Le fleuve, donc. Des cimes d’arbres renversées. Puis emportées par les courants. Te dire ça : les courants, les remous, les vagues dans le fleuve. Droites verticales. Emportant les branchages et bientôt troncs emportant jusqu’au souvenir des sous-facturations que faisaient les sociétés bidons aux hommes d’état pour leur pub qui, la différence, faisaient payer, les millions de différences, faisaient payer par les partis et t’as vu la tête des partis, la tête des écoles t’as vu et la tête des écoles d’à côté, écoles et écrivains publics d’à côté qui marchent du tonnerre et les poètes sur la place et tous ceux d’entre nous qui mangent des haricots parce que ça nourrit les haricots d’ailleurs c’est un climat à haricots. Comme je te dis. Dans les forêts des poètes s’élancent, si tu leur parles poésie ils protestent, humbles et amusés, disent ça surgit parce qu’il y a un public comme pour Orphée les bêtes et les arbres, ça remue, avance, sur la place, sur la place ou en lisière, attendant la tempête et la tempête trace un rayon jaune et fabuleux, une arche de lumière, cette sorte d’électricité qui te fend les cieux sauf que ce n’est pas encore des cieux, c’est avant, bien avant les cieux, la lumière dessine la trace comme une arche et dessous restent les sous-factures et les millions d’en plus et chaque mot de travers et les poussières, l’arche violette en rougit de surgir là en ce point d’Est, elle est un symptôme, ne se cache pas comme symptôme, éclate le symptôme qu’elle est, fabriquant un dessus par-dessus les dessous, comme du temps où un volcan cachait un géant puis le géant gigotant faisait de lui-même une île cerclée des flots fameux et calmes calmes bleus comme si tu durais, pouvais durer et endurer, les dessous matelassés de billets de banque et de factures sur ou sous et de mots tissés de travers, à l’envers, les mots les mots tu les connais, 1 quand c’est 0, 1 à la place de 0 et tu composes vivant(e) avec l’absence, le contraire possible, tu es moche à celle que tu trouves la plus belle et quand lui que tu aimes meurt tu vas jusqu’à le jusqu’à le – le- le jusqu’à en faire du bon vivant, du socle et statue, tu dresses, ériges, suscites. Parfois d’autres fois tu annules à tire larigot. Comme je te dis. Parfois ils en sont arrivés là, les mots, ils ont fait rotation totale si bien que tu dis 0 quand tu désires 0 et il faut inverser de nouveau, faire tourner la machine à dresser, les désirs étaient morts, les appétits seuls criaient encore et encore comme appétit, on a des doutes. Plutôt prédation ou gloutonnerie, il n’y avait plus rien de beau ou d’excitant là-dedans car cette flèche, l’élan qui va et veut (veut l’amour total), cette flèche tournait dans le vide innommable et le vide c’est grand, l’innommable une grande plaine, 0 quand c’est 0, cette flèche cherchait et crachait en même temps venin et désespoir ; bien, il fallait faire la grande rotation, tu ne me manques pas pour l’affreuse souffrance de la privation, tu ne manques pas et c’est alors que l’arche, là-haut, ce moment où Zelda rentrait au campement après une nuit d’amour (aussi simple que ça), c’est alors que l’arche traversait d’Est en Ouest, une chose qui se dresse, surgit, il te faut continuer, répéter jusqu’à plus soif, c’est alors que l’arche traversait ce qui n’était pas encore le ciel ou les cieux mais le et les devenait, l’arche brille, brise, crée le dessus, les dessus.
Le fleuve, donc. Le silence était total. Plus un oiseau plus un hibou nulle part plus un lion ni un ours. Quant aux chiens ça faisait bien longtemps et un cheval de temps à autre, tout ce qu’on pouvait manger on mangeait. Il n’y avait que les mouches aux abords de la ville, il n’y avait plus que les mouches et tout près de l’ancienne prison 4 silhouettes grelottantes de peur et d’épuisement, couvertes de cendres et d’airs poisseux, dégoulinants, dans le lot des 4 est la fille, impeccable, au milieu du désastre quasi impeccable et indifférente semble-t-il faut-il dire. Des mouches mais pas un bruit, pas un vrombissement, des mouches aux dents poussées rougies du vieux sang des morts, de pus. 4 silhouettes et l’1 d’entre elles (mâle) la plus valide, celle d’un fils qui se croyait légitime et harcelait au bord de l’abîme, il n’y a pas si longtemps, son père aveugle. Il y a toujours eu un abîme avant, et on ne tombe que parce qu’on est déjà tombé. Innocent, trompé, le pire des trompés et le pire des innocents tue son frère illégitime, l’autre Ed, l’autre, l’autre. Le légitime, harcelé et harceleur comme il tourne, qu’à cela ne tienne , il est ou n’est pas l’autre, qu’il tue, pour la peine. Ne bascule pas complètement, notre Ed, à preuve sa présence ici, dans la ville en proie aux eaux et à la folie des vents (toute chose est au roi, sauf le vent). Sa présence auprès du Grec et de la fille impassible (visage long, cheveux longs, jambes longues, le tout bien soigné malgré les conditions, rien d’affecté, rien en sueur, rien d’inquiet), sa présence auprès du vieux Kent (barbu/non barbu c’est selon, porteur de nouvelles, de lettres et bâton de vieillesse du roi – au roi tout appartient, sauf le vent), la présence d’Ed qui faisait le fou dans les forêts pour ne pas l’être atteste qu’après avoir tué son frère il n’a pas renoncé à tenter d’être le légitime comme il a toujours cru et comme on a toujours dit. Il est là, en lutte. Lutte dans la ville, au pied de l’ancienne prison, contre la tempête qui déferle et les poussières et les gros troncs d’arbres déracinés, pour libérer le roi Lear et sa fille cadette que le bâtard frère mort a emprisonnés avant sa mort, ici. On se tient les uns les autres. Que la fille impassible qui n’a pas besoin de tenir aux autres, parfois elle frétille, inflige deux ou trois coups de canne qu’elle tient dans sa main droite au sol qui frétille en réponse – ouverture théâtrale.
Ed le fils survivant et cette sorte de début de rêve : ce qui vient avant sommeil, l’espace autour de soi, petite aire, sac ou bulle, buée. La buée se dessine, c’est le rêve : un homme et une femme aux lèvres jointes pour un baiser, les bouches s’entre-dévorent, soudain ou pas soudain, lentement, affreusement lentement, les bouches se dévorent, l’une prend l’autre et le contraire, ça ne fait plus qu’un seul visage mais difforme, cubique mou à la fois, inconsistant, joues molles comme montres gluantes, après l’espace c’est le temps qui joue sa partition, les 2 que nous étions, à nous embrasser, bravo, une figure atroce, décomposée, un instant.
C’est l’image que reçoit Ed, le plus valide d’entre nous, sous le porche de l’ancienne prison de ville alors qu’on sombre dans un sommeil étrange, une sorte d’évanouissement. C’est que la tempête fait rage.
Le fleuve, donc. On ne peut plus dire vague ; et ça ne flue plus ; ça ne charrie plus ; ça se soulève, horizontalement. Une colonne de mer ourlée et verte jusqu’à la nuit, jusqu’aux couleurs de nuit : la forme d’une bête, un animal marin inconnu, baleine si seulement ça y ressemblait, droit, dressé et surgissant, la vague ou flot a décidé de ne pas rouler ni d’aller de l’avant mais de faire barrage, de faire muraille, de faire dos ou front, une bête à l’œil vu de profil, œil rond et la gueule, gigantesque, fanions d’entre mâchoires, et la gueule de baleine noire, plus grosse qu’aucune, une gueule dressée sur des pattes invisibles, plantée, pattes invisibles, dans les sols limoneux, une gorge démesurée et au-dessus de la gorge la tête de baleine, au milieu l’œil rond et unique car elle est de profil, une bête de profil, toujours pas un bruit, sauf peut-être celui que font nos 4 silhouettes (moins 1 toujours impassible) grelottantes.