Des métamorphoses

La fille n’en avait pas fini d’ouvrir la porte cochère. Kemal avait dit quelque chose, je n’avais pas bien compris. Je le regardais. S’il pouvait continuer un peu. Je me serrai contre lui. Il me pinça le bras. La fille poussait sur la porte de tout son poids et cela m’amusa que Kemal désirât s’approcher. Je le regardais, j’avais une sorte de paysage inventé dans mon dos, au loin quelque chose fumait, nous étions habitués. Kemal s’approchait de la fille, elle tenait en bandoulière un sac qui portait une inscription concernant la foire du livre de Sao Paulo.

Kemal rejoignait la fille au sac de Sao Paulo. Je restais dos aux plaines liquides, quand je levais les yeux la couleur violette tranchait avec la grisaille des toits, le ciel était soutenu par lui-même mais grossièrement. Bien sûr, au loin, des crêtes de carton, régulières, de petits créneaux de branchages, papiers crépons et feuillages, se succédaient. Parfois, une chose se dressait, un arbre vide s’élançait, blanc de tronc et saignant dans le coucher de soleil permanent, rose, vif, dégoulinant comme nous le connaissions.

Mes sens me jouèrent des tours : deux filles poussaient la porte de toute la force de leurs épaules. Kemal avait disparu – ou il devenait l’une des deux filles. La métamorphose s’accomplit devant moi. Les cheveux de Kemal poussent, les hanches s’arrondissent. Il se retourne un instant. Je perçois dans son regard une interrogation, exemple de toutes les interrogations. J’eus le temps de désirer lui en demander plus. Le moment était on ne peut plus mal choisi. Bientôt je ne reconnaîtrai plus Kemal. Les filles firent un peu, à peine, bouger la porte.

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