Les métamorphoses s’enchaînent, nos perceptions sont troublées, terra incognita, qu’est-ce qu’on est fatigué.
Qu’est-ce qui nous est tombé dessus ?
L’effondrement ?
D’abord, c’est un groupe de vieux bonshommes qui se présente.
Tu ignores complètement leurs plaisirs et quêtes – tu repères la quête d’un discours déjà commun, de plaisirs déjà connus communs, de bien-être très communs connus.
Tu entends les mots vidés de sens, révolutions tendues comme les mains d’un Christ avant ou après la passion.
Celle qui dit : Hollande aurait fait un très bon candidat.
Ceux qui donnent des petites leçons de convention.
« Contre toute attente, Hollande aurait fait un très bon candidat. »
Celui qui dit : vous autres, qui pensez qu’on peut accueillir toute la.
Qui dit : il y a des cycles, il y a des courbes. Pour l’économie, la courbe ceci. Politique, la courbe cela. La gauche : on est dans le bas de la courbe, il n’y a qu’à attendre.
Il n’y a pas chez nos bonshommes de cynisme dans l’attente de la remontée magique ou spontanée de la courbe ni de grandes idées ni aucune vision, jamais de mini Apocalypse, jamais d’effondrement.
Pas une imagination.
L’effondrement n’a pas eu lieu ou ils ont oublié.
Ici, pas de catastrophes, des tristesses mesurées, sans tragique sans complainte.
Entendre : il vaut mieux ça. Elle n’a pas eu le temps de souffrir.
Il est parti dans son sommeil, peut-on rêver mieux.
Ranger chaque chose dans les coins les recoins les encoignures.
Saturer l’espace de meubles.
Les jungles dans les villes, trop dangereux, pense aux conditions de vie des enfants.
Ceux qui savent comment faire avec l’administration et ils font ; avec les power point et ils.
Bien sûr un jour chez l’ophtalmo : c’est bizarre, vous avez perdu tant de vision, on ne voit pas bien ce qui explique.
Ce sont mes vertiges, en ce moment, je prends du.
Et du.
C’est quand même bizarre, tomber comme ça.
Maman peut plus faire de vélo.
Non rien.
Je n’ai jamais manqué un jour de travail.
Sera un bon candidat, crois-moi.
Toutes ces images de destruction massive, crois-moi on ne peut pas savoir, rien ne prouve, tant que j’ai pas les cadavres sous les pieds je.
Et comment tu veux séparer le bon grain de l’ivraie, ce monde-là c’est plein de religieux alors quand on a un chef d’état un peu autoritaire mais laïc ça s’appelle un moindre mal.
Qui semblent mais on peut se tromper coeur sec ne rien attendre d’autre que leçons et plaisirs de convention, bonne table, chalet pour trois familles, week-end en Normandie où j’ai acheté un bien à la mort de maman, un voyage, attention je ne fais pas de tourisme, je pensais pas que j’aurais supporté qu’il ait quelqu’un, d’ailleurs il l’a compris, c’est jamais gagné mais on est partis à Venise, ça a été comment dire, enfin on ne peut pas tout balancer pour.
On peut pas pour.
Balancer tout pour.
Arrive un autre groupe, un groupe déjà vu, un groupe à talonnettes, un groupe vu revu, vu dans les histoires d’autrefois, celles qu’on lisait, pas les meilleures des histoires qu’on lisait.
Un groupe dans lequel il y a des agents secrets. Agents qui agissent. Et secrets qui secrètent. Les agents secrètent et portent des valises entre les hommes qui sont d’accord les uns pour donner et les autres pour prendre. On ne trouve pas dans ce groupe l’hypocrisie de ne pas prendre ni la cupidité de ne pas donner – le tout c’est d’y aller avec l’air de ne pas y toucher. Il faut dire que pour ce groupe-là prendre n’est pas prendre et donner pas donner. C’est un groupe serré, un groupe haletant très mourant, un groupe qui ne sait pas bien qu’il est mourant parce qu’il marche à grands pas dans les couloirs des aéroports, parce qu’il marche à grand pas dans les palais modernes les riad les hôtels à hectares les savanes les fjords parce qu’il marche à grands pas ou court en baskets par dessus les criques et les garrigues.
Enfin tout le tintouin.
Les valises portent des millions et des millions de millions. Il y a des géographies qui séparent les hommes qui donnent et les hommes qui prennent les valises, on trouve des émissaires pour aller des uns aux autres, les émissaires sont des sortes de traîtres, de gros malins d’aventuriers, dans le groupe ce sont ceux qui roulent les mécaniques et tiennent les fils des récits les plus croustillants mais pour ne pas finir dans les eaux du Danube à la fin de l’histoire ils ont une idée, ils parlent : tout dire trahir une fois pour toutes sans état d’âme les hommes qui donnent et les hommes qui prennent pour que les hommes qui prennent sans hypocrisie comme sans scrupules ne puissent pas créer l’accident ou l’empoisonnement sans scrupules – si ce n’est sans hypocrisie.
Ne puissent pas créer l’accident sans attirer la curiosité des officines de journalistes aux aguets, il a parlé et a fini dans les eaux du Danube ?
Hum hum.
Parler mais pas pour dire – pour vivre.
Quant aux concurrents des candidats : s’ils ne laissent rien filtrer qu’ils ont bien connu bien connu les mêmes émissaires – qui sait pour quelles valises.
Parler si haut si fort que personne ne me croira, n’est ce pas.
Le groupe à talonnettes à riad yacht à millionnaires à phrases affutées dût-on déclencher des guerres, dût-on déclencher des guerres, des guerres contre phrases affutées ciblées qui emportent tout sur leur passage, des guerres pour planquer les valises, des guerres à ensanglanter le Moyen Orient, le groupe à talonnettes n’est pas trop inquiété.
Troisième groupe.
Ce troisième groupe n’est pas vraiment un groupe, c’est une séquence qui passe, pas une séquence mais un ensemble, c’est un ensemble de phrases, de ces phrases qui volent loin de ce qu’elles disent.
Ce qu’on veut dire n’est pas grand chose, c’est même nul en contenu, le truc c’est que le discours est bâti par algorithmes, l’auditeur spectateur réagira comme ci à tel mot, comme ça à tel autre, tel mot répété tant de fois dans les espaces ou fenêtres de paroles, télé radio tweets journaux meetings, compte compte, dans les phrases pointent les mots qu’il faut dans l’ordre et le désordre, bippe bippe, dans les phrases sans contenu le truc très gros grossier surgit – ou selon algorithmes et calculs experts ce qui va faire rêver l’auditeur spectateur.
Ou ce qui va le choquer.
Re-re-découverte de la rhétorique du choc ?
De comment la langue informe le réel ?
Ce qui choque, attrape, saisit.
Te prend.
Pas la valeur du mot tel qu’en lui-même, le mot en ce qu’il a de plus laid et vulgaire.
Donald Trump je ne sais quoi.
Les pains au chocolat.
Les phrases qui volent par dessus ce qu’elles disent, vieilles comme le monde.
Vieilles comme des émissaires à valise.
Ces groupes qui pensent qu’ils n’ont rien à voir avec la mort, pensent qu’ils n’ont rien à voir avec la mort, pensent qu’ils sont la vie, pensent qu’ils tiennent à la vie tandis que les lions d’Irak et du levant tiennent à la mort, ils ne peuvent pas la voir, la mort, en peinture, pas besoin de peinture, ils regardent les lions d’Irak et du levant il exceptent les lions partis en Irak au levant, ils exceptent c’est à dire ils en font des exceptions et bientôt dans le miroir se regardent lions se regardent agneaux cornus rugissant comme lions, ils sont par elle, la mort, attrapés, sont par elle, la mort, fascinés, considèrent les lions lions c’est tout, à enfermer côté lions et bourreaux une fois et pour toutes, la mort fait l’événement, tout type de mort fait l’événement car les mots ne font plus, rien ne fait plus ni la maison en Normandie ni l’exotisme éthique, les discours et plaisirs communs connus ne font plus, les lumières dollars et pacotilles ne font plus, alors c’est devenu dans la bouche des groupes qui défilent devant nous un cri aussi secret que l’agent : viva la muerte.
Il en reste, des groupes à voir venir.
Ici, le groupe de ceux qui sont prêts à donner leur vie.
Qui sont prêts à donner leur vie ?
Prêts à ?
Donner leur vie ?
Ou s’y résolvent, contraints, pour sauver un pays ?
Un gamin ?
Un gamin, une idée ?
Un pays ?
Le boulot qu’il faut faire pour qu’une idée ou un pays soit à toi.
Le gamin c’est autre chose.
Le gamin c’est l’exception.
Tu cours, fuis, le sauves.
Tu prends une arme, acceptes de tirer et d’être tiré.
Tu verras bien. Tu prends les camions, les déserts, les plaines, les mers.
Tu verras bien.
Quelle que soit la chose qu’on met au niveau du gamin on court toujours gamin dans les bras et vieux père sur le dos, c’est à dire un pays et la liberté et un vieux père sur le dos.
On fabrique invente, si on tire ou si on est tiré c’est slalomant à travers obstacles, embuches, inventant le trajet, si on tire ou si on est tiré.
Ce rien qui nous habite qu’une pulsion violente mal transformée dynamite.
Mais rien c’est rien – et rien ne peut venir de rien.
Rien ou une petite chose des débuts, la petite chose des débuts est vite anéantie, l’anéantissement prend toute vitesse, il prend toute folie et bientôt il prend forme.
La mini forme grossit, roule, ronde, spirale, volute et vole.
Forme bolide, énergie.
C’est tout.
C’est fini.
Que ce soit comme ça, une fois pour toutes.
L’arche de lumière.
Les sceaux, les cavaliers, les pestes et les tuberculoses, les pandémies.
Le glaive.
On s’embrase, on embrase.
On dit : il n’y a plus que la violence. Les corps n’existent pas. Si peu. On les terrasse, les piétine sous les sabots des bêtes.
Une fois et c’est fini.
On va plus loin, on est entre frères, camarades ; on va plus loin, plus vite, jamais on ne s’arrête en chemin.
On est très excité.
On ne croit ni à pendant ni à après. On ne peut pas négocier. D’abord il n’y a personne avec qui négocier.
On ne veut pas de ce qu’on obtient à négocier.
On embrase, s’embrase.
Prêts ?
On y pense moyen, en fait.
Pas si prêts.
On a la vie très excitée, les émotions très excitées, les autres sont tout et je suis le tout que sont les autres, je suis les autres qui font un tout.
Je suis le tout – lion et mon nom fleurira.
Je suis lion, légende.
Une légende de quatorze ans, une légende de quatorze à vingt-cinq ans. Je suis un gamin. Je suis le gamin que je porte moi-même, gamin, sur le dos.
La mort vient.
Elle est venue et je ne l’ai pas vue.
Merci Marie pour cette vision de nos courses aveugles
Amitiés
Claire