tempête, 2

 

Menditte. Mercredi 7 mai. Paysage 2010. Dater pour le plaisir, toucher le temps passer. Après le col d’Osquich, ne saurai pas y retourner, ça commence comme ça le paysage, tempest in my mind, toute la géographie avec moi qui tout le temps dégringole et ce sera en voiture si seulement tu, voiture, j’avais imaginé un récit avec voiture perchée sur une route de montagne à deux doigts d’une frontière, tout ça bien abstrait, en tout cas la voiture est en rade, les personnages, c’est peu dire que je les aime, en rade aussi, l’un avec migraine, au lit, l’autre en cure de sommeil, le 3ème se promène amnésique ni fille ni garçon ou bien un peu les deux, passons.

Les personnages en rade, c’est bien moi, ça. Les déplacements aussi tant qu’on y est mais ce n’est peut-être pas le déplacement qui bloque. Autre chose : de gros pics de joie, les mêmes que ceux que te donne la vie d’Henry Beyle racontée par lui-même. Peur que ça n’aille plus qu’avec la chimie, tout va avec la chimie, que la tête te tienne, chimie, que la joie te, chimie, que le cœur ne batte ni trop fort ni trop lent, chimie encore. Mais cette fois chimie ou pas, l’ombre était passée, soupçonner la peur de raconter + le plaisir d’après, plaisir de l’avoir fait, envers et contre, avoir raconté. La route ah la problématique des routes (de l’enfance à aujourd’hui), la problématique des espaces et de ceux qui y marchent et courent, y font des affaires, des fuites et débrouillardises, de Billy the Kid à ce garçon moldave rencontré par hasard et qui était en panne d’Europe.

Rouler. Roulions. Amusant parce qu’une fois parti c’était parti, même si m’inquiète toujours (col d’Osquich), alors que le désir accompagne, le moment de sa disparition, en réalité la route était l’élément n°1, l’élément essentiel pour la fabrication d’un assemblage désirable (image) et je pensais : sans doute en raison même de son lien de proximité au désir, la route m’est difficile à emprunter – alors que pour d’autres, pour ne pas les nommer, c’est le contraire : rester n’est pas possible.

Dans les mascarades, en Soule, spectacles collectivement créés, réunissant professionnels et amateurs, jeunes du village et moins jeunes, il y a les personnages rituels et parmi les personnages rituels le pitxu est clown et bohémien. Les rémouleurs ont la parole. Ils possèdent ragots et récits et disent aux maîtres, selon le niveau de politisation du village, ce que vivent les pauvres, les miséreux, comme dit le roi Lear. Ils mettent les points sur les i, aiguisent les couteaux, parlent du monde vaste et du petit et des géographies et chez Vittorini en Sicile c’est la même chose, le rémouleur évoque la douleur du genre humain offensé et les petitesses, chacun des tours joués et ce qu’il y a de bien pire, la grande offense, la grande douleur du monde, aiguiser et parler, aiguiser la langue bien pendue et aiguiser les couteaux avec lesquels tu.

On ne parle jamais trop autour de la chose essentielle ; elles reviennent comme elles savent le faire les histoires, reviennent floues comme si elles étaient des géographies, des paysages, reviennent comme ça, abstraites un peu, 2 histoires de silence. La 1ère histoire c’est un meurtre et le meurtrier un petit gars du village, l’assassiné un salopard du village, et le corps en vitesse est fichu derrière le bar. Les villageois sont interrogés mais pas un pour dire le corps caché et c’est pas qu’on en voulait au salopard ni qu’on aime le meurtrier.

Quand on parle c’est toujours pour dire autre chose. Le pas essentiel, et qui l’est, au fond.

Bon sang, encore une histoire de géographie, de cols, de douceurs et verdures froissées, ici c’est brûlé et là rose, mince, ce rose. Pour ça que tu la fermes, t’es pas à hauteur. Et que l’autre, tout autre, tu le planques, en ton sein, en quelque sorte, qui que tu sois.

On a dit qu’on échappait à ce qu’on disait, qu’on était autre chose que ce qu’on disait quand on disait, quand on parle, si on parle.

Les choses énormes que tu fais (énormes, appuyant sur le cours des siècles, bloquer entrées et issues ou bien les ouvrir comme on le fait des veines malades pour que toujours toujours le sang irrigue le muscle), les choses énooooormes de risquer ta vie – tu construis un radeau jour après jour récupérant un clou un bout de bois dans le siècle 21 dans la 2ème décennie du siècle 21 où tu habites, avec impression que tu as vécu, vitesse de la lumière, aller-retour, express, tous les autres siècles jusque-là, tu es au siècle 21 où on soigne et finance et investit et spécule sur le sur ou post-humanisme, l’homme ajouté, le robot ajouté, tu es au siècle 21 et sur la plage tu construis ton radeau, clou à clou et à moitié chemin de ton espoir, milieu de la Manche on te fait faire demi-tour, tu récitais les poèmes sur ton bateau, sur ton bateau qui est très réussi tu récitais les poèmes – j’ai pensé que les choses folles que tu fais (imagine : tu as 15 ans, passes en Syrie, héros d’une de ces histoires qu’on a trop lue, mince), j’ai pensé que les choses énormes étaient absolument muettes et si tu entrouvres la bouche tu dis sur les pavés la place de ton pied, la place exacte pour ton pied.

La 2ème histoire m’a échappé, c’est comme ça avec les histoires : je rêve de les attraper mais pour ça il faut attraper les hommes qui les racontent, on raconte tant d’histoires à côté du silence, j’ai écrit silence comme j’aurais écrit soleil, voilà.

C’est pas tout, ça. Parce qu’il y avait le col, les brebis et les vallonnements et pas du tout l’enfance ni même le rêvé de l’enfance mais l’étrange étranger le plus complet, il y avait la route et superposée à celle-là une autre, une route de tempête par dessus la première, tempête, c’est à dire bouleversement et on ne sait jamais ce que donnent les bouleversements. Chez le roi Lear, tu as vu, ce qui lui tombe dessus, avec des tonnes de flotte et des vents déchaînés, c’est la compassion, inattendue, alors là, tempête, sur une route de Soule, sur la toile paraissait soudainement la chose claire, phosphorescente, la chose que tu cherchais. 2010, Xiberoa. Paysage. 

 

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