rêves d’automne à la fin de l’hiver

J’en étais là, confusément, à la veille de l’opération consistant à recoudre les tendons de l’épaule de celle dont on disait : elle tient debout, elle tient debout alors même qu’elle est tombée, comme elle tient debout, comme elle tient toute seule, et debout.

Elle faisait la fière et moi des rêves.

Le 1er, le 1er des rêves.

Ce sont de petits rêves, des touches de rêves, des rêves touchés d’insomnie, de réveils palpitants

Le 1er, il y a 2 personnages
D me ferme dans les toilettes. Il ne fait pas exprès, il a emporté la poignée avec lui, il faut dire que la poignée ne résiste pas à la force qu’il a. Il dit : je vais chercher un tournevis je cherche ce qu’il y a à entendre d’autre dans tourne, tourne) mais il ne revient pas, j’attends longuement, je l’appelle, le cri est éraillé, la voix s’écorche. Je m’étouffe. Il y a un 3ème personnage : la voiture. Une voiture jaune. Elle est entrée dans les toilettes avec moi et c’est moi avec elle qui étouffe. En plus, la voiture est froissée. Le pli de la carrosserie est pris. Pris le pli jaune, plissée, pliée la lèvre jaune de la voiture. J’étouffe. Et puis elle prend, à peine, comme c’est possible, ses aises. Elle se délie. Il y a du jeu. C’était notre 1ère étape. Maintenant j’attends que D ouvre la porte.

Le 2ème rêve, on me peint de jaune. Quand on passe le pinceau, petites coulées de peinture et qu’on en est au jaune, je suis finie.

Le 3ème rêve : je suis assise, passagère de la voiture que conduit le conducteur (?). On voit ou je vois une chose atroce. Crois avoir mal vu. Demande qu’on arrête la voiture. Je n’ai pas mal vu : on tranchait l’oreille d’un jeune homme au couteau. Au cutter. Il y a cette plaie et ce jeune homme brun, recroquevillé de douleur. Le trancheur d’oreille est sale, barbu, effrayant comme un forçat chez Victor Hugo ou Charles Dickens. Je lui ordonne de nous rendre le jeune homme, oreille coupée. Le jeune homme nous précède jusqu’à la voiture. Nous ? Nous sommes 4, le conducteur, le jeune homme douloureux, D que l’atteinte de l’autre à l’oreille atteint, lui, à la jambe, D est l’image du jeune homme sans oreille, il boite bas. Un autre boite bas : un chien. Le chien du jeune homme. Il s’assied à mes pieds ; tout ce monde est douloureux.

Le 4ème rêve. Roulent (en voiture) un homme et une femme et cette femme porte les seins nus, très nus, très lourds, très nus.

C’était les rêves en voiture.

On était à la veille de l’opération de celle dont on dit, alors qu’on dit des hommes qu’ils ne tiennent pas et ne peuvent pas, qu’elle tient debout, qu’elle n’est jamais dans une aussi belle énergie que lorsqu’il y a des tendons à recoudre, des sommeils à forcer.

Par ailleurs il y avait une histoire de père, c’est celui qu’Enée portait sur son dos (à croire que lui non plus, debout, ça n’allait pas de soi) mais la question qu’ils posaient tous les 2, Enée et le père, était différente. 

(Octobre 2013)

sa grand mère mourait

Rêvé d’une maison dont les portes étaient couvertes d’une couche supplémentaire de bois ou de plâtre, si c’est du bois ça s’effrite, se décolle, bois ou plâtre par dessus, couche de bois ou de plâtre, on pouvait ou pourrait gratter, avec l’ongle les ongles une spatule, il fallait le faire, c’était un désespoir que ce soit si collé, attaché, plâtre, bois, on passait là devant, on voulait faire tomber d’un coup, un coup, on passait devant, avec le chagrin. Rêvé de la maison de Kiev, pièces aux faisans d’ors de luxe ridicule, toilettes dorées brodées. Les révolutions se succédaient, les places étaient prises, on se dressait levait libérait on en avait, du mal, après, on se levait dressait libérait, on en avait du mal, après, et de l’autre côté, un autre côté, le côté, comme dirait Caroline, des Comedes et des 115 et des gosses à dormir dans la rue et le côté des gosses futurs internationaux champions de la culture et de l’art, internationaux de bouche pleine, et de l’autre côté on jouait à être l’autre côté, à attendre et commenter  – cependant dans les écoles ça se bousculait, les pauvres avec les pauvres et les internationaux de riches bouches les uns sur les autres à s’en fiche plein le nez les poches, cependant on faisait la liste des médicaments non remboursés et Louis témoignait qu’à l’hôpital ce jour-là il était le seul européen les riches vont en clinique mais à l’hôpital une fois qu’ils t’ont admis après que t’as attendu des heures et debout aux urgences en pleine hémorragie eh bien ils s’occupent bien de toi, les infirmières disent que les gens portent plainte, sont procéduriers, ne s’attaquent pas au chirurgien mais à toi l’infirmière levée à 4:00 pour être là à 6 :00 depuis ta banlieue triste et l’hiver.

 Les révolutions se succédaient, tombaient, tombaient les palais les ors les toilettes brodées les salles d’animaux empaillés les salles aux animaux vivants et cependant je regardais, envoyée par R, la photo de la maison d’Emma, jamais sans pleurer, la maison des lapins et premières peurs, la maison du lange mon petit lange perdu que j’ai écrit l’ange après, bien après, la maison du berceau orange, ange encore, dentelles et comment ça s’appelle quand dans le tissu il y a ces petits boutons de soie blanche, de l’organdi ? J’ai ce mot, organdi, qui va bien à la maison des poupées et du berceau pour la poupée construit en osier et organdi par André père de mon père le constructeur, Noël avec la cheminée où il tombait tout droit, il on ne sait qui il, ma mère ne veut pas de Père Noël alors quelqu’un d’autre, il père qui nous faisait la joie de venir par là, tomber, descendre par là, elle notre joie qui nous tombait tout droit dessus avec sa force d’énergie et ses multitudes diaprées tachetées avec ses fracassantes folies, descendait par là, par la cheminée un père qui savait descendre, un père alias notre joie. Il y avait un dessin toujours le même, la crèche la Marie le Jésus et Joseph avec les animaux pas empaillés du tout, ceux-là, réchauffés, réchauffant. Emma clignait de l’oeil faisait semblant la sévérité, se mettait en quatre complice, c’était Emma la complice et les merveilles de la chambre rouge interdite, rideaux rouges rouges et qui tombaient tout droits, eux aussi, la chambre rouge de l’ancien malheur de la mort d’André, l’impossible deuil d’Emma, le visage de la non perte, de la perte jamais, aujourd’hui je pense pensant à Emma à un mot jamais pensé pensant à elle, dépression – mais alors éléphantesque dépression, dépression à hauteur des rigolades des variétés infinies d’Emma aux 99 visages, Emma et merveilles de la chambre rouge interdites d’un oeil, et de ce côté, là, au bout du couloir, autorisée, à peine, la chambre de R aux livres cachés et petit lit, vue sur les primevères et soleil et la route, celle que R a empruntée, R le parteur et mon père le constructeur, frère et frère. La chambre de R, s’allonger sur le lit et lire Les Temps modernes, la peine au coeur super proche de la joie qui descend par la cheminée. La maison d’Emma a été vendue hier.

 Autour du mort. Je dis autour du mort et raconte l’aventure d’autour du mort. Les blagues de la mort, la phénoménale crise de rire que peut être la mort. On en devine un peu quelque chose. La rigolade et l’aventure, la putain d’épopée. On en devient l’épopée soi-même, le mort et celui à côté du mort. On a refait la crise de rire de quand il, père, et elle, joie, descendaient par la cheminée, mon père le constructeur fils d’André le constructeur et son frère le parteur riaient de plus belle, riaient de plus belle dans la chambre de la clinique où Emma mourait, où, plutôt, faisait semblant de mourir Emma comme elle avait fait semblant de tout – ah pas de chanter, pas fait semblant de chanter Emma ou je n’ai pas entendu – ce jour-là après les récits et les secrets et les petites blagues aux infirmières Emma a vu entrer dans sa chambre de future morte Marthe sa soeur Marthe et elle a fait semblant de mourir, a mordu ses joues, creusé ses joues bien au-dedans, a pris illico la couleur de la mort, raidie déjà : oooooooooooooooh elle en est à la toute fin – et je m’agite quand R m’arrête d’un oeil complice, elle fait semblant semble dire R de l’oeil complice fait semblant de mourir pour la peine de sa soeur Marthe pour la répétition de la peine de sa soeur Marthe et pour l’infinie des possibilités, parce que c’est un peu vrai aussi qu’elle est morte ce jour et un autre encore, il n’y a rien de si univoque qu’est-ce que vous croyez, elle fait semblant de mourir quand on n’est pas morte et même, même, quand ce n’est pas possible d’être morte puisqu’Emma puisque nous et c’est la vérité c’est impossible d’être morte(s) même quand on est bel et bien morte(s), elle joue, elle en aurait fait, elle en aura fait, du théâtre. Quand Marthe éplorée quitte la chambre les couleurs reviennent et Emma revient à elle. Un mauvais moment, dit-elle, elle pour qui c’était toujours comme ça, un mauvais moment, rien d’autre, rien de plus, la mort ou l’oiseau envolé ou la perte du lange de l’enfance, un mauvais moment, la mort de Caroline le canari, un mauvais moment, les pères de mes enfants échappés, un mauvais moment. Il y avait du drame pourtant, on ne comprendrait rien si on quittait un instant un instant seulement l’idée qu’il y avait du drame, ait eu du drame, les terres du drame, de la tragédie, on se mord les joues dans les terres de la fin et du drame. Drame d’André qui ne pouvait plus parler. Emma l’évoquait à l’envers : je veux dire inspirant comme imitant la maladie, André muet du cancer du fumeur devenant ventriloque dans les rouges de la chambre rouge, drame, et les petits corps d’organdi, du drame, mais à côté du drame, avec, et passionnément, il y avait du jeu. Le jeu. Emma morte pour de bon, enfin il paraît, enfin c’est ce qui se dit, Emma morte allongée visage maquillé dans la chambre mortuaire, devant elle nous tous, devant elle nous tous dans l’attitude qui sied à la chambre mortuaire. Moi, l’enfant L dans les bras, qui m’empêche à la fois d’y croire et de ne pas y croire (qui m’empêche de réveiller tout ça à coup de grands cris et d’engueulades). Soudain devant Emma qui fait semblant (Emma ton jeu de morte, on l’a pris au sérieux), soudain devant Emma maquillée surgit un flic qui doit attester qu’Emma est Emma, le flic même à qui ma soeur la veille a cassé la gueule parce qu’il la contrôlait ne comprenant pas qu’Emma allait mourir, ne comprenant pas qu’il ne fallait pas fallait pas la retarder, pas une seule une seconde de retard quand Emma va mourir, cassé la gueule, cassé la gueule et soudain il surgit dans la chambre mortuaire d’Emma, le flic à la gueule de travers, cocard sur l’oeil, encocardé par ma soeur la veille – et voilà, dit mon père, et voilà, c’est malin, ma fille vous l’avait dit pourtant, il ne fallait pas la contrôler, sa grand-mère mourait. 

une phrase magnifique

Mardi, piscine et noyade. Résurrection. Les lignes sont encombrées de nageurs rapides. Je suis devant, je gêne ou crois que je gêne. Je me précipite. Brasse longue d’habitude, sous l’eau. Il me faut trouver un autre rythme pour éviter les bras, derrière, qui me touchent les pieds. Pas de problème : je trouve ou crois trouver. Quel plaisir, lever le nez plus souvent, imiter les vrais, j’exulte, plus de Copé, personne d’autre d’ailleurs, souffler, inspirer, souffler, inspirer. Vite. J’oublie de souffler. Je bois de l’eau. Pas trop. Je tousse. Mais non. Plus rien. Ici (poitrine, gorge), plus rien. Pas un cri pas un air. Plus un air ne passe. Je tends les bras. Pas sur le dos. Allongée je mourrai. Je meurs d’ailleurs. Ma dernière pensée : les enfants ne vont pas savoir avec quel ridicule je meurs. On en rirait pourtant si seulement ils. Mais non. Ne sauront pas, ne riront pas. Ça dure. Un nageur voit ma détresse, main droite hors de l’eau. Je ne me souviens plus qu’on me hisse dehors. C’est long. Relevez-vous. Debout. Debout. Je ne peux pas tousser. Changer de moment, je pense : un moment à changer. Pourtant c’est moi et c’est le moment. Cherche à respirer. Le maître-nageur explique. C’est l’eau dans les poumons, il y avait déjà de l’air et vous n’avez pas soufflé, alors … Redressez-vous. Je montre : pas un son et je frappe sur ma poitrine. Ça siffle. Ça coupe. Je tremble. Un petit son. Un air minuscule, ici, très fin canal. Attroupement. Je pleure : c’est que ça va mieux. La migraine me tombe dessus, entre les deux yeux. Je parle. Vous parlez, dit le maître-nageur. J’explique tout de suite qu’autrefois j’avais peur de ça, mourir dans l’eau. Je remercie et demande qu’on m’excuse. Stendhal : le ridicule de mourir dans la rue. J’avais tellement peur de ça, je dis encore. Tout le monde en a peur, dit le maître nageur, tous les nageurs en ont peur. Ah ? Oui, retournez dans l’eau. Oui. J’y retourne. Je souffle, je souffle. Le maître nageur dit de souffler, souffler et je souffle, souffle. Je fais 5 allers et 5 retours, 250 mètres, je tremble, j’ai mal à la tête et je veux rentrer. Je suis sous la douche chaude. Le maître nageur me fait un signe. Il dit : qu’est-ce que vous avez vécu aujourd’hui ? Je fais un geste évasif, paumée. Un incident, il dit. Vous avez vécu un incident. C’est une phrase magnifique. Résurrection