nues comme si soudain, dans le feu qui hurlait, on avait tourné la page vers une autre géographie, un orient, pas un occident – pas un accident, la lettre a me tombait dessus dans le bruit du tonnerre et dans la lumière et dans les éclairs flamboyants.
J’allais rentrer à la maison ou plutôt j’ai voulu rentrer à la maison, j’ai marché à tâtons, accrochée au smartphone d’écran noir, bâton ramassé au cas où, j’ai marché longuement, un paysage désolé, mer, canyons, feu alentour, un arbre déraciné, la lune rasant le sol brûlé, rouge rouge, j’ai voulu rentrer, la pluie s’était invitée qui n’arrangeait rien, je voulais rentrer mais au lieu de rentrer j’allais trouver l’abri d’une grotte, une fissure dans la roche, ouverture étroite certes mais je passai quand même, tête en avant.
La gorge était étroite, ça n’en finissait pas, à un moment, je ne sais lequel, sans doute une fois tombée dans la salle confortable de l’intérieur de la grotte, j’ai dû m’assoupir.
Je n’ai rien vu.
Je me suis assoupie dans la grotte. Dans mon rêve, il y avait une jeune femme : blonde comme les blés elle interrompait une scène de théâtre, la scène était mal jouée, spectateurs nous étions au bord de la crise de nerfs tant la scène était mal jouée. La fille blonde comme les blés hurlait, le théâtre était convoqué, il renaissait, le théâtre était une sorte de bâton, de sceptre ou de thyrse, le théâtre frappait trois coups – il frappait bien plus que trois coups.
Dans mon deuxième rêve figurait un homme mort qui participait activement à ses propres obsèques, il riait à la folie et ça donnait à tous les participants de la fête funèbre un élan endiablé, une joie hors du commun. Figurait aussi dans la scène-rêve numéro 2 un autre homme, âgé, de mèche blonde, je pense après coup : de mèche. De complicité.
Réveil dans la salle du fond de la grotte où par soir de tempête je me suis glissée, tête première, smartphone en main, j’entendais encore les craquements du tonnerre mais c’était le noir absolu, pas une lueur, rien. 
Les explosions de tout à l’heure étaient de purs souvenirs, le gémissement des flammes régnait dans le ciel et le monde. Je me retournais douloureusement, j’avais mal à la hanche, l’épaule ne me disait pas grand chose qui vaille, la tête résonnait de douleurs précises, crabes ou scorpions prenaient la place.
J’étais au fond d’un trou, dans le noir, blessée.
J’avais fait une promenade sur la route de l’enfance aux pins maritimes, j’avais croisé une biche impromptue qui m’avait bondi et ri au nez, je l’avais prise pour un chien, je m’étais abritée de l’orage et de la pluie battante, faufilée dans une crevasse que je ne connaissais pas, c’est là que ma vie (pensais-je pompeusement), ma vie avait basculé, la crevasse était un long entonnoir débouchant dans une cavité fraîche et obscure, je touchais terre, je touchais la terre, je touchais la mousse, je pensais : une source non loin – à tâtons je découvrais les lieux.
Je ne pensais pas, pas tout de suite, à remonter.
Comme tout à l’heure, au moment du chien-biche, je préférais ne pas voir, ne pas savoir. Je n’imaginais pas l’ascension compliquée ni que j’aurais un besoin absolu d’aide sans moyen d’en demander.
La pièce était circulaire. Tentée de me rallonger dans le froid, sur la mousse. D’en rester là, je veux dire pompeusement en rester là de ma vie, la vie. Debout, la douleur. Tentée de ne pas chercher à aller plus loin. Ni à sortir de la grotte ni à passer dans le temps ni à comprendre les choses du passé ni à aimer celles du présent.
Les mini-phrases du présent ? Je vomissais, front appuyé contre la pierre dégoulinante de la grotte, les phrases du présent.
Je les vomissais.
Je ne sais pas où j’ai trouvé le courage de poursuivre. La biche ? La séquence de la biche tout à l’heure et mes biches précédentes ? Faire comme on apprend à faire, les choses pour les faire, sans regarder les choses ni l’amour ni le goût que j’ai de les faire ?
Tu m’étonnes, tes migraines et ta nausée.
La mousse était souillée. La belle chambre obscure et souterraine, je l’avais souillée.
Lève le nez. Vois le ciel. Pas le ciel mais cette tranche minuscule de ciel bleu roi et violent. Le jour plein. J’ai posé le smartphone dans un coin puis je l’ai oublié.
Chaque chose en son temps.
La douleur explose comme le tonnerre d’hier soir. J’ai le temps de penser : douleur et tonnerre, biche et feu. Ma vie, la vie (pompeusement, toujours), quelle histoire.
Quelle histoire.

Tombés dans ce que nous pensions ne jamais vivre mais que nous savions que nous vivions ou à quoi nous savions que nous étions mêlés intimement refusant de savoir que nous le vivions.
La guerre du-dedans, nous les sans-guerre les sans rivage à conquérir, les sans pays de Cham, nous les chercheurs d’or harassés qui ne croyions plus à l’or, nous les chercheurs de bonne foi, plutôt de meilleure foi que de moins bonne, plutôt plus que moins, l’or on croyait le chercher, on avait les stigmates de ceux qui le cherchent – et la fatigue et les épaules.
Bref.
Il y a eu des chocs consécutifs.
Les chocs de règles qui étaient des ordres et d’ordres qui ne suivaient pas les règles. Les lois d’espace commun qui découpaient, canif devenu bazooka, sourire crispation, l’espace commun. Décidons de doubler l’attirail militaire. Rends gorge, homme, pays, toi qui es debout, as les jambes et la parole. Le discours sans raison, on devenait le fou à la place du discours. On faisait nos comptes, perdus dans les champs lexicaux.
D’abord, l’ennui avait gagné et le tout-économie.
Puis l’ennui avait perdu.
Avait tout perdu comme toujours l’ennui.
Parce que l’ennui et le tout-économie perdent toujours et rien à voir avec la biche, quoique.
Voir ce qui surgit toujours.
Il y a des biches de gueule bancroche.
On allait oublier ce dont on avait conscience ou dont on avait décidé qu’on aurait conscience et qu’on ne nierait pas.
Une guerre, donc.

Vers la page 630 de mon roman d’espionnage (il me faisait une tête de complot, une tête de qui a vu le complot, merde je disais, une tête de complot pour résister à l’absurde qui rongeait dedans), je suis sortie, je suis sortie me dégourdir les jambes et hop, le chemin de l’enfance.
Il y a eu le bruit, ce chien qui était une biche.
Je sais maintenant comment j’ai pu glisser dans une faille qui donnait dans la grotte. J’avais rapetissé.
J’étais toute petite et légère, un poids de rien du tout. Je tiens à le dire : mon vrai poids. Le poids que je me pèse. La tête que je me fais. Désormais c’est mon poids et ma tête.
J’ai perdu le nom, en plus de la taille et du poids j’ai perdu le nom, ou j’en ai changé, comme ça, arbitrairement, j’en voulais un qui soit minuscule, c’est ce qu’il fallait à mon poids plume et ma taille Poucette, j’ai hésité. 
On comprend ce que m’a fait la biche, comment elle a pu sauter par dessus moi. Terreur sacrée de biche.
Puis la grotte, le glissement dans l’anfractuosité, l’humidité de la mousse en bas, une source quelque part, c’est sûr.
J’envisageais les sous-sols comme autant de réseaux de ruisseaux, ça faisait sous terre des coudes et des géométries, ça circulait sans fin, aller-retour, à toute vitesse.
Lève le nez, vois le ciel. Il est bleu terrible. Une fente. Je vais jouer des coudes, des mains, des genoux. Les bords m’échappent, les ongles griffent la roche qui pleure. J’ai voulu escalader, la stalagmite faisait un bon toboggan, j’y étais presque, j’y croyais. Puis j’ai dégringolé. Rien de bon pour la migraine. Le coeur frappe comme la pluie de la veille. Les forces allaient manquer. Le bleu de la fente s’éclaircissait un peu, légèrement, je dirais qu’il jaunissait, lumière, lumière, plein midi.
J’allais l’oublier : le smartphone. A tâtons le retrouver, appuyer, maintenir appuyée la touche magique. La deuxième fois est la bonne. Pas de réseau mais la fonction lampe de poche va me servir. J’éclaire au-dessus. Comme c’est haut – je gratte des échelons la stalactite. Patiemment. Je gratte, prépare mes prises. Comment ai-je pu être si étourdie que je suis tombée dans un trou à des mètres des airs du dessus.
Le ciel s’écrase dans la fente, vraiment lourd de lumière. Bravo. A ce moment-là je dirais que je suis à moitié de mon ascension, pieds sur les échelons grattés dans le pilier de glace, j’éclaire au-dessus et j’éclaire au-dessous, les souterrains et les lunes en quartier, je dégringole pour la deuxième fois.
Cette fois ce n’est pas une dégringolade technique, c’est une dégringolade super émotive.
Ce que j’ai vu je l’ai vu.
J’ai cru le voir et je le revois. Ce que j’ai cru voir je l’ai vu et je vais le revoir si je veux mais j’économise l’énergie du smartphone et j’économise la mienne, j’économise le tout et je ferme les yeux et je vois. J’ai vu de grandes bêtes. J’ai vu des monstres et j’ai vu des bisons.
Je n’en ai pas fini.

Un jeune homme conduit une mobylette, ses cheveux dans le vent sont tenus par un turban : c’est l’apparition au turban. Les miracles avaient lieu, des miracles coupés, des miracles à moitié – la moitié ne retirait rien au fait que c’était des sortes de miracles ou des chemins de miracles – ce qu’il faut pour te donner l’aile, l’essor. Je rêvais de turban sur la route de l’église (puisqu’église il y a). Le dimanche le rêve paraissait, en turban, sur une mobylette. Le rêve n’était pas de ceux qui communient mais sur la place il faisait tourner son moteur et regardait passer les filles qui allaient communier, le faisait en fumant, l’air de bien se marrer.
Je crois maladivement alors aux rêves en turbans et aux moteurs des églises, il me faut voir un médecin qui soigne le corps qui voit avec des aiguilles puis un autre qui soigne le corps qui voit avec de l’eau de mer puis un autre qui soigne le corps qui voit avec de l’énergie mais c’est une catastrophe puis avec du patchouli mais c’est pas mieux, bref depuis le jour de l’église je vois bouger le rideau orangé de ma chambre, quelque chose appelle.
Le rideau et derrière le rideau deux fois il y a eu un bruit, un picotement, un bec d’oiseau frappeur. Je tremblais. C’est ça, peut-être, le manque de courage : je n’ai pas bougé, je n’ai pas posé de questions devant le rideau dégoulinant de sang.
Je ne veux pas savoir ce qui appelle.
Le rideau dégouline de sang.
Mince, il suffirait de tourner la tête ?
Un drame m’attendait au tournant du miracle total, une vie de tuberculose et de maniaco-dépression.
Des choses comme ça.

L’amie à qui j’ai dit : dis donc, je crois bien que j’ai vu quelque chose.
Quelque chose ?
Elle faisait semblant, comme ça. En fait elle comprenait.
L’amie de confiance a dit : moi aussi j’ai vu, c’était beau.
C’était qui chez toi ?
Le Christ. Mais je suis myope. Si ça se trouve, c’était sa mère.


Le deuxième turban n’est pas exactement un turban mais une capuche.
C’était dans un endroit vallonné et mystérieux.
Un endroit où on marche en attendant ; pas toujours il se passe quelque chose.
Je savais que Bernadette à Massabielle ramassait du bois comme dans d’autres contes des enfants perdus et pauvres ramassaient du bois, des os. Je le savais à la fin des années 70, parce que je lisais, couchée dans l’infirmerie du collège, luttant avec et contre les miracles qui voulaient aller jusqu’au bout et n’y allaient jamais, les récits de l’enfance de Bernadette, il était question des branches qu’elle ramassait avec ses soeurs, petites voleuses de branches de chauffage, on n’a jamais parlé mal de nous, disait le père qui vivait dans un cachot, entre le canal et le Gave, Bernadette ramassait des branches et des os. Les os m’avaient marquée. Est-ce que j’avais bien lu ? Bien compris ? Bernadette et ses petites soeurs ramassaient des branches pour le feu et la vente.
Et des os.
Une vingtaine d’années après que Bernadette, comme disait mon livre, cueillait les os, en Chalosse, d’une carrière de vieilleries, on fit surgir des os, des restes et des traces de vie – et une toute petite dame sans bouche à la capuche.
Les os la femme et la capuche, c’est à dire un turban.
Mon deuxième turban.
Le turban de Brassempouy.
La petite dame d’ivoire ne peut pas sourire, elle n’a pas de bouche. Elle a tout à l’intérieur. Les joues un peu pincées, voire tatouées, scarifiées selon des rites magdaléniens en tout cas pyrénéens, en tout cas la petite dame était minuscule, une dame à capuchette, petite figure en 3D alors qu’ailleurs d’immenses figures plates, sur les murs des grottes, prenaient la place – des bêtes affreuses, des bisons blessés, des trucs comme ça.
Les arabesques des bêtes.
Elle, en 3D, son cou, le voile qui frisotte, les yeux grands et noirs, comme ceux de Bernadette sous le voile ou le foulard ou la capuche, les sourcils et le nez droit, il manque la bouche mais c’est que tout est à l’intérieur, avec le sourire.

De grands signes d’animaux, un bison blessé, une flèche qui lui traverse l’estomac, un petit bonhomme dessiné comme un bâton et le sexe du petit bonhomme comme un bâton, dressé. Tendu vers le bison, vers sa proie et chasse etc.
J’ai un moment de vertige, normal.
C’est alors, assise et la tête dans les mains, économisant la lumière et la batterie de mon téléphone, que je pense à l’église, à la capuche et au timbre de l’enfance, au turban d’un Christ, aux branchettes et aux os que ramassait la fille qui parlait patois, comme ma grand-mère et un peu ma mère malgré l’école et la République.
Les bêtes m’environnent ; il se passe quelque chose alors que c’est fini, que je n’attends plus aucun prodige : je rapetisse.
Je l’ai dit, j’ai rapetissé dans la grotte.
Je suis minuscule comme la dame à la capuche, je vois bien mes genoux sur lesquels je pose ma tête, de la taille d’un dé. Mes pieds n’en parlons pas, ils n’étaient déjà pas grands. Les vêtements baillent ; je pense que ça n’arrange pas mes affaires, cette histoire de rétrécissement. Je crois bien que l’ascension est fichue. Il faudra trouver autre chose et si c’est passionnant de chercher comment sortir de pièces hermétiquement closes, si c’est le grand jeu ou l’enjeu de toute l’histoire ou de toute les histoires, en attendant je ne fais pas la maligne car tout semble absolument désespéré.
Seules les formes rouges et ocres me regardent. On dirait qu’elles tremblotent mais c’est la peur que j’ai au fond de moi, la peur est comme le sourire de la dame capuchée, la peur fait trembler les dessins des hommes qui les premiers ont connu la peur, pire que ça.
Je pense : grotte ou pas, dedans dehors, petite comme je suis (quelques centimètres sur quelques centimètres) eh bien j’ai toujours su que la journée, je ne dis pas la vie, mais la journée, modeste, il faut la faire tenir et que c’est du boulot. Ma vieille, c’est le moment où ça ne tient plus, normal, il doit être aux alentours de 17:00 si je me fie à la lumière que j’aperçois, très loin, très haut, dans la fente par où j’ai dégringolé. Le soleil est parti vers l’ouest, il commence à chuter, c’est ainsi que le bout de ciel je le prends dans la gueule, un pur rayon, du feu. Bien.
C’est normal, donc. Mon heure.
Le jour ne tient pas et les grand animaux, mammouths par exemple, tremblent comme s’ils allaient attaquer, le jour est plein de mauvaise conscience, la mauvaise conscience a une méthode : elle déglingue le travail qu’on a fait, en premier lieu. Mon dieu, je suis capable de dire, à 17:00, dans la grotte, que tout est tordu et négligé. Négligé surtout me brise en morceaux. Je n’ai rien fait que de très négligé. Je baisse les yeux. J’ai atteint l’endroit sensible. Est-ce que quelque chose dans le moi rapetissé que voici ne se réjouit pas ? J’ai peur, je n’ai pas peur. Les deux en même temps. Avant il y avait, dans les moments découragés, toujours quelqu’un ou quelque chose qui survenait et devant qui faire fière figure et je faisais.
Je faisais toujours.
Je ne fais plus.
Je suis à présent plus petite que la dame à la capuche qu’on a appelé Vénus puisque tout nous ramenait aux antiquités classiques, même les Magdaléniens et les Pyrénéens. Je suis seule, enfermée avec des animaux chassés et leurs chasseurs qui vacillent, les lignes vacillent, l’encre végétale sur la pierre vacille, les siècles, ce qu’est l’Histoire, nos années, celles de Bernadette, vacillent, celles où attendre la fin du monde sous réchauffements climatiques. Avec tout ça je suis enfermée, pas vraiment seule : m’accompagne la mauvaise conscience ou pire encore, la malfaçon dans le travail, les travaux.
Plus, la peur.
La même peur tremble chez les bêtes qui ont été chassées et vont l’être de nouveau sur les murs de la grotte.
Nous tremblons. 
Nous sommes devant le coup de.
C’est peut-être une anesthésie générale qui va m’emporter.
L’anesthésie commence.
Je n’ai plus besoin de faire la fière figure. Je mange l’intérieur de mes joues. Mon visage mesure un ou deux centimètres sur un ou deux. Quand tu vois les grandes bêtes chanceler, tomber sous leur poids de mammouths et bisons et gnous quelque chose comme ça tu le sais tout net la vie ne tient pas ou pas bien ou pas seule ça se brise n’importe où, aux genoux, à la taille, au moral, au miracle qui va jusqu’au bout et ce n’est pas une chance, jusque-là on avait évité, tu vois bien que la grosse bête tombe de tout son haut, le ciel tombe avec elle et sur elle et sur toi, le soleil d’ouest parce que la soirée avance, la vie qu’il faut faire tenir et l’idée toute triste, dressée jusqu’à la fente où le soleil rougit maintenant, l’idée toute triste qui rivalise avec le guerrier du néolithique ou quelque chose comme ça qui a tué le bison et bande vers lui sa flèche et son sexe, encore, une fois mort, l’idée toute triste c’est que quand les choses tombent à genoux, ne tiennent pas la route ou le coup c’est l’amour lui-même qui devient de la vieille nuée, oh cette chouette nuée pleine de nostalgie – si lointaine, comme nuée, rien à voir, rien à voir avec rien, avec moi en tout cas plus grand chose à voir.
Je suis coupée comme une herbe des champs.
Le soleil devient rouge, comme une pointe il descend. J’allonge mes jambes : elles ont assez d’espace dans le fond de la grotte. Je m’attends à finir non pas en beauté car personne, sinon un bison blessé, ne me voit, mais à finir au lieu même où le reste a fini.
Les hommes étaient petits de taille, ça explique. On devait se tenir chaud et humide et pisser dehors, comment allait et venait-on et les femmes partageaient-elles les mêmes espaces de dessins et tracas.
Tout tremble, je parle des murs.
Mon coeur bien sûr mais ce n’est pas tout, je n’ai pas tout de suite le bonheur de comprendre. C’est une aile mais des ailes, celles que j’imagine aux bisons, mammouths, ventricules du coeur qui s’emballe et va tomber dans l’anesthésie générale, j’en ai vu des monstres, des nombres. Des ailes j’en ai vu alors je ne repère pas ce que celle-ci a de particulier. Elle est petite, aussi petite que moi, elle insiste devant mon visage, vent léger, elle appartient à un corps d’oiseau, il a fallu que l’oiseau de son bec cliquetant parle de la vieille voix d’hommes magdaléniens ou pyrénéens, de la voix incompréhensible de quiconque n’a pas rapetissé et n’a pas fini au fond de la caverne, pour que je le reconnaisse, c’est un moineau ce qu’il y a de plus pyrénéen ou magdalénien, un moineau qui parle dans la langue interdite que parlait Bernadette et que je ne comprends pas mais je fais un effort, soleil rouge et vent léger, au fond de la grotte, en face de moi les bêtes vont mourir tombées de tout leur poids, à genoux, elles tremblent de peur, c’est un moineau, il me dit : accroche-toi (il m’appelle poupée, je préviens), accroche-toi poupée, on va décoller.
On décolle.

(vase)

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Les rayons des fils électriques et les vols épars d’un oiseau, freux, corneille, parfois un martinet, c’est devenu rare. Les mouettes par bandes, rasant l’Adour glauque. Le jour se lève, il n’est pas brillant. S’il se lève pourtant c’est hissant un souvenir : le danger. Vite, quelqu’un à la rescousse. On a beau parler, on a beau se tenir terrible de tout corps (petits morceaux, tombés caressés), vite, vite, quelqu’un. C’est que le morceau est tombé et qu’il est question de ne jamais s’arrêter avant de pouvoir le ramasser : on va aller jusqu’au bout, dit-on, dis-tu, pense-t-on, penses-tu, on va aller jusqu’après, jusqu’à derrière la peau, écorchement et voile dernier, on va (amour) chercher avec cruauté ce qui échappe, on va fouiller derrière la peau et les pores, dans la chair vive, dans les tripes, le coeur, l’âme. C’est à dire le corps. Se taire. C’était le véritable instant du danger. C’était celui qu’on cherchait. Dans ces cas-là et ces matins-là, après la route (éventuellement les tempêtes) on est sans un mot. Et le pire, sans un regard.
Celui que tu aimais, que tu croyais aimer, désirer, l’objet du fond du vase, tu ne le vois pas. Tu regardes, mais son absence.

une enfance à pied

Ce rêve, début décembre et giboulées terribles, ciels complètement dévastés qui dans l’après midi deviennent des géométries de soie, géométries à deux ou plusieurs plans, il y a l’espace noir et les abscisses et ordonnées pour la place du petit rouge, du petit bleu foncé, très bien dessiné, à peine un peu, au milieu, en touffe, ébouriffé.
Ce rêve-ci, le dernier j’ai supplié, le dernier de toute l’enfance, l’enfance qui est une enfance à pied et n’en finit pas (une enfance sur les rotules, j’y descends, je dirais, non comme on descend aux Enfers mais quand même j’y descends).
Je commencerai par où le souvenir revint, moi qui ai fait une demi-journée depuis, et pas des moindres, avec la tristesse, ça oui, mais pour qui, pour quoi, je ne savais plus.
Le souvenir est revenu quand j’ai lu dans l’autre livre, Lear et cie, que les lettres allaient et venaient, circulaient, sans que personne ne les écrive ni ne les reçoive. 
Les lettres.
Bien sûr.
Les enfants étaient dans une sorte de camp de vacances ou de camp de travail ou encore de camp de concentration.
Tout de suite, les leggings bleu roi, bleu nuit, bleu à fleurs, à orchidées, de la grande (de la longue longue) jeune fille, la seule survivante, survivante qui recevait les courants de l’air trop fort pour elle. Elle s’étouffait. Les airs la gorgeaient.
Ses jambes très longues et très maigres. 
Elle est allongée, elle se meurt. C’est bientôt fini.
Constater là (et avant et aussi après, au moment où le rêve revient en beauté, si on peut dire) que ces histoires de narrateur et de destinataire, de sujet et d’objet, de l’un et de l’autre, c’est de la blague. 
J’étais l’enfant et la mère et le bourreau entre les deux. 
J’étais tous les enfants. 
J’étais aussi les paquets perdus. Parce qu’il y avait des paquets de reste, il y avait un sacré reste, beaucoup de perdu, le reste perdu était derrière la porte du camp où on avait écrit que le travail rend libre, il y avait des paquets, sur l’un d’entre eux ma mère avait écrit mon nom, son écriture, sa désirable et adorée écriture, à l’encre violette, m’était destinée, dire que j’étais morte sans avoir su qu’elle pensait à moi avant ma mort, je m’étais crue abandonnée, je voyais, dans un temps d’après coup et hypothétique (du conditionnel ?) le paquet coincé dans le corridor et je voyais le temps foutu, ces temps foutus. Le couloir devant la porte du camp (le travail rend libre, en lettres de sang et le sang dégoulinait encore en grosses traînées sur le bois de la porte).
Sur les paquets en grand contraste était la belle écriture de ma mère ; pourtant, plus que parfait, sûr de sûr, j’avais moi-même ficelé les paquets pour mes enfants qui avaient dû croire à l’abandon eux aussi.
Le seuil devant la porte du camp, l’inscription à propos du travail forcé, l’abandon à jamais, les paquets délicieux ficelés (des livres ? Penser à celui reçu au collège des Ursulines, j’avais neuf ans, premier prix de poésie, échappe-toi, avait écrit sur la première page mon oncle, c’était resté un programme), les paquets étaient à la porte, la fille en bleu et orchidées mourait, elle ressemblait, 15 ans, au jeune Marc Bourguedieu dont je racontais l’histoire, résistant dans le Médoc, déporté à Dachau, Neuengamme, déplacé sur le Cap-Arcona, l’Athen, mort au Kremlin-Bicêtre.
La fille aux jambes maigres et bleues. Bleues des pieds à la tête. Orchidées bleues ? Elle mourait, c’est sûr et le réveil a été rude. Pas très sûr comme réveil.
Les enfants étaient partis, abandonnés, il n’y avait ni retour ni consolation, les temps étaient foutus, des sortes de futur de futur, où on ne va jamais, où on ne peut rien expliquer ni réparer.

pas un salaud

Filiale Selex consortium de 26 partenaires industriels, chercheurs, et universitaires. Tu les as publiés dans des revues d’ordre A, notées A, tes articles ? Ta science sociale ou humaine, ses répercussions scientifiques, scien-ti-fi-que-ment utilisables, tu sais ? Tu mesures ? Le triangle de la connaissance : éducation contrôle efficacité ? Non, éducation innovation et ? Systèmes spatiaux d’observation de la terre, équipements maritimes côtiers installés sur les drones, systèmes radars innovants, capteurs passifs. 15 millions d’euros. Des rubis dans l’histoire ? De faux rubis drones ou robots ou radars ? On en a besoin ? Les entreprises privées sont allées aussi loin qu’elles pouvaient. Elles ont déréglementé. 45 heures / semaine et cadeaux aux patrons mais on ne dit plus patrons, on ne dit plus. On ne dit plus : on s’incline et pose pour les couv. Valls 2 Valls 3 et la suite on l’a perdue, de petits bonshommes se succèdent, le roi est nu et frileux. Mourant, prisonnier. Foutu. 2 entreprises privées, mondialement puissantes, crachent sur le roi et sur les gangs et sur les pauvres et sur les chiens. Pendant qu’ici et ici ça se sépare, se tue un peu, s’affame beaucoup, bientôt on n’aveugle plus mais coupe des têtes, 2 décapitations en forêt : trucs globaux et religieux, folie furieuse à la portée de tous, c’est dans l’été que tu entends le pire et le pire c’est qu’on entend de moins en moins, tes potes lisent le dernier journal sur dernière tablette et laissent faire et laissent dire : pour 1 vie des nôtres c’est 1000 des vôtres qu’il vous faut compter ; les nôtres ont par essence et catastrophe un lien spécial à la vie, pour 1 c’est mille, c’est ça l’équilibre : c’est la disproportion ; c’est ça la justice, l’injustice.
Alors quand les mots ont voulu dire l’envers et qu’il ne fallait pas d’humour pour ça ni d’ironie ni besoin de syllogismes ou de syntaxe complexe, « 1 des nôtres c’est 1000 des vôtres », alors quand les mots ont voulu dire l’envers, il y en a qui ont choisi de se taire.
On disait les pieds-nus puis les autonomes puis les séparatistes puis les terroristes.
Les sociétés ? Tu veux parler des sociétés ? Celle de l’ex-Monsieur Pétrole qui a voulu reprendre ses possessions à l’ancienne ? L’amour ou l’usine à la papa, fini, tournés vers l’Est comme on dit, le gaz d’Ukraine et maintenant celui de schiste.
Meccanica fait des avions des jets des drones et armes à vendre au Pakistan à l’Iraq et en douce et à la Syrie de Bachar. 300 millions d’euros avec les séparatistes de là-bas, pas les mêmes, les autres, là-bas sur la carte, 300 millions pour le dictateur-Cela, pour qu’il veuille bien les drones et super technologies de Meccanica, tu crois qu’ils ont besoin de ces petits rubis qu’on trouve sur nos routes, sur le corsage des filles, en fait et partout du côté de chez nous ? Tu crois vraiment ? Mur technologique, ils disent.
C’est l’été et des cohortes de réfugiés se pressent aux frontières, à chacune des frontières, nord, nord, nord. Ficanteri a construit ces vedettes qui sur les côtes avec de longs bâtons repoussent Tchad Niger Algérie vers Tchad Algérie etc. Ficantierri : à chacun ses frontières. Ici, celles des cyborgs et des chiffres sur écrans.
Et toi – qui accumules les chiffres et prévois et utilises les termes qu’il faut, les quantités et les contrôles, tu n’es pas si mal que ça en famille. A ton fils de 15 ans qui pourrait faire un peu de sport plutôt que de bloquer sur Colon Duty : il faut t’affûter un peu. Fais pas ta roumaine à ta fille qui se plaint de sa marque de sous vêtements préférés. Tu perds un peu la tête quand femme et enfants te disent interroger, chez le psy, leur rapport au judaïsme. Et la culpabilité qui les taraude : ils n’osent pas dépenser autant d’argent que tu en gagnes. Tu les encourages. Qu’on se fasse plaisir. Le plaisir immédiat, commente ta femme Barbara, la honte, la fausse honte. Tu la fais taire d’un baiser alors que son raisonnement est super élaboré, tu le sens. Elle a reconstruit un souvenir traumatique chez le psy et elle a besoin d’en parler. Tu trouves ça très compliqué et l’embrasses avant de filer sur la véranda avec vodka et musique dans le casque. Tu vas sortir prétextant un rendez-vous de travail. Tu retrouves, un quart d’heure, une prostituée hongroise, une de celles qu’on tient là pour les clients, ça ne t’arrive pas souvent, et pas longtemps, un quart d’heure, et puis tu n’es pas là pour de bon, pour de bon ça c’est quelque chose à quoi tu crois, pour de bon, avec Barbara. Et les enfants. Tu es poussé par une force que, tu t’en faisais honneur, tu ne refuses pas d’analyser.
Barbara t’aura fichu là-dedans à tout analyser, tu t’épuises.
Elle t’épuise, en fait, peut-être.
Tu es tout sauf un salaud.
C’est l’angoisse, sans doute. Ou la honte. Ce que tu sais sans le dire, parfois ça déborde un peu : ce qui vous fait la vie la plus conne qui soit, c’est ce parfois que tu vois quand tu regardes tes enfants, milliers d’euros sur eux, parler entre eux comme des charretiers. Pute salope bâtard bouffon.
Les pots de vin offerts par Ficantieri à la Ligue tu n’y es pour rien. Tu n’as pas eu l’idée ou juste comme ça. C’est après Sofia, une des prostituées, un moment où tu as un peu basculé, le quart d’heure tu l’as franchi allègrement mais tu aurais oublié s’il n’y avait pas cette réussite au bout, le juteux contrat des vedettes en Méditerranée. Il fallait vraiment pas être sorcier pour y penser. La Ligue du Nord, où les hommes te font les démocraties. Ils disent.

tempête, 6

Le fleuve, donc. Des cimes d’arbres renversées. Puis emportées par les courants. Te dire ça : les courants, les remous, les vagues dans le fleuve. Droites verticales. Emportant les branchages et bientôt troncs emportant jusqu’au souvenir des sous-facturations que faisaient les sociétés bidons aux hommes d’état pour leur pub qui, la différence, faisaient payer, les millions de différences, faisaient payer par les partis et t’as vu la tête des partis, la tête des écoles t’as vu et la tête des écoles d’à côté, écoles et écrivains publics d’à côté qui marchent du tonnerre et les poètes sur la place et tous ceux d’entre nous qui mangent des haricots parce que ça nourrit les haricots d’ailleurs c’est un climat à haricots. Comme je te dis. Dans les forêts des poètes s’élancent, si tu leur parles poésie ils protestent, humbles et amusés, disent ça surgit parce qu’il y a un public comme pour Orphée les bêtes et les arbres, ça remue, avance, sur la place, sur la place ou en lisière, attendant la tempête et la tempête trace un rayon jaune et fabuleux, une arche de lumière, cette sorte d’électricité qui te fend les cieux sauf que ce n’est pas encore des cieux, c’est avant, bien avant les cieux, la lumière dessine la trace comme une arche et dessous restent les sous-factures et les millions d’en plus et chaque mot de travers et les poussières, l’arche violette en rougit de surgir là en ce point d’Est, elle est un symptôme, ne se cache pas comme symptôme, éclate le symptôme qu’elle est, fabriquant un dessus par-dessus les dessous, comme du temps où un volcan cachait un géant puis le géant gigotant faisait de lui-même une île cerclée des flots fameux et calmes calmes bleus comme si tu durais, pouvais durer et endurer, les dessous matelassés de billets de banque et de factures sur ou sous et de mots tissés de travers, à l’envers, les mots les mots tu les connais, 1 quand c’est 0, 1 à la place de 0 et tu composes vivant(e) avec l’absence, le contraire possible, tu es moche à celle que tu trouves la plus belle et quand lui que tu aimes meurt tu vas jusqu’à le jusqu’à le – le- le jusqu’à en faire du bon vivant, du socle et statue, tu dresses, ériges,  suscites. Parfois d’autres fois tu annules à tire larigot. Comme je te dis.  Parfois ils en sont arrivés là, les mots, ils ont fait rotation totale si bien que tu dis 0 quand tu désires 0 et il faut inverser de nouveau, faire tourner la machine à dresser, les désirs étaient morts, les appétits seuls criaient encore et encore comme appétit, on a des doutes. Plutôt prédation ou gloutonnerie, il n’y avait plus rien de beau ou d’excitant là-dedans car cette flèche, l’élan qui va et veut (veut l’amour total), cette flèche tournait dans le vide innommable et le vide c’est grand, l’innommable une grande plaine, 0 quand c’est 0, cette flèche cherchait et crachait en même temps venin et désespoir ; bien, il fallait faire la grande rotation, tu ne me manques pas pour l’affreuse souffrance de la privation, tu ne manques pas et c’est alors que l’arche, là-haut, ce moment où Zelda rentrait au campement après une nuit d’amour (aussi simple que ça), c’est alors que l’arche traversait d’Est en Ouest, une chose qui se dresse, surgit, il te faut continuer, répéter jusqu’à plus soif, c’est alors que l’arche traversait ce qui n’était pas encore le ciel ou les cieux mais le et les devenait, l’arche brille, brise, crée le dessus, les dessus.

Le fleuve, donc. Le silence était total. Plus un oiseau plus un hibou nulle part plus un lion ni un ours. Quant aux chiens ça faisait bien longtemps et un cheval de temps à autre, tout ce qu’on pouvait manger on mangeait. Il n’y avait que les mouches aux abords de la ville, il n’y avait plus que les mouches et tout près de l’ancienne prison 4 silhouettes grelottantes de peur et d’épuisement, couvertes de cendres et d’airs poisseux, dégoulinants, dans le lot des 4 est la fille, impeccable, au milieu du désastre quasi impeccable et indifférente semble-t-il faut-il dire. Des mouches mais pas un bruit, pas un vrombissement, des mouches aux dents poussées rougies du vieux sang des morts, de pus. 4 silhouettes et l’1 d’entre elles (mâle) la plus valide, celle d’un fils qui se croyait légitime et harcelait au bord de l’abîme, il n’y a pas si longtemps, son père aveugle. Il y a toujours eu un abîme avant, et on ne tombe que parce qu’on est déjà tombé. Innocent, trompé, le pire des trompés et le pire des innocents tue son frère illégitime, l’autre Ed, l’autre, l’autre. Le légitime, harcelé et harceleur comme il tourne, qu’à cela ne tienne , il est ou n’est pas l’autre, qu’il tue, pour la peine. Ne bascule pas complètement, notre Ed, à preuve sa présence ici, dans la ville en proie aux eaux et à la folie des vents (toute chose est au roi, sauf le vent). Sa présence auprès du Grec et de la fille impassible (visage long, cheveux longs, jambes longues, le tout bien soigné malgré les conditions, rien d’affecté, rien en sueur, rien d’inquiet), sa présence auprès du vieux Kent (barbu/non barbu c’est selon, porteur de nouvelles, de lettres et bâton de vieillesse du roi – au roi tout appartient, sauf le vent), la présence d’Ed qui faisait le fou dans les forêts pour ne pas l’être atteste qu’après avoir tué son frère il n’a pas renoncé à tenter d’être le légitime comme il a toujours cru et comme on a toujours dit. Il est là, en lutte. Lutte dans la ville, au pied de l’ancienne prison, contre la tempête qui déferle et les poussières et les gros troncs d’arbres déracinés, pour libérer le roi Lear et sa fille cadette que le bâtard frère mort a emprisonnés avant sa mort, ici. On se tient les uns les autres. Que la fille impassible qui n’a pas besoin de tenir aux autres, parfois elle frétille, inflige deux ou trois coups de canne qu’elle tient dans sa main droite au sol qui frétille en réponse – ouverture théâtrale.

Ed le fils survivant et cette sorte de début de rêve : ce qui vient avant sommeil, l’espace autour de soi, petite aire, sac ou bulle, buée. La buée se dessine, c’est le rêve : un homme et une femme aux lèvres jointes pour un baiser, les bouches s’entre-dévorent, soudain ou pas soudain, lentement, affreusement lentement, les bouches se dévorent, l’une prend l’autre et le contraire, ça ne fait plus qu’un seul visage mais difforme, cubique mou à la fois, inconsistant, joues molles comme montres gluantes, après l’espace c’est le temps qui joue sa partition, les 2 que nous étions, à nous embrasser, bravo, une figure atroce, décomposée, un instant.

C’est l’image que reçoit Ed, le plus valide d’entre nous, sous le porche de l’ancienne prison de ville alors qu’on sombre dans un sommeil étrange, une sorte d’évanouissement. C’est que la tempête fait rage.

Le fleuve, donc. On ne peut plus dire vague ; et ça ne flue plus ; ça ne charrie plus ; ça se soulève, horizontalement. Une colonne de mer ourlée et verte jusqu’à la nuit, jusqu’aux couleurs de nuit : la forme d’une bête, un animal marin inconnu, baleine si seulement ça y ressemblait, droit, dressé et surgissant, la vague ou flot a décidé de ne pas rouler ni d’aller de l’avant mais de faire barrage, de faire muraille, de faire dos ou front, une bête à l’œil vu de profil, œil rond et la gueule, gigantesque, fanions d’entre mâchoires, et la gueule de baleine noire, plus grosse qu’aucune, une gueule dressée sur des pattes invisibles, plantée, pattes invisibles, dans les sols limoneux, une gorge démesurée et au-dessus de la gorge la tête de baleine, au milieu l’œil rond et unique car elle est de profil, une bête de profil, toujours pas un bruit, sauf peut-être celui que font nos 4 silhouettes (moins 1 toujours impassible) grelottantes.

tempête, 5

Je tente de ne rien oublier de ce qui s’est passé avant l’intervention de cette poche d’orage devinée pour finir : matin sans café par manque de temps pour le café, départ précipité et déjà, 8:00, douleur à la nuque, nuque brisée pas tout à fait brisée mais quelque chose tire vers le haut tandis qu’autre chose tire vers le bas, pointe et s’enfonce, deux mouvements, penser que la veille L rédigeait un devoir soulignant la tension entre l’horizontalité des fleuves éternels charriant les morts, la mort, et la verticalité d’un pont qui se dresse, Octobre, Eisenstein, un pont qui se rompt ou se dresse et lève avec lui un cheval blanc, merveilleux et foutu. La révolution était en marche.

Pas moi. J’étais pas en marche.

Moi je prenais la voiture ; voiture, temps et moi nous hésitions : si nous avions froid ou chaud, si nous étions assez sympathiques pour un printemps, ou pas. S’il nous fallait faire des efforts. Le premier cours dans une salle nouvelle avec des élèves nouveaux, la remarque d’une fille bien attentive, ces deux-là, pas à côté Madame, je vous promets, ok, clin d’œil, je comprends dis-je bêtement alors que je ne comprenais pas mais devinais l’incompatibilité ; l’un des deux garçons, agressif : qu’est ce que vous comprenez donc si bien ?

Rien.

Rien, m’en vouloir de rien, mini-sadisme, je me reprenais tout de suite et ça passait inaperçu, dehors le vent souffle et même même les rideaux puisqu’une fenêtre est restée ouverte, les rideaux verts gonflent, une voilure, on rit un peu quand une fille se prend la voile dans les cheveux, on a avec nous un bruit chuintant puis on se tait.

Les uns expliquent aux autres ce que sont les complétives, les verbes d’énonciation, le rôle du subjonctif et le conditionnel comme un futur dans le passé. Il est 8:30 du matin et on fait de petits gestes – qui aident. Avec les mains. De petites grimaces. Toi tu joues le rôle du verbe principal.Tu te lèves. Va choisir un ou une subordonné(e). 

Après, c’est l’heure de solitude, bienvenue et bien aimée, dans le vent, les cheveux drôlement tirés en arrière parce que je marche contre. Il faudra y penser pendant les migraines, c’est une analogie, la tête tire en avant en arrière dans le vent. Je pense autre chose, une histoire qui ferait bien une histoire mais je l’oublie tout de suite.

Après, les cours s’enchaînent, et toujours le vent. Il souffle si fort qu’on ne s’entend pas ; on se tait. On l’écoute. On va traduire un poème d’amour, on s’y prépare, une élégie c’est à dire un chant de deuil mais quand Lesbie pleure son moineau, tout le monde rit. Le moineau de Lesbie finit en mauvaise blague. On écoute Robert Johnson, Youtube, moi ça m’est un peu égal que le son soit mauvais. C’est fini.

Avec P au téléphone : chez Ross Thomas, il n’y a rien de stable, tout est mobile, les lieux, l’argent, l’argent surtout, des liasses incroyables de billets et des coffres d’or, les héros, toujours (?) deux par deux, des barbouzes qui ont changé de vie, qui ont agi au Vietnam et qui ont agi dans les années 80 au milieu des guérillas de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. Il y a ceux qui savent que les premiers ont agi et ceux qui ne savent pas tout mais ont servi de boucs-émissaires et savent plus que s’ils savaient, sortes de messagers, chez Oedipe le gars de l’escorte du roi au croisement des routes se sauve et vingt ans plus tard il revient pour dire combien ils étaient sur le chemin quand on tua le roi. Ils étaient ? Non, il était, 1 seul, et c’est un indice.

Songer avoir lu que s’il y a quelque chose qui est comparable au départ des jeunes convertis en Syrie 2014 (pas si nombreux que ça, en fait), c’est le départ dans les années 80 de tout un tas de jeunes gens en Amérique latine qui voulaient empêcher le Nord de dominer le Sud mais ce n’est pas ce que je voulais dire, je voulais dire que dans les romans de Ross Thomas tout est dans le dialogue, dialogues et échanges sont des planches de salut – par ailleurs tout est si mouvant. Justement tout est si mouvant que tu as un doute : le dialogue l’est aussi, mouvant et il est de la triche – qui triche ? Sans doute les deux qui parlent trichent. Deux qui parlent trichent. Ils le font bien et les mots prononcés il faut les dénuder pour les comprendre ; ce qui compte n’est pas leur noyau, leur petite chair malade mais leur mise en situation. Prenons le dialogue au niveau du signifiant, au niveau le plus superficiel, c’est qu’on est dans le jeu, c’est qu’on a (et/ou n’a pas) les codes, personne n’a tous les codes, c’est ce qui est vachement excitant. Tout est si faux, traîtrise – et bizarrement, ça ajoute du vrai au dialogue. Parce que dans l’instant précis où ça parle, tout pèse. Peu importe que les mots, eux, ne valent que pour leur costume. Rien n’est plus pesant ni plus vrai que l’instant où s’échangent les mots et les liasses de billets. C’est pour ça que c’est vrai : c’est lourd. Toute branche branle, mais ce moment où les regards se croisent, et les paroles.

L’histoire des arbres à planter quand une caravane démarre, c’est Tonio qui nous l’a dit. Le même soir : celui qui possède les histoires et les colporte, dans ces formes de théâtre, les Pastorales, en Soule, c’est le clown, un bohémien, un bouffon du roi, un qui n’est pas dans le champ du pouvoir et peut tout dire au pouvoir. La tête ici les pieds là. Lear et son fou et cette manie de disperser ou ne pas disperser son territoire, sa maison, tant pis pour ceux qui n’ont pas, les cadets, qui partent curés ou soldats, le rouge ou le noir, ou bien émigrent pêchent la baleine ou bien font les artisans, qu’on dit cagots et qu’on tient l’écart. Cordelia, elle, n’aurait rien, c’était à cause d’un défaut de paroles, il lui manquait un mot ou une phrase, chez elle c’était pas sadique du tout, mais rien ne peut sortir de rien. On en revenait au rien. Lear allait se disperser, disperser ses territoires, la cadette émigrait, vendue un peu, à bas prix. Pas cagot, princesse, Cordelia, et soldate exilée. C’était une journée.

La nuit est venue.

Les personnages des romans de Ross Thomas sont infiniment fiables en leur instant de présence et ne sont jamais fiables hors de scène (penser tout ce que cachent leurs délicieuses silhouettes aux costumes subtils ou peignoirs de chinoiserie). Les personnages viennent ici faire de l’esprit, gagner le match de la conversation ou l’interrogatoire.

La nuit est venue.

Auparavant nous avons partagé un repas avec Jasone et JM qui s’aimaient depuis trente ans et ça se voyait. C’est à dire, des personnages comme Jasone et JM ont trouvé, semble-t-il, 30 ans auparavant, à inventer un terrain où être deux : étrangers /familiers à la fois, juste comme il faut, jamais trop ennemis, jamais à s’étouffer de terreur, jamais à trahison et balle au cœur.

Moi non. Je veux dire moi non, je n’ai pas su.

Chez Ross Thomas, on meurt vite : une balle tirée de loin, en cachette, avec silencieux, en plein cœur. Il y a ces délicieux généraux d’âge, raffinés et pleins de bonté qui se font du café comme toi et moi et souffrent de migraines comme toi et moi et se souviennent parfaitement de ce qu’ils ont fait au Salvador.

Bref, pour finir la journée, du roman d’espionnage comme de la tragédie antique.

Quand la nuit est venue, je résume : lexomyl, xyzall, prothiadhen, propanolol, j’en passe – je passe l’autre, par exemple, le somnifère. La peur, bien sûr.

La nuit a commencé. Je ne peux pas en dire beaucoup plus : elle a commencé contre mon gré et ce qui est paradoxal et me sert de sommeil à rêves est arrivé, sans doute fort tard. Droguée comme je suis. Tard dans la nuit, un comble, à revivre la journée. Un mot sadique dit à un enfant, rien, le jeu des subordonnées mais les élèves portaient des têtes de lapins comme dans un film de David Lynch ou bien ils étaient des personnages que je connais, V se moquait de quelqu’un, se moquait de quelqu’un d’autre.

C’est un moment très important. C’est là que je pouvais tenter de comprendre de quoi il était question. Quelqu’un d’autre s’appelle Suzanne. Suzanne prononcée comme si on parlait mal, un peu d’accent de Californie mais moi les accents – je ne repère pas puisque, c’est bien évident, je n’ai pas d’oreille.

V se moque de Suzanne ; Suzanne mal prononcée est un peu moi, ; d’ailleurs il y a ce moment où V explique qu’il dit Suzanne alors que ce n’est pas du tout le bon mot.

De quoi il est question : ça y est, entre le rêve et la journée s’est glissée une petite différence, sinon tout aurait été copie conforme, quel ennui, l’anicroche a eu lieu puis le rêve poursuit sa route chronologique. Lesbie pleure son oiseau mort, on avance, comme pressé, on écoute du blues, les élèves en profitent pour jouer en ligne, tant pis, tape dans les mains, s’éparpille. Puis à toute allure le couple blanc ou gris, Jasone et JM, donnent des explications sur l’amour, disent que la tragédie c’est quand ta vie dépend d’un mot et d’un autre, de ceux que tu joues là comme au casino tu joues les sommes que sont ta vie et une autre, des millions, sans comparaison. Ils rient. Les millions éparpillés, nous tombent en pluie.

Et je me réveille. L’anicroche, certes. Dans le rêve, il y a quelque chose de plus : Suzanne – je – ne – sais – qui, un double et quelqu’un d’autre. Parfaitement.

Et parallèlement quelque chose manque.

Il y avait dans cette journée quelque chose que j’ai pas su revoir en rêve, quelque chose de trop, de trop gros. Le trop gros, je l’ai vu en vain, qui enflait les rideaux et pas seulement les rideaux. Je dis en vain parce qu’il s’est passé ceci : je l’ai vu comme si je ne l’avais pas vu. Il y avait dans la réalité du vent en trop ; beaucoup de vent, une grosseur, une qui appartient aux rêves, aux films et aux histoires ; pourtant c’était dans la première partie, dans la partie vraie ou la partie en vrai. Dans la deuxième partie, la partie rêve, la tempête avait disparu. Je l’avais pas super bien entendu (à cause du fait que je n’ai pas, n’ai jamais eu d’oreille). Mon rêve avait supprimé le vent et la tempête tant je les avais découragés, vent et tempête.

Il fallait recommencer.

Je recommençais. D’abord, être à ce point privée d’oreilles, être à ce point privée, je dirais. Je commençais par la privation. Ce que ça faisait de se montrer ou d’être vue oreilles en moins, on me les a coupées, alors les pansements, oui, bien sûr. Sans oreilles : c’est aussi sans savoir et sans science.

Un temps, pour compenser, je ne mangeais pas, ou très peu. Tout l’éther très malin alors me prendrait pour sœur, je m’élèverais.

On recommence.

Salle de classe. Pas ces deux-là à côté. Merci, je comprends. Vous comprenez quoi ? Rien.

Le vent, alors, s’engouffre.

Il a pris la porte de la discussion. N’importe quelle porte ou ouverture, j’ai dit rien et il est entré. Le vent est entré. Le rideau a soufflé. C’est le moment parfait. Tu as 15 ans, te sens bête de la tête aux pieds. De la tête surtout. Les pieds trop larges ou trop courts. Patauds. De ne jamais y arriver, ne pas avoir les airs légers, les subtilités. Le vent est entré. Il a ouvert une vitre, je précise qu’on est dans la partie deux, remixée. On a recommencé. La vitre s’est brisée, ça a donné de petits bruits défaillants. C’était le fin couloir du vent, le tunnel ou tuyau du vent, il vrombissait. Nous autres, les pauvres sans oreilles (tu sais : ça te pend au nez d’être ainsi, du coup, après l’oreille, privée de langue), eh bien nous les pauvres qui n’avions pas d’oreille regardions les volutes bien repliées sur elles-mêmes, des perfections rouges et violentes, couleur d’air, les roulures ou tournures remplissaient la salle de classe, ne s’éparpillaient pas, elles faisaient la tornade droite sombre et fumeuse, ourlée comme un rêve jamais défait.

Nous les pauvres.

Ce qu’elle a fait, la tornade, un peu aiguisée en sa pointe il faut le dire, dans la salle de classe. Elle nous a touchés au cœur, nous tous, les pauvres d’oreilles.