La flamme de Béziers

Le thème des Littorales, à Marseille, est large, antique, contemporain, politique et poétique : la frontière. Dans l’avion j’ai lu qu’une enseignante d’un collège de Béziers s’est immolée, à la récréation, devant ses collègues et élèves, par le feu. A France Télécom, à Sidi Bouzi et à l’école. Le corps réduit traqué empêché impossible s’expose en lambeaux et langues de lumières, explose et s’éparpille spectaculairement sur le corps social. Je m’agace de lire que l’enseignante était fragile psychologiquement. Nous sommes fragiles psychologiquement, c’est-à-dire : nous avons des poussées immenses de joie, de conscience et de désirs. Et des poussées et passions tristes, des désespoirs empathiques, des découragements. Table ronde à la Boate, je m’explique sur l’épuisement qui me saisit à la fin de l’écriture de Entre chagrin et néant. On n’y arrive pas, pas tout seul, pas encore, il y a tant de raisons qu’on ne peut en faire la liste, chacun dans son coin du monde refuse de voir l’absurdité petite où il est enfermé. Ces dizaines de livres, devant nous qui sommes assis à la table des écrivains, attendent, intouchés pour l’heure. On les enverra dès demain au pilon. C’est une farce absurde. Ici comme là. Je suis épuisée, écrivais-je en 2008, le 11 septembre, le jour où les parents de Shanee étaient présentés au TGI à la Juge de la liberté et de la détention. Epuisée, je comprends le corps traqué empêché interdit impossible. Le corps réduit, muet, ne risque plus rien. S’il prend feu on l’ôtera du réel où il s’est empêtré : c’est bien une langue que sans savoir il récupère.

A la table des écrivains, on explique que l’entre-deux siècles est le temps des monstres et catastrophes. On pense à la chute des tours jumelles. Moi, à la flamme de Béziers. Aux Géants du livre I des Métamorphoses d’Ovide : ils entassaient les montagnes sur les montagnes pour toucher les astres. Zeus leur envoya une belle et fracassante foudre, un feu bien comme il faut. Les géants dégringolèrent, éparpillés, brûlés et collés à la terre d’où quelque chose d’autre, comme race humaine, surgit. Que des monstres et catastrophes, de grandes images épiques nous habitent, signifiantes, que les coulées et les feux et les destructions évoquent nos désastres privés (nos fragilités psychologiques et les forces qui vont avec, en sont inséparables) et nos désastres collectifs, c’est un fait. Quand nous reconnaissons ces figures autour de nous, quand Jean qu’attend l’avion dans lequel il sera expulsé en RDC après de douloureuses tentatives d’Europe, s’enduit, pour se faire intouchable, de ses excréments, quand Lise ou Mohamed s’immolent par le feu, il nous faut être très précis et pleins de précautions. Il nous faut tenter d’éviter, même si les histoires nous tentent ou justement parce qu’elles nous tentent (la fama, écrivait Ovide, la rumeur, l’histoire incessante, récit augmenté de récits, va partout, terres, mer et airs) de regarder trop les feux, les monstres et les catastrophes de fin de siècle pour mieux regarder, derrière le feu et la merde, derrière le corps de l’un et de l’autre, ce que fait le corps social. Et ce qu’il faut y faire, absolument, urgemment.

Cela suppose que nous quittions l’épuisement. Quittions la table ronde. Quittions les peurs. Mangions un peu moins lourd. De l’école, d’où s’est retirée lumineusement Lise de Béziers, peut-on proposer un début de bilan concret, après cette rentrée 2011 ? Peut-on, ici même, ailleurs, dessiner le chemin qu’elle prend ? Qui peut nous dire où l’école marche encore ? Et pourquoi, et comment ? En ce dimanche de Primaires socialistes, avez-vous signé l’appel mondial des Indignés contre la dictature financière ? Des bus s’organisent pour aller manifester, à Nice, en réponse au G20, au tout début novembre, notre bon sens.

Depuis que la nouvelle loi sur l’immigration, celle que Sarah appelle la loi HBG (Hortefeux Besson Guéant) est appliquée, les personnes arrêtées à notre frontière avec l’Espagne sont enfermées 45 jours au CRA. A l’issue, ils poursuivent leur voyage, presque tous quittaient la France. Ils sont abîmés, maigris, le corps injustement réduit traqué empêché. Trois ans après l’écriture de Entre chagrin et néant, aurais-je voulu dire à la Boâte à Marseille, nous savons ce que nous pensions alors sans oser complètement le croire : la politique d’immigration en France est avant tout question de communication. La plupart des personnes contrôlées, arrêtées et enfermées à Hendaye sont réadmises dans les pays européens où elles sont en situation régulière. Malgré cela, la Police aux Frontières ne leur accorde pas le type d’OQTF prévu par la loi qui leur permettrait de faire (en huit jours) ce qu’elles sont en train de faire au moment du contrôle : quitter la France. Non, elles sont ramenées à Hendaye, côté français, sont emprisonnées puis réadmises en Espagne au Portugal ou ailleurs, et c’est ainsi, entre autres, que Claude Guéant fait ses annonces publicitaires. Et c’est ainsi qu’il tente de nous épuiser…

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