Europe, jeune fille

Ils ont dit (tous, ceux qui gouvernant ne gouvernaient plus depuis longtemps, où que ce soit ou presque sur ce continent qui s'enfouissait s'immergeait comme une vieille poche un sac si vous voulez, gonflé un peu, qui a contenu de tout, qui est vide à présent, déchiré aux coutures, palpite en descendant dans les eaux, bat comme un poumon épuisé, le poumon Europe, jolie fille promenée sur les berges de la plage de Tyr, enlevée, que ses frères cherchent de l'autre côté de la mer, une mer à traverser une mer à boire jusqu'à noyade, quant aux terres : t'as qu'à croire, ces endroits de frontière où ça coince, chez nous il y a les palais et les pauvres côte à côte, la jolie fille devenue sac gonflé de vide palpite sous les eaux, elle s'y est précipitée), ils ont dit : 11 milliards de prestations sociales en moins, c'est le tarif pour que les entreprises et pour que l'emploi, le travail des jeunes est trop bien payé et le minimum trop minimum, ils ont dit sachant qu'ils n'attendaient rien comme emplois de plus et cependant que les firmes enthousiastes investissaient dans le post-humanisme, ont dit sachant qu'ils ne cherchaient rien de ce qu'ils disaient ; ont dit pour dire, cette affaire de discours - la poche ex jeune fille que ses frères en vain poursuivaient se noyait dans la bassine d'une mer calme et douce, elle n'avait besoin de personne pour se noyer, cependant qu'une autre poche, celle des discours, voletait par dessus, l'aigle de la mêlée, les discours sans lien avec les choses qui s'enfonçaient, les mots faisaient de jolies ou de très affreuses images en haut, c'est selon, dans tous les cas les mots étaient solitaires, agencés dans des ciels crépusculaires et fermés, le drame c'était qu'ils ne disaient, les mots, aucune des choses qui étaient ni aucune des choses qu'on voulait qui soient, ils ne disaient que ce qu'on voulait qu'on voie (firmes, gouvernants, princes princesses ne gouvernant rien, on, les autres, messieurs Pétrole et tous ceux qui font des affaires à Karachi), ils ne disaient, les mots du crépuscule, que les choses qu'on voulait qu'on voie, voie un instant, voie paraître. Ce qui sombrait parce qu'on voulait que ça sombre (groupes, prédateurs, ex gouvernants, élans et plaisirs) et ce qu'on disait parce que c'était rôdé. On voulait une sorte d'entre-deux. D'une part les mots liés à rien, roulant dans les crépuscules des discours ; d'autre part, ce qui tombait, en bas, pauvres aux pieds nus, Falstafs, réfugiés de la faim. On faisait l'entre deux : une pire représentation, qui stagnait au milieu, on y fichait nos idées (on appelait ça idées mais c'était parfois résignation, d'autres fois amertume ; pour d'autres dans l'entre-deux il y avait tout à faire, ceux-là se moquaient d'en bas, se moquaient d'en haut). 
C'est vrai, il y avait ceux qui voulaient raccommoder, qui s'obstinaient : dire c'est faire. 
Ils ont dit : reprise, relance, gel des salaires, fonctionnaires et vieux au jardin. 
Au point où on en était. Au mois d'avril.
Ils ont dit (ceux qui ne gouvernaient plus - les voir regarder à la lunette ou suivre sur des téléphones achetés sous nom d'emprunt les hommes portant valises et dans les valises les millions, les plus que trente millions d'euros avec lesquels remporter les élections garder les palais produire à la serpe des discours fermés dans les bulles crépusculaires, plein emploi relance et qu'on me vire ceux-là, fiche à la place des blancos des white tu m'as compris, expulsion des camps, priorité et vocation. Ceux qui ne gouvernent rien, les voir regarder aux frontières ceux qui passent avec les valises, dans les grosses valises l'argent des commissions gagnées sur la vente de sous-marins, ceux qui devaient toucher les trente et quelques millions font sauter les corps, tu payes ou tu meurs, dans tous les cas ne gouvernes rien, dans tous les cas tu as, cachées dans ta piscine et tes paradis, sous le manteau de tes graisses et fourrures, des morts explosées - parce que t'as pas donné l'argent que tu devais donner pour vendre les sous-marins pour la relance et pour la relance, les  corps gisent en représailles de trente et quelques euros, ce sont les morts de ta corruption ce sont les morts et témoignages de tes agissements de crapaud à l'intérieur du sac vide et gras déchiré maintenant, le sac ex fille Europe qui s'enfouit toute seule mais tu l'as drôlement aidée, ça gigotait au-dedans, tu as drôlement gigoté, quand tu gigotes ça fait des corps déchiquetés, voilà ce que ça fait, il est là, ton résultat et si tu peux faire avec les mots des bulles et des semblants, les corps eux ne volettent rien, ne volettent jamais. 

Une réflexion sur « Europe, jeune fille »

  1. J’essaie de dire des choses comme cela mais j’y arrive seulement sous des formes convenues. Avec des mots comme à la parade, en rangs d’oignons. J’ai encore beaucoup à apprendre.

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