Archives mensuelles : janvier 2012
fils et fille de titans
Ils versent un peu de l’eau puisée
Sur leurs vêtements et leur tête ; ils tournent les pas
Vers le sanctuaire de la déesse sacrée, les pentes du toit blanchissaient
D’une vilaine mousse et les autels, debout, étaient sans feux.
Devant les escaliers du temple, l’un et l’autre se couchent,
Et penchés en avant, au sol, angoissés, donnent leur bouche à la pierre gelée.
Ils disent : « si sous les prières justes, les divinités, vaincues,
S’attendrissent, si la colère de la déesse est retournée,
Dis, Thémis, par quel art peut-on réparer la ruine de notre espèce ?
Offre de l’aide, Très Douce, aux choses immergées. »
La déesse est émue et rend cet oracle : « éloignez-vous du temple,
Couvrez-vous la tête, détachez vos ceintures
Et derrière votre dos jetez les os de la Grande vieille mère. »
Ils restent longtemps interdits ; Pyrrha rompt le silence
La première et refuse d’obéir aux ordres de la déesse,
Elle demande d’une voix effrayée qu’elle lui pardonne mais elle a peur
De blesser avec des os jetés les ombres d’une mère.
Ils cherchent cependant à comprendre, dans des ténèbres aveugles,
Les paroles obscures et les agitent en eux et entre eux.
Le fils de Prométhée caresse la fille d’Epiméthée de paroles
Apaisantes et : « ou mon intelligence me trompe
Ou les oracles religieux ne commandent jamais le crime.
La terre est une Grande vieille mère. Les cailloux dans le corps de la terre
On peut les dire os ; on nous ordonne de les jeter derrière notre dos. »
La fille du Titan est émue de l’interprétation de son mari,
Elle doute pourtant de son espoir tant ils se méfient tous deux
Des conseils célestes ; mais quel danger à essayer ?
Ils s’éloignent, voilent leur tête, délacent leur tunique
Et envoient derrière leurs pas les cailloux qu’on a dits.
Les pierres (qui le croirait, mais l’Histoire en témoigne)
Commencent à perdre leur dureté, leur rigidité ;
Un peu de temps et elles s’amollissent, amollies elles prennent forme.
Bientôt, elles grandissent, une plus douce nature
Leur vient, de sorte, mais ce n’est pas manifeste, qu’on peut voir
Une forme d’être humain, comme ébauchée dans le marbre,
Pas précise assez, très semblable à une statue brute
Dont une part, avec un peu de suc, est humide
Et faite de terre ; la forme changée sert de corps.
Ce qui est solide et ne peut être fléchi se change en os,
Ce qui était veine, sous le même nom, demeure.
En un bref instant, sous la volonté des dieux, les pierres
Envoyées par les mains d’un homme dessinent la figure d’un homme
Et du geste d’une femme une femme est réparée.
A notre humanité
« Sur le chemin de halage, Emmy ouvre les yeux. Quand elle s’est endormie, les nuages faisaient des formes aux gris profonds, tout ça se délavait vite, elle avait hâte d’en finir. Tom a disparu. Elle tend les mains dans les airs du dessus pour attraper la silhouette invisible. Tom, dit-elle, je m’appelle Madeleine, se pourrait-il que tu prononces mon vrai prénom. Un silence répond, un frottement. Ou bien ce sont les morts qui gigotent sous la terre ou bien ce sont les mortes. Dans les caves des couvents, disait Tante M., les os des religieuses torturées se plaignaient ou sifflaient en douce. Du vent dans les os vides des corps des sœurs. Tu entends, pauvre Tom, dit Emmy qui s’appelle Madeleine à Tom qui n’est pas là. Elle l’a touché cette nuit, elle a sur la petite peau des paumes l’odeur du corps de Tom. D’abord il a ôté son costume. »
On en parle :
- http://www.librairie-du-rivage.com
- http://remue.net
- Bénédicte Heim
- Sud ouest ( pdf)
- L’humanité – Jean-Claude Lebrun – lien – pdf
- Médiapart – Dominique Conil – lien – pdf
Se le procurer :
Kerouac Chefjec Proust Deleuze Lowry
Littérature et cinéma : c’est l’intitulé du futur atelier d’écriture à la médiathèque de Biarritz. Un intitulé de départ, duquel on fait ce que l’on veut. Et là c’est tellement large, possible, énorme, ouvert. Bien sûr pensé aux adaptations, celles que j’aime, Mouchette Bresson Bernanos. Avec Delphine, au scénario de la Maman et la putain. A L’amour existe, de Pialat. Théorème. Je ne sais pas où est cette image, peut-être Tarkosvski, mais un arbre monte, monte et sort du cadre. A tout ce que je ne connais pas. A ce que je connais un peu trop. Sans soleil. Pour l’heure j’ai fait autrement. Pas plus vite, pas plus mal, mais proche, proche.
Sergio Chefjec et son arbre qui monte à la page 105 de Mes deux mondes. La scène commence devant le lac, une aventure dit Chefjec, alors qu’une petite fille et son père en pédalo s’éloignent, s’éloignent. Et l’écrivain regarde la scène (banale familière mais recelant l’aventure), l’écrivain écrit sur le bord, dans un café où l’on pense qu’écrivent les écrivains.
A la page 45 des Souterrains de Kerouac Mardou est juchée sur une barrière et on la voit fixement regarder le Noir avec un peu de brume qui se dégage de sa bouche brune. Plus tard elle descendra, coeur battant dans la nuit de Frisco. Quand elle était sur la barrière on a eu L’Asie, la chaîne Alaskienne, les désastres du Nouveau Monde, les poneys indiens, l’Egypte les Aztèques et les Grecs.
A la page 149 de la dernière version de Lunar caustic de Lowry, une scène se dessine, d’une netteté extraordinaire. Petit bassin, tonnerre, feuilles et bourgeons tombant puis Bill fait deux pas dans la salle. Hop, on voit un homme en haillons, loin au-dessus une jeune fille au col blanc, loin au-dessous des feuilles qui volettent. Au milieu et parmi, des morts, des dormeurs, des fantômes, pas mal de tristesse. Et puis j’ai entouré Chefjec, Lowry et Kerouac de deux textes connus, ici tronqués.
« Une voix parle de quelque chose. On parle de quelque chose. En même temps on nous fait voir autre chose. Et enfin ce dont on nous parle est sous ce qu’on nous fait voir. (…) La parole s’élève dans l’air, en même temps que la terre qu’on voit s’enfonce de plus en plus. ou plutôt en même temps que cette parole s’élève dans l’air, cela dont elle nous parlait s’enfonce sous la terre. (…) »
« Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. Ce que nous appelons réalité est un certain rapport entre sensations et souvenirs qui nous entourent simultanément. (…) La vérité ne commencera qu’au moment où l’écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport… »