Arachné (Ovide, VI, 3-104)

Pallas : « louer est peu de chose. Il faut être louée.
Ne pas laisser sans punir mépriser ma divinité. »

Elle tourne son idée vers le sort d’Arachné de Méonie.
Celle-ci ne lui cédait pas dans l’art de tisser la laine :
elle s’en vantait. Ni par son état ni par son nom elle
n’était célèbre – mais par son art. Son père était Idmon de Colophon,
il teignait de pourpre de Phocée les laines qui ont soif.
La mère était morte mais venait du peuple
comme son mari. Arachné pourtant dans les villes
s’était fait un nom inoubliable, à force de talent, même si
elle était née dans une petite maison et habitait la petite Hypaepa.
Pour voir son magnifique travail souvent
les nymphes laissaient les vignes du Timolus,
les nymphes laissaient les ondes du Pactole.
Un plaisir : regarder les robes toutes faites, mais surtout,
regarder comment elle se font, il y a de la beauté dans cet art.
Soit elle roulait la laine brute en pelotes,
soit elle pressait le travail entre ses doigts, attendrissait d’une longue
poussée les cordons qui ressemblaient à des nuages puis recommençait,
soit elle tournait le fuseau arrondi d’un pouce léger,
soit à l’aiguille elle dessinait : on la disait élève de Pallas.
Elle le niait, choquée d’avoir une maîtresse, même grande :
« qu’elle se batte contre moi. Vaincue, je ne refuserai rien. »

Pallas imite une vieille dame, à ses tempes colle de faux cheveux blancs
et d’un bâton soutient ses membres fragiles.
Elle commence : « le grand âge ne nous porte pas que
des maux à fuir. L’expérience nous vient avec les années.
Ne méprise pas mon conseil. Cherche toi la plus belle
réputation de faiseuse de laine chez les mortels.
Cède à la déesse et pour tes paroles, prétentieuse,
à voix suppliante, demande le pardon. Ce pardon qu’elle donnera à qui le demande. »

Arachné la regarde de travers, abandonne les fils commencés,
retient à peine sa main, son visage montre une colère
noire et elle répond à Pallas :
« Pauvre folle, au bout de ta longue vieillesse,
avoir trop longtemps vécu, quelle misère. Que t’écoute
ta belle-fille si tu en as ou si tu en as, ta fille.
Moi j’ai assez de mes conseils à moi. Ne crois pas
m’être utile avec ton avis. Mon opinion reste la même.
Pourquoi ne vient-elle pas elle-même ? Pourquoi évite-t-elle le combat ? »

Alors la déesse : « elle est venue ». Et elle retire sa forme de vieille
et se montre Pallas. Les nymphes adorent sa divinité,
les femmes de Mygdon aussi. La seule qui n’a pas peur, c’est la fille.
Elle a rougi – subite, la rougeur a marqué malgré elle
son visage puis s’évanouit comme l’air
pourpre le fait dès qu’Aurore bouge,
comme après un petit temps l’air blanchit, soleil levé.
Arachné reste là, dans le désir d’une palme stupide
elle court au malheur ; la fille de Jupiter ne recule plus,
ne prévient plus, ne diffère plus le combat.

Tout de suite les deux s’installent, d’un côté et d’autre,
tendent deux toiles sur le fin métier à tisser ;
toile nouée, un roseau sépare le métier,
au milieu, la trame, de la navette aiguë, se faufile,
les doigts la prolongent et entre les métiers
les dents taillées dans le peigne qu’on frappe cognent.
Toutes les deux vont vite, une robe ceint leur poitrine,
leurs bras habiles bougent, le talent trompe le travail.
Là, la pourpre qui sent le cuivre de Tyr
est tissée avec des ombres fragiles aux petites nuances
– comme après que les rayons du soleil sont frappés par la pluie un arc
couvre le ciel immense d’une longue courbure,
au-dedans, variées, les ombres brillent de mille couleurs,
juste le passage trompe les yeux qui regardent,
ce qui se touche est semblable, juste les extrémités se distinguent.
Là, l’or souple se mêle aux fils
et de la vieille histoire est racontée sur la toile.

Pallas, c’est le rocher de Mars, sur la citadelle de Cécrops,
qu’elle peint. Et l’antique débat autour du nom de cette terre.
Les douze dieux du ciel, sur leurs sièges hauts, Jupiter au milieu,
en majesté sacrée, sont assis. Jupiter, image royale.
Elle fait le dieu de la mer : debout, qui frappe de son long trident
les rochers escarpés. Du milieu de la blessure du rocher
bondit le flot, preuve qu’il réclame la ville.
A elle-même elle se donne le bouclier, se donne la lance de pointe aiguë,
se donne le casque pour la tête ; sa poitrine est défendue de l’égide,
elle figure que la terre, frappée de la pointe de sa lance
fait naître un olivier avec des fruits pâles,
et les dieux admirent. Une Victoire pour la fin.
Pour que sa rivale comprenne par l’exemple de sa gloire
le prix qu’elle peut attendre pour sa folle audace,
aux quatre coins elle ajoute quatre combats,
clairs de couleur, différents parce que modèles réduits.
Dans un coin, on a Rhodope de Thrace et Hémus,
aujourd’hui montagnes glacées, corps mortels alors,
qui avaient pris sur eux les noms des plus grands dieux.
Le sort lamentable de la mère de Pygmée
de l’autre côté. Junon l’a vaincue au combat, a ordonné
qu’elle soit une grue et qu’elle déclare la guerre à son peuple.
Elle peint aussi Antigone qui a osé rivaliser
avec l’épouse du grand Jupiter, la reine Junon
l’a changée en oiseau et ni Ilion ni son père Laomédon
n’ont empêché que toute blanche, vêtue de plumes,
cigogne, elle ne s’applaudît elle-même de son bec cliquetant.
Il reste un côté, c’est Cinyras en deuil,
les escaliers du temple, les membres de ses enfants,
il les embrasse, se jette sur la pierre, pleure. C’est ce qu’on voit.
Pallas dessine sur les bords les oliviers de la paix.
C’est une manière, par son arbre, de mettre fin à son travail.

Arachné dessine Europe, trompée par l’image
d’un taureau. On dirait un vrai taureau, de vrais flots.
On voit Europe qui regarde les terres qu’elle quitte,
on la voit crier vers ses compagnes et craindre le toucher
de l’eau bondissante et relever ses pieds timides.
Elle fait aussi Astérie, prise par un aigle en lutte,
elle fait Leda, couchée sous les ailes d’un cygne,
elle ajoute, caché sous une image de Satyre, Jupiter,
il donne deux bébés à la très jolie fille de Nyctée.
Le voici Amphitryon avec toi, reine de de Tirynthe, il prend,
il est or avec Danaé, feu pour jouer avec la fille d’Asopus,
berger avec Mnemosyme, serpent bigarré avec la fille de Déo.
Toi aussi, Neptune, changé en taureau fou
de la fille d’Eole, elle te dessine ; sous visage d’Enipée
tu conçois les Aloïdes, bélier tu abuses de la fille de Bisalte
et elle t’a senti passer, blonde de cheveux, la mère très tendre des moissons,
elle t’a senti cheval et elle, avec sa crinière de couleuvres, t’a senti oiseau,
la mère du cheval-oiseau et elle, Mélantho, t’a senti dauphin.
A chacun elle rend son apparence, aux lieux elle rend leur
apparence. Voici Phoebus en image de paysan,
avec une fois les plumes de l’épervier, une fois la peau d’un lion,
berger il joue de la fille de Macarée, Issé,
Liber déguisé en grappe de raisin trompe Erigone,
Saturne en cheval donne vie à Chiron-le-double.
Le bord de la toile, cerclé d’une fine frange,
montre des fleurs et du lierre tout entrelacés.

Pallas ne peut rien, la Jalousie ne peut rien
contre ce travail ; la mégère blonde souffre de ce succès,
déchire l’oeuvre de couleur, les crimes des dieux du ciel tissés,
elle tient la navette, venue du mont Cyrore et avec,
trois fois, quatre fois, frappe le front d’Arachné.
La pauvre ne supporte pas. Désespérée, d’un lacet elle se serre
à la gorge. Elle est pendue, Pallas a pitié et la soulage :
« que tu vives mais vive pendue, pauvre fille ! » dit-elle.
« Et cette même loi, cette peine, n’espère pas sur l’avenir,
je l’édicte pour toute ta famille, tes nerveux lointains. »
Elle s’éloigne et l’arrose des sucs d’une herbe d’Hécate,
aussitôt les cheveux touchés du triste poison
tombent, et avec eux le nez et les oreilles,
la tête devient minuscule, elle est toute petite de corps,
à son flanc des doigts maigres s’accrochent, comme des jambes,
tout le reste est le ventre. Il lui reste pourtant de quoi
tisser, l’araignée travaille comme autrefois sa toile.