vol d'ordinateur (après)

 

Le 16 mars 2013 quelqu’un est rentré dans la maison duhau, c’est dans la nuit, entre minuit et 4 heures du matin, je parierais sur 4 heures du matin, nous étions levés, à peine avions-nous dormi, 4 heures du matin la porte béait, un chat noir frôlait l’escalier, à cause du chat j’ai crié, la porte béait, l’ordinateur avait quitté la maison il l’avait fait emmitouflé de vêtements d’enfants, vers 8 heures trouver les vêtements d’enfants roulés dans la rue et c’est fini. Avec lui l’ordinateur toshiba 13.3 pouces emportait l’histoire recommencée de Pauvre Tom, l’Edgar de Shakespeare, j’ai laissé passer du temps et j’ai vu les eaux nous tomber dessus comme elles étaient tombées (en tempête) dans le document enfui avec toshiba sur Pauvre Tom sur pauvre Lear sur leurs accompagnants, j’ai vu les eaux nous tomber dessus, des ciels jusqu’à la cuisine, passant par le plafond (pas étanche il faut le constater), sur ma tête, sur nos têtes l’eau coulait verticale – puis horizontale courait dans les canalisations de cuivre des années 60. Des canalisations usées l’eau fluait, coulait pour de bon, se répandait au sol, sur les planches et planchers, cependant je faisais une sorte de deuil (Pauvre Tom) pensant à ce qui restait  :

– la crue des eaux, celles d’en bas et la chute de celles d’en haut

– la vraie fausse chute de Gloucester (il croit tomber sur parole de Pauvre Tom alias Edgar son fils et tombe à l’endroit où il était déjà – il était déjà tombé, répétition de la chute ou bien : nous n’irons jamais qu’à l’endroit où nous sommes)

– un autre personnage, appelé Tom par simplicité, sur les épaules de qui les eaux tombent, sur ses épaules seules, partout ailleurs le soleil ou le temps sec se maintient, sur lui et ses épaules tout tombe, il est l’excès lui-même, il rassemble l’excès

– la folie (ou assimilé), le fou ou le Fou de chez Lear

– le vagabond (à ce propos, ce que devenaient les mondes, ce que devenait le monde qu’on disait commun avec déplacements, des uns vers les autres, migrations d’ici vers là-bas, en haut toujours plus haut suivant de nouvelles routes et jouant de détours (les routes les plus difficiles sont les plus sûres, on n’attendra pas les retardataires), les déserts et les pays qu’on porte courant après le guide sous les semelles déchirées (l’aventure, faire l’aventure c’était la possibilité de finir (d’en finir) à chaque pas, ce qu’étaient à côté du désert du Niger à côté de celui de l’Algérie, à côté des traitements libyens les centres de rétention administrative français, je dis même pas les espagnols je dis pas les grecs je dis pas les autres mais les CRA français : le goulot ou le ghetto de trop, celui bien propre bien ordonné et sans passage à tabac, V ou D s’y amollissaient, y torturaient leur rapport au temps), pour ne pas lâcher il n’y avait que d’avancer, là-bas, encore, plus haut, plus loin, sans tenir compte des passages à tabac des rackets fatigues morts furtives et nombreuses jusqu’à la dernière qui vient ne vient pas va venir, sans tenir compte des insultes et des ignorances et au bout du compte, non, ça ne peut pas être ça, au bout du compte, non, pas ça, Europe, avec l’idée des euros par liasses que tu ramasses quand tu te baisses et tu te baisses plus qu’à ton tour mais pour rien, pas ça ; reste un attachement, un lien antique une figure maternelle et enfantine et de toute façon très antique, ça y est c’est l’exil

– l’image vue revue d’un homme qui porte dans ses bras un enfant ou une enfant, ici l’enfant est une fille, elle s’appelle Gabrielle, jupes, joue roses, a joué des tours aux uns aux autres, elle est liée à toute sorte d’événements dont un, que j’avais écrit, resté dans toshiba enveloppé de vêtements d’enfants qui a pris la porte le 16 mars, dont un, donc : Gabrielle rendait un jeune flic, Ziad, fou d’amour, ils revenaient de loin tous les deux, à la fin ça finit, l’histoire, ainsi : Ziad porte dans ses bras le corps déjeté de Gabrielle, ses jambes tombent, son cou est renversé, elle est morte, Ziad avance, pas lents, les ciels ne pleuvent plus sur eux,il n’y a plus rien d’un excès quelconque, fin des ciels et des routes, en même temps. Fin du récit. Des récits ? Le roi Lear et Cordélia, j’y ai pensé.

Il fallait recomposer, j’aimais l’idée que ça avait été fait, déjà, une fois ou plein de fois et qu’il fallait recommencer. Cependant les jours se suivaient, les rêves et les coups de téléphone aussi et des idées se suivaient (avec de brusques, tristes, angoissantes suspensions), il pleuvait sans cesse, on était à la fin du mois de mars, dans la nuit j’avais trouvé l’idée d’une montagne à gravir et nous la gravissions et j’avais perdu quelqu’un de très cher (je le sus par la suite : le très cher n’était pas loin, il dormait sur la pelouse, en retrait), j’avançais et tout là haut un écrivain parlait, ses paroles étaient d’or, les plaines disposées sur la haute montagne étaient d’or elles aussi, on se doutait (quant à moi la perte du très cher me mettait la puce à l’oreille) que n’étaient si faciles ni l’or ni les paroles ni les blés ni les dispositions, quelqu’un parlait auprès de moi qui commentait les paroles magnifiques de l’écrivain (ce qu’il disait de précieux, de précis) : une fille qui contredit l’écrivain et m’empêche d’écouter, j’appelle la fille Gabrielle pour simplifier, Gabrielle d’aujourd’hui et de mon rêve qui ne cesse de contredire, de trouver des difficultés et des embûches à la sérénité de l’écrivain et à ce qu’au réveil je dois bien appeler amour, à l’amour oui, qu’il exprimait, l’écrivain, non pas amour du général mais amour de Gabrielle elle-même, de la Gabrielle qui n’en voulait pas, de l’amour, qui ne voulait pas être dupe, est-ce que je sais. Qui se méfiait, Gabrielle, de ce que disait de radicalement amoureux le bonhomme sur la haute montagne aux blés crevés.

J’ai pensé à une figure échappée jusque là (restée dans le toshiba échappé) : une fille Hannah cachait une autre Hannah. J’ai quelques personnages, Hannah deux fois, Tom deux fois, Ziad et Gabrielle. Quant aux 2 Hannah, l’une est infirmière, elle a trouvé la deuxième aux urgences, la deuxième avait perdu son identité, sa mémoire, ses histoires. Elle avait sur elle beaucoup d’argent (des liasses), une perle rouge (rubis, ancienne boucle d’oreille détachée de son support) et elle était vêtue comme un homme. La première Hannah recueille la deuxième, l’habille, la cache, lui donne son prénom, à défaut de sa mémoire. Ça faisait un bon prologue, à défaut d’un bon début.

non variable

On dit que les immolations se poursuivent. Hier très légèrement au nord de chez nous à l’ouest un homme a préparé le sacrifice, a envoyé un 1er mail puis un 2ème mail, il y avait ce décompte des jours travaillés dans l’année on lui avait dit On tombe sur une entourloupe vous devez 600 euros (cependant le patron des usines R promettait 30% de son revenu variable et s’il n’en recevait rien du variable, pas 70% mais rien, du variable, pour 1 année touchait aux 3 millions), une entourloupe alors l’homme 40 ans rentre chez lui, sourire tranquille aux voisins, 1 mail et un 2ème mail à Pôle emploi, je vais mourir devant chez vous, 1 coup de fil, On vous fait cadeau des 600 euros et lundi c’était fermé et mardi il y avait les flics mais il faut partir en bouquet et beauté, l’homme est venu en bus le mercredi s’est aspergé d’essence dans le dos des flics, quand on veut finir en bouquet apothéose on finit on asperge on cachette on court le briquet dans la main droite on dresse les mains on court encore tandis que les flammes montent lèchent, on vient mourir devant les flics devant la porte de Pôle Emploi, ils lui avaient dit On va vous les enlever les 600 euros pour l’entourloupe d’avoir reçu les allocations chômages alors que vous travailliez vous ne nous l’aviez pas déclaré 600 euros un non variable de 600 euros que vous devez à l’Etat et tout ça ça va finir avec sourire, tranquille, il cachait bien son jeu s’il était déprimé, un bidon d’essence le dernier, un briquet le dernier et les flammes jusqu’aux pieds des flics qui veulent l’empêcher de finir en bouquet pour le non variable à payer 600 euros, 40 ans, On va vous les retirer les 600, on appelle les flics les pompiers vous ne monterez pas la gerbe puissante que vous êtes avec vos 600 euros de moins / de plus avec votre entourloupe votre sourire tranquille, vous ne la monterez pas votre gerbe de feu, il l’a montée puis elle est tombée, dedans un corps, ce corps, 40 ans, 600 euros, pieds des flics et seuil de Pôle Emploi.

Sémélé & Junon, livre III, les métamorphoses, Ovide

La rumeur est double : pour les uns la déesse semble

Plus cruelle qu’il n’est juste. Les autres la louent, la disent digne

De sa stricte virginité. Tous se trouvent des raisons.

Seule l’épouse de Jupiter ne dit rien, ni ne blâme ni n’approuve,

Juste  se réjouit du désastre sur la maison que conduit Agénor

Et ce qu’elle a amassé contre la putain de Tyr comme

Haine, la transfère sur toute la famille. Voici que s’ajoute

Une raison nouvelle : elle souffre que soit grosse de la semence du grand

Jupiter, Sémélé ; elle se laisse aller, va faire une scène mais :

« A quoi m’ont servi toutes ces scènes ? » dit-elle.

C’est cette femme que je dois trouver, cette femme, si je suis bien

La grande Junon,  que je dois perdre, si ma main

A le droit de tenir le sceptre de pierreries, si je suis reine et de Jupiter

Si je suis sœur et épouse. Sœur, c’est sûr. Ce n’est qu’une simple coucherie ?

La fille s’en contente  – et pour moi une petite honte.

Mais elle est enceinte. Il ne manquait plus que ça. Son crime, tout le monde le voit,

Elle en a plein le ventre, et mère, ce que moi j’ai eu à peine, elle veut

De Jupiter seul, l’être. Quelle confiance en sa beauté.

Elle va se la perdre, je le jure. Ou je ne suis pas fille de Saturne si elle

Ne pénètre pas, noyée par son Jupiter, dans les eaux du Styx. »

Junon se lève de son trône. Cachée sous un nuage roux

Elle approche du seuil de Sémélé. Elle n’ôte pas le nuage avant

D’imiter une vieille, pose des cheveux blancs sur ses tempes,

Laboure sa peau de rides et d’un pas tremblant

Porte ses jambes courbées ; elle se fait aussi une voix de vieille,

Celle de Béroé d’Epidaure, nourrice de Sémélé.

Après qu’elle a trompé Sémélé par ses paroles, qu’elles ont longtemps parlé,

Elles en viennent au nom de Jupiter. Elle soupire : « je souhaite

Que ce soit bien Jupiter », dit-elle, « mais je crains tout. Nombreux

Sous le nom de dieux les hommes qui entrent dans des couches sages.

Et si c’est Jupiter  ce n’est pas assez ; qu’il donne une preuve d’amour

Si c’est lui le vrai ; grand et beau comme il est quand la haute

Junon le reçoit, aussi grand et aussi beau, demande

Qu’il te donne ça en t’embrassant, qu’il prenne sur lui toute la gloire. »

Junon avait influencé la fille de Cadmos, l’ignorante.

Celle-ci demande à Jupiter un cadeau, qu’elle ne nomme pas.

Le dieu : « choisis, dit-il, tu ne connaîtras aucun refus,

Crois-moi, que m’en soient témoins les dieux

Du torrent du Styx ; il fait peur, ce dieu, même aux dieux. »

Joyeuse de son malheur et puissante à l’excès et prête à mourir d’être

Obéie par son amant, Sémélé : « comme tu es quand la fille de Saturne, dit-elle,

T’embrasse, quand vous entrez dans le pacte de Vénus,

Donne-moi ça. » Elle parle encore, le dieu veut lui fermer

La bouche. Déjà elle est partie, la voix rapide, dans les airs.

Il gémit. Rien à faire, elle ne peut pas ne pas avoir désiré ni lui ne pas

Avoir juré. Alors, infiniment triste, dans les hauteurs

Du ciel il monte et d’un signe de tête fait suivre

Les nuages auxquels il joint les orages, les éclairs mêlés

Aux vents, le tonnerre et la foudre bien sûr.

Autant qu’il peut, il essaie d’abandonner ses forces

Et non, le feu avec quoi il a battu Typhon aux cent mains,

Il ne s’en arme pas; il  y a trop de férocité là-dedans.

Il y a une autre foudre, plus légère, à quoi la main des Cyclopes

A donné moins de cruauté, moins de flamme et moins de colère.

Les dieux l’appellent foudre seconde. Il la prend et entre

Dans la maison d’Agénor. Le corps mortel ne supporte pas

Le déchaînement et prend feu, sous le cadeau d’amour, dans les airs.

Le bébé inachevé du ventre maternel

Est arraché et tout tendre (s’il faut le croire)

Est cousu dans la cuisse du père pour finir son temps de mère.

En douce Ino sa tante le prend au berceau,

Et l’élève ; puis on le donne aux nymphes de Nysa qui

Le cachent dans leur grotte et le nourrissent de lait.