ABCDire

pour faire aimer à nouveau la complexité et la diversité

Appel à manifestation dintérêt et à contributions

(12  juin 2012)

Constat et objectifs principaux

Au lendemain des présidentielles 2012, l’état,  profondément fissuré, de la société française, paraît confirmé. Le vote d’extrême droite, au-delà de considérations de morale et de raison (face au mécanisme du bouc émissaire qui revient en force), apparaît comme le signe, à côté et en renforcement des difficultés socio-économiques, d’un profond ressentiment : affaiblissement du lien social et sentiment de perte à cet égard, doutes de beaucoup sur leur place dans l’ensemble national et mondial, signe aussi d’une relégation, d’une aliénation : perte de compréhension, discrédit des « élites » et anti-intellectualisme (entendu récemment « ils n’ont pas fait les études pour nous éclairer, ils les ont faites pour nous enfumer ») « collage » à des valeurs-refuges, etc..

Faisons retour au « moment Sarkozy » qui a motivé les deux « appels d’air » de 2007 et 2012, recueils collectifs de textes[1] qui entrent dans la généalogie de la présente proposition. On pourrait considérer que Sarkozy battu, il n’y a plus lieu d’en parler. Notre conviction est différente : un retour d’expérience est nécessaire sur cette période, qui, malgré les limites imposées, paradoxalement, par la crise a résumé et brutalisé la dérégulation à l’œuvre depuis  les années 90, a  laminé  les corps  intermédiaires, a représenté un moment  exacerbé d’une certaine communication politique. Nicolas Sarkozy s’est distingué autant par sa pratique du pouvoir que par celle du discours, cette dernière, brouilleuse de repères à force de virtuosité dans l’emploi  des mots, des poses, des expressions, dans l’usage des « volte-faces lexicales ». D’après nous, le masque, volontariste et rhétorique, voire patriote, de cette politique libérale, opportuniste, destructrice d’un certain équilibre social a ajouté au sentiment de perte, à la désespérance, à la tentation du nihilisme, du rejet définitif de la classe politique, au brutalisme généralisé. Il s’agit donc, après un traumatisme sous évalué de reprendre pied, collectivement, sur le terrain du langage.

Une politique « venue d’en haut », même plus juste, comme on peut raisonnablement l’espérer d’un gouvernement de gauche, même plus consensuelle et contractuellle, n’aura pas d’effets assez rapidement sensibles pour contrebalancer les forces de relégation des « pauvres » et de sécession de certains « riches », qui sont à l’œuvre. Autre facteur d’inquiétude, l’anti-intellectualisme « populaire » (comme si les intellectuels, créateurs, etc … ne faisaient pas partie du « peuple »).

A côté de mesures de relance économique et de solidarité, l’espoir réside dans la recréation du lien, à travers le travail des associations, de l’économie sociale et solidaire, dans un dialogue à reconstruire, notamment entre les « intellectuels » et le « peuple ». Relation directe parfois, médiatisée souvent : c’est le domaine  des associations, notamment de celles qui se veulent « d’éducation populaire », des « universités populaires », des regroupements philosophiques et religieux, mais aussi des médiathèques, théâtres, etc… La présente proposition se situe en amont : ces intervenants auront besoin de matériaux. Certains se situeront sur le terrain de l’explicitation et de l’explication rationnelles. D’autres plutôt dans le champ littéraire, philosophique, poétique, humoristique, pataphysique.

L’argumentation rationnelle ne suffit pas : nous souhaitons contribuer à redonner toute sa place au langage, réévaluer l’importance des représentations, des symboles, des récits, des métaphores, promouvoir ce qui peut contribuer à proposer une intelligibilité du monde, donner une prise  à ceux qui les cantonnent dans les causalités simples. Nous pensons qu’il est possible de contrer les discours simplificateurs de certains politiciens, et l’hégémonie de la communication industrialisée, manipulatrice. Nous désirons proposer à tous un réservoir de métaphores, d’histoires, de chansons, de poèmes, d’aphorismes. Tous : les militants du lien social, de l’empowerment des plus faibles, mais aussi  leurs interlocuteurs. Notre approche  assume son entrée culturelle, mais sans  élitisme, ni snobisme… ni ésotérisme. Prenons le risque d’enrichir, de complexifier la rhétorique, y compris celle de nos adversaires. Le dialogue redeviendra peut-être possible s’ils renoncent à la com’ par petites phrases simplificatrices.

 

C’est proche de notre travail à nous, écrivains, romanciers, nouvellistes, chroniqueurs, essayistes, paroliers, poètes, ou lecteurs passionnés, « amateurs » ou « professionnels »  (réserve d’oxymores) même si ça ne se confond pas avec. Nous savons en effet que la condition pour faire œuvre de création authentique est souvent qu’elle soit libérée de l’intentionnalité, qu’elle ose « ne servir à rien ». Et pourtant nous avons nous aussi nos outils, nos ateliers, des notes, des lectures, nous relevons pour nous-même telle phrase dans le journal ou à la radio, telle formulation, telle définition, qui nous renvoie un lieu commun, ou au contraire, ouvre sur un bout d’inouï, nous répondons à une idée par un aphorisme, une pirouette, une liste, etc..

 

La proposition est la suivante : de manière coopérative, mettre à disposition une partie de ces collections, de façon à offrir de l’aide à ceux qui ont besoin de nouer des dialogues, de déstabiliser les certitudes ou les postures, gentiment ou pas, d’inviter à sortir de soi. Comme le disait « Appel d’air », il s’agit peut-être de « réouvrir le langage à la création de nouveaux mondes vivables et respirables ensemble ». L’inspiration fondatrice est aussi celle de Flaubert dans le « dictionnaire des idées reçues », de Barthes dans les « Mythologiques », de Klemperer dans « LTI », etc…

 

Principes et modalités

 

L’idée est celle d’une boite à outils, dont la construction et la diffusion utiliseront les ressources d’internet. Au moins dans un premier temps, se limiter aux ressources qui ont une valeur d’inspiration ou d’illustration dans les champs économique, social, politique. Un vade mecum si les gens veulent l’utiliser ainsi, mais avec des fonds multiples.

 

Des mots et locutions à railler-dérailler (excellence ! cœur de cible ! pépite ! management !  gérer ! gouvernance ! etc)

ou à sonder, maltraiter, essorer, revisiter : (dette, compétition, croissance, projet, évaluation, richesse, main invisible, , etc..)

Mais aussi l’accès à des romans, à des pages d’essais, en privilégiant la médiation d’un lecteur (ce que ça m’a appris, à quoi ça peut répondre, qu’est-ce que ça peut illustrer).

 

Non pas la recherche de  l’exhaustivité, de  l’unification du discours (pas une approche encyclopédique, mais la polyphonie, l’humour, le contrepied, l’impertinence, le déplacement, la poésie… dans l’exigence.)

Bien entendu, c’est « en marchant », que nous affinerons progressivement la ligne éditoriale éventuelle, que l’on cherchera à « articuler », à  mettre les approches  en perspective. Nous voulons constituer cette ressource sans que cela pèse trop ni sur les auteurs, ni sur les éditeurs, en installant notre coopération  dans le temps, en  ne demandant à chacun que des efforts marginaux, compatibles avec ses activités principales. La structure du document, tout au moins pour les premières versions, sera celle d’une compilation alphabétique. Le choix est celui de l’additivité plutôt que celui de la synthèse, en favorisant le mode dialogique à l’intérieur même des entrées.

 

Sont invités à participer tous types d’auteurs, de tous types de littératures, y compris des amateurs. Transcendons les étagères, les étiquettes, les genres, à l’image des deux « Appel d’air ». On a d’ailleurs indiqué plus haut la possibilité d’inclure des notices de lectures (brèves et subjectives !), ce qui ouvre le champ à la participation de lecteurs souhaitant faire partager une œuvre.

 

A ceux qui s’étonneront de nous voir juxtaposer des propositions contradictoires, nous répondrons comme Walt Whitman :

Je me contredis ? Tant mieux, je contiens des multitudes !

 

Seront admises les propositions :

–          en adéquation avec les objectifs définis plus haut

–          témoignant d’une cohérence formelle et d’un désir de transmission

–          délestées des passions négatives (haine, ressentiment, attaques personnelles)

Toutes les contributions seront signées, les pseudonymes étant, bien entendu, admis. Les textes seront mis gratuitement à disposition du public dans un blog autonome de la revue de poésie en ligne Sitaudis. Toute participation sera bénévole.

 

 

Marie Cosnay, Michel Chantrein, Alain Damasio , Pierre Le Pillouër,

Jérôme Vincent , Vincent Wahl



[1] Editions ActuSF. Appel d’air 2, de mai 2012, peut-être gratuitement téléchargé à l’adresse suivante : http://www.editions-actusf.fr/anthologie/appel-d-air-2

en trois lettres

protection

Les caméras de surveillance dans les bus parisiens, on les appelle, c’est écrit au-dessous, caméras de protection. A la piscine où Thierry multiplie les 100 mètres, près de chez nous, à Bayonne, les cabines handicapées, et seules les cabines handicapées, sont équipées de caméras. Caméras de protection des handicapés. Adieu pudeur des handicapés. Surveillons éventuels agresseurs d’handicapés et corps des handicapés. Le surveillé est le protégé. Ou le protégé est le surveillé.

zen

L’IDTGV, ces trains moins chers que les TGV ordinaires, sont coupés en deux. IDTGV ZEN / IDTGV ZAP. On dirait une blague d’auteur de livre pour enfant. Chez les Zen, c’était mon aller. Le concept, nous a dit le jeune homme d’une voix faussement suave, d’une voix qui se forçait à être suave (je pensais à l’entretien d’embauche, comment on devait lui demander de faire plus mielleux), le concept, c’est la zen attitude. Alors rangez vos appareils à téléphoner, a dit le jeune homme qui de mielleux devenait bête. 22 ans au plus. Il insiste, se prend au jeu : et ne m’obligez pas à venir parmi vous ! Parce que… Menace restée vaine. Mon retour, c’est le ZAP. Ici on devrait aller vite, communiquer, se distraire. On distribue des ballons aux enfants. Dans le premier quart d’heure du trajet, du moins. L’hôtesse nous est présentée par haut-parleur et voix mielleuse plus âgée qu’à l’aller. Votre charmante hôtesse. A son tour. Elle dit à quel point elle est heureuse… Elle se nomme, je suis votre Barystar. Elle nous propose, nous qui sommes ZAP, de nous dire bonjour les uns aux autres, de nous saluer. Barystar, si j’ai bien compris. Bar et star. Baby. Je me suis demandé si elle vivait ça comme un truc super, d’être barystar, bébé et star du bar. Si elle le vivait bien – à l’oral, en cette minute où elle nous parle sans nous voir. Le mot nouveau, étrange, attira notre attention, oh pas longtemps. Un vieux monsieur sourit, désabusé.

copé

Copé, interrogé entre les deux tours des Législatives, expliquait qu’entre le FN et l’UMP il y avait une différence rédhibitoire. C’est sur France inter, lundi 11 je crois. Je conduisais. C’est entre midi et deux. Il y a une différence essentielle, insiste-t-il. Le journaliste le renvoie à la politique sécuritaire qui fut celle des dernières années. Différence essentielle, répète-t-il. Mince, alors, je pense. Et Copé : entre le FN et nous il y a cette incompatibilité dans la vision de l’Europe. Ah oui.

On a reproché à Jean-Luc Mélenchon d’avoir des sympathies pour Mikis Théodorakis, qui a tenu des propos antisémites que je n’ai pas retenus et qui me sont, presque autant que le tweet de Valérie Trierweiller, indifférents, non à cause de l’antisémitisme, qui ne m’est pas indifférent, mais parce qu’ils sont des ragots et que je peux avoir les mêmes à la maison, collège, quartier – presque. Machin a mangé avec Truc qui a dit quelque chose d’antisémite et donc Machin est antisémite. Ici plus précisément c’est : Machin a relayé une pétition contre les mesures d’austérité en Grèce et Truc l’a relayée. A relayé la même pétition que Machin qui avait dit des choses antisémites. Au passage on oublie que Truc a été décoré de la légion d’honneur sous Copé et cie mais ce n’est pas le propos. Si Machin a mangé avec Truc qui a dit un truc antisémite, Machin est antisémite. Et la question, qui tombe alors sous le sens, ce serait, selon Copé, Juppé et Kosciusko-Morizet : alors pourquoi nous, on serait pas raciste ? C’est vrai, pourquoi on nous reprocherait de nous rapprocher du FN puisque Mélenchon relaie les pétitions contre l’austérité en Grèce ? Pétitions qui etc etc. Le raisonnement est aussi enfantin et foireux que l’accompagnement dans nos IDTGV ZAP et ZEN. Pourtant tout le monde cherche : Theodorakis est-il antisémite ? Mélenchon le savait-il ? Antisémitisme de droite, de gauche ? C’est pas nous, c’est lui qui… En attendant

pourquoi j'aime les romans policiers

les mois sont tous venus, ils présentaient bien, ils se serraient dans des allées comme ça, ils étaient droits et fiers, les mois, faisaient voir leurs atours et leurs architectures, que faisiez-vous dans vos allées printanières interrogeait quelqu’un à qui je devais bien avouer que je n’en savais rien, ils ont tourné comme sur des roulettes, les mois, pour se montrer, droits dans leurs plus beaux vêtements, tous ensemble, les uns derrière les autres, et sages. Avec eux les mois avaient apporté de grands moments, des moments chaleureux quelles que soient les rigueurs, on prenait dans ces moments de mauvais cafés, fumait des cigarettes, buvait des eaux de vie sans souci pour ce qui se délabrait partout ou giclait d’humeurs sanglantes et comme dans un roman policier on a détaché d’un corps, au parang peut-être, une tête, de la cervelle a bondi sur un plastron, on a trouvé un cadavre au sang séché brunâtre, un mort très ancien, à l’un qui était planqué là on a fracassé le crâne au marteau, quelqu’un a laissé échapper un cri ténu et la fille qui était attachée dans la chambre voisine on l’a délivrée mais avec deux balles dans l’épaule et un nouveau coup de parang en défense et après un deuxième giclement de sang et de cervelle, une mare. Dans une pièce abominable aux volets entrebâillés, la cuisine, où la poussière est tenue par la crasse aux meubles vernis si bien qu’elle ne pourra jamais s’envoler dans un rayon de soleil comme chez Lucrèce qui voit dans ses rayons de petites peaux ravies de rencontrer d’autres petites peaux de fantaisie, on boit un café. Sur la table de formica ou de bois verni et dégueulasse on s’accoude, tout autour il y a le sang et la cervelle et derrière la porte le danger qui demeure mais on fait du nescafé et la fille délivrée au petit visage et aux cheveux très décoiffés boit le même nescafé que nous et dans la poche d’un des cadavres elle trouve une cigarette, une gauloise rouge et blonde, qu’elle nous tend, on boit le nescafé et on fume lentement et ça c’est un fameux bon moment, un de ceux qui sont venus avec les mois qui se présentent. Il y en a d’autres mais aucun n’est plus fameux que celui-ci, celui au parang, à la fille décoiffée et aux morts dont on se fout et qui restent les morts, quand on a envie de vomir et que le café sur un morceau de table en formica met tout, la morgue, les mois, les sales petits secrets, les institutions et le monde avec sa putain, l’Histoire, en attente

après l'écrasement

nous étions après l’écrasement, en soirée d’un printemps qui semblait finir mais si nous comptions bien nous avions encore un morceau de mai et tout juin avant l’été, la chaleur était étouffante si bien qu’il nous semblait toucher le bout, nous allions basculer, nous avions voté et respirions de quitter la désolation française, le délabrement moral français, cependant la Grèce votait aussi et on nous dit qu’elle devrait recommencer, cependant le parti néo nazi grec faisait des scores jamais atteint, cependant à Patras les arrivants de l’Afrique subsaharienne et les arrivants de Kaboul et les arrivants de l’Irak tournaient dans l’impossible circulation, ni retour ni avancée possible, Patras était le sac où finir coincés étouffants et la Grèce devait revoter le pays de l’asile impossible devait revoter le pays de l’asile impossible avait été en des temps dont on aime parler toujours le pays de l’asile sacro saint, celui de Thésée qui dit à Œdipe handicapé des yeux et porteur de tâche universelle et porteur du handicap universel Puisque j’ai dit qu’on te gardait on te garde et en mourant sur cette terre offerte par Thésée Œdipe la bénit la sacre en quelque sorte et prononce à voix basse un secret et il y a belle lurette qu’on a perdu le secret

Rencontre littéraire entre Laurence Vilaine et Marie Cosnay

Avec :
Laurence VILAINE, écrivainLe silence ne sera qu’un souvenir, éd. Gaïa

Marie COSNAY, professeur de lettres classiques, écrivain, pour A notre humanité, éd. Quidam Editeur (en duplex depuis Pau)

Le silence ne sera qu’un souvenir est le premier roman de Laurence Vilaine, édité chez Gaïa à l’automne 2011. Il a reçu en mai 2012 le Prix littéraire des Grandes écoles. L’histoire débute par une adresse, d’outre-tombe : celle de Miklus, un vieil homme, à un journaliste venu faire un reportage vingt ans après la chute du Mur de Berlin. Il raconte la vie de son peuple, des tsiganes, installés sur la rive slovaque du Danube, à travers la tragédie d’une famille.

 

A notre humanité est un livre de Marie Cosnay, enseignante, poète et romancière, paru en avril 2012 chez Quidam Editeur. Comme l’a écrit Jean-Claude Lebrun dans L’Humanité, c’est « une oeuvre de conviction, d’imagination et de réflexion » qui mêle le corps féminin aux mots masculins, convoque plusieurs époques, la Commune et les années 1890, la Guerre d’Espagne en 1936, et notre temps présent… et qui enchevêtre le réel et la fiction grâce à des registres d’écriture tout à la fois poétiques et politiques.

Le lien de l’émission … 

Source : http://www.franceculture.fr/emission-la-grande-table-2eme-partie-rencontre-litteraire-entre-laurence-vilaine-et-marie-cosnay-201