le corps de Merah

L’Algérie n’a pas voulu du corps de Mohamed Merah, Toulouse non plus.

A propos de l’affaire Merah, j’ai entendu Henry Guaino répéter plusieurs fois que ce serait indécent de tenter des explications et j’ai entendu que Nicolas Sarkozy qualifiait Merah de monstre.

Monstre s’opposant à « fou » non responsable de ces actes.

Monstre au corps caché : un paradoxe. Enterré pour finir à Cornebarrieu, tout près de l’endroit, c’est une coïncidence, où se trouve le Centre de Rétention Administrative où sont enfermés les étrangers sans délit et sans papiers.

Enterré dans un bout de cimetière musulman, prié par une vingtaine de proches sous l’œil des forces de police.

Monstre montré à force d’être ainsi refusé : d’Algérie à Toulouse, corps de nulle part, de 24h en 24h repoussé. 

On se souvient du corps jeté à la mer de Ben Laden.

On se souvient moins des corps de Lasa et Zabala, deux jeunes basques enlevés à Bayonne en 1983, torturés et tués par le GAL, organisation dirigée par le ministre de l’Intérieur de Felipe Gonzalez et son directeur de la Sécurité.

Le GAL se faisait passer pour une organisation proche d’ETA et semait la terreur dans le Pays basque nord.

Les corps des jeunes gens, Lasa et Zabala, furent retrouvés 11 ans après leur disparition, ils avaient été enterrés dans 50 kilogrammes de chaux vive.

La situation de crise était jugée si grave par l’Etat espagnol que celui-ci s’arrogeait des moyens exceptionnels et exceptionnellement violents en visant une fin jugée juste : l’arrêt de la violence.

Une balle finale frappe Merah à la tête au moment où il s’évade par la fenêtre.

L’assaut, le corps criblé de balles, l’homme seul contre les hommes du raid.

L’événement dessine des images, quand bien même on n’en aurait pas vu.

On peut, sans indécence, penser à Roberto Zucco. Dans la représentation que donna de lui Koltès il s’échappait par les toits de la prison avant d’être abattu. 

Jusqu’à la mort de Merah, malgré « l’image » ou l’imaginaire soulevé, malgré le malaise et la question (: n’aurait-on pas pu faire autrement), on pouvait presque y croire : il fallait absolument mettre hors d’état de nuire un criminel dangeureux, tout était tenté dans ce but. On fit mine d’interrompre la campagne électorale. On répéta qu’on ne récupérerait pas le drame à des fins électoralistes.

La question du corps qui reste (du corps en reste) prouve ce que la disparition sordide des corps de Lasa et Zabala avait prouvé : c’est d’un état de guerre qu’il s’agit. C’est bien sûr l’infime point commun entre les deux exemples.

La guerre dit son nom ou elle ne le dit pas. La guerre contre ETA disait son nom, même si pour la mener l’Etat espagnol utilisait ces moyens illégaux qui font horreur. La guerre menée au nom d’un islam perverti, celle qui appelle les combattants de la foi à semer la terreur  par des actes aveugles de spree-killers, est nommée elle aussi. La guerre entreprise par Bush disait son nom.

C’est lorsqu’on est en guerre que le sort fait aux corps se dispute, se discute – qu’on salit ou décide au contraire de ne pas salir le corps de l’ennemi.

Nicolas Sarkozy dit : monstre. Il dit et fait dire qu’il serait indécent de chercher à expliquer. Cependant, les arrestations dans les milieux islamistes se poursuivent. Cependant, les discours se succèdent, présentant l’immigration et la sécurité comme problème n°1 des français.

Pas de guerre nommée, tout se passe sournoisement. Cette chose rampante, en place depuis des années, cette guerre-là qui ne dit pas son nom, qui avance sa gueule moche de grenouille bancroche, racisme culturel et islamophobie attisés pour besoins électoraux ou par conviction, cette chose rampante nous poursuit depuis 2007. Elle grossit, ridicule – il y est question de minaret, prières voiles, viande. Elle nous poursuit depuis 2007 sous forme de politique d’immigration à quota absurde et inutile. Elle autorise la rétention d’étrangers dans les centres modernes de l’Europe crispée. Cette guerre n’a pas dit son nom. Cette guerre de repli identitaire et de peur hystérique ne dit toujours pas son nom. Elle a pourtant réussi à éclipser, en pleine période électorale, la crise économique et la crise écologique, capitales pourtant.

Certes, si l’Algérie refuse le corps de Merah, si le maire de Toulouse le refuse à son tour, c’est pour ne pas participer à la sacralisation de ce corps-là. Pour que les idées de Merah, (ou ce qui en tient lieu), ne fassent pas boule de neige. Afin que nul ne soit tenté de célébrer Merah en victime ou héros. Afin que nul corps social en souffrance ne puisse s’identifier à Merah.

C’est donc qu’il y a des idées derrière l’acte de Merah. Il faut comprendre lesquelles, d’où, de quoi elles naissent, à quoi elles se confondent.

C’est donc que la définition du monstre, selon Sarkozy (homme responsable d’actes criminels extrêmes qui ne s’expliquent pas) ne s’applique pas à Merah, peut-être ne s’applique à personne.

Au bout du compte, il y a surtout une souffrance sociale. Il y a des gens qui croient se construire (ou reconstruire) autour d’une façon, radicale et violente, de pratiquer le petit djihad.

Pourquoi, pourquoi un jeune français, Mohamed Merah, se laisse-t-il séduire par la violence de ceux qui se disent combattants de la foi ? A quelle paranoïa répond-il ainsi ?  A ces questions, il faut nécessairement répondre.