des bulles, des noeuds, des nuées

Le récit me pose question, questions, besoin de raconter et fatigue à raconter quand le dialogue que suppose le récit semble empêché, que le monde auquel le récit est attaché ne semble pas touché par lui – ou bien quand on a l’impression qu’il faudrait, le monde, le griffer pour de bon, à coup de récits qu’on ne sait pas mener et à coup de bien d’autres choses.

Du vague à l’âme, en ce qui me concerne, du vague à l’âme en ce qui concerne l’activité d’écrire, alors injustement opposée aux faits, à l’événement, à l’actualité. Au monde non raconté mais commenté, selon les termes du linguiste Harald Weinrich1. Le monde commenté ? Le dialogue dramatique, l’éditorial, le testament, le rapport scientifique, toute forme de discours rituels, les improvisations – y ajoutera-t-on l’information, les informations, ces commentaires radiophoniques ou télévisuels de l’actualité ?

Monde commenté, c’est partout où l’interlocuteur est en jeu, en jeu autant que le locuteur qui organise, lui, la narrativité. Dans le monde raconté, la fiction, le roman, on trouve à se détendre, se relâcher. Le commentaire, au contraire, va de pair avec cette tension qu’on peut dire engagement et risque : ni celui qui parle ni celui qui reçoit ne sont tranquilles. Tout commentaire est un fragment d’action2.

Joannes Etxebarria, bertuslari3 : le bertsu n’est pas de la poésie parce c’est la présence du public qui permet le surgissement de la parole, parce qu’il s’agit ici de communiquer, de le faire d’une manière subtile, belle et efficace. Ajouter que parfois un bertsu atteint la poésie. Quand il dit autre chose que ce qu’il avait pour visée urgente de communiquer. C’est donc en outre et dans un deuxième cas et à condition que. Quand la petite œuvre tient le coup hors de la présence de l’autre. Quand il tient le coup dans la détente, le relâchement. Poésie populaire, ça m’irait, dit Joannes Etxebarria.

Quant à moi, dire comme j’ai mal avec mes textes fermés, je ne sais où, juste là, écran, livres, bibliothèques ou blogs, fermés. Poser autrement la question du récit. Bouleversée à l’idée du danger, au moment de dire, du risque fou de l’abîme, là, aux pieds du diseur-improvisateur.

Un monde ? Qu’il soit commun et hors langage ? Ce n’est pas le cas : toute expérience est médiatisée, diversement, par des systèmes symboliques, par des récits. En tout cas, nous n’avons accès aux drames des hommes que par les histoires racontées. Nos vies, par épisodes, sont des histoires racontées. Ou des histoires pas racontées. Ou des histoires pas encore racontées mais qui pourraient l’être : des histoires potentielles. Paul Ricoeur4explique que le choc du possible n’est pas moindre que le choc du réel. Ces histoires qui vivent là, au-dessus, racontables, toujours racontables, sont aussi fortes que celles qui font événement et sont déjà racontées. Les histoires, toutes les histoires, sont inextricablement mêlées à l’expérience. S’il n’y a pas d’un côté le fond et de l’autre la forme, il n’y a pas non plus ici le récit et là le monde. Circularité ou continuité entre monde et discours : l’un est touché par l’autre. Syntaxe, temps verbaux, modalités, chronologie, sens de l’épisode, visée d’un but, d’une chute, expression d’une crise, ce sont les outils qui servent à commenter et à raconter. C’est de cela que le monde est pétri. Un monde qui ne serait pas dit ? C’est la béance, un trou, du réel nu, un zéro que rien ne viendrait symboliser. Le néant.

Le monde, un immense récit. Que ce récit s’adresse dans un moment de danger, du moins de risque et de tension, à un public lui-même en tension. Ou que ce récit vise la détente, la remémoration des histoires passées ou des histoires possibles.

La radio. Le bruit que fait le monde. Un sentiment partagé je crois, d’ahurissement ou d’hallucination, que ces jours-ci on appelle, entre nous, sentiment de déréalisation. On ne sait pas bien définir mais impression d’un monde coupé, d’un monde coupé de ce qui le fonde : le récit.

Le jour du dernier tour des élections européennes : Marine Le Pen apparaît aux téléspectateurs devant des affiches déjà prêtes sur lesquelles le Front national est nommé premier parti de France. Les résultats étaient sus ; les sondages valaient résultats. De là à dire que l’opinion avait été si bien préparée et fabriquée que l’acte de voter était déjà joué.

L’ombre d’autre chose : la preuve d’un récit à l’envers. Voilà bien ce qu’est une histoire, c’est quelque chose qu’on peut raconter à l’envers, c’est ce dont on connaît la fin et qu’on peut à tout moment re-raconter. On connaissait la fin ou le résultat des élections européennes en France avant le résultat du 25 mai. On pouvait dire la fin avant le début.

Premier glissement : on est dans le monde commenté, avec semblant de moments de tension et semblant d’interlocuteurs, avec mise en scène du danger, avec engagement dans la situation d’énonciation et engagement du récepteur ; pourtant on connaissait la fin. La tension est soudain relativisée. On disait la fin avant le début ? Non qu’on la connaisse mais qu’on, un on très sombre, très flou, très indéterminé, la souhaite ?

Ce n’était pas une histoire commentée mais ce n’était pas non plus une histoire racontée ; c’était de la pub. L’affaire importante du vivre ensemble était traitée comme de la pub, c’est à dire au moyen d’un autre discours, un qui anticipe sur le désir et le besoin. Dès le début on nous vendait la fin, à force d’annonces, de bruits et rumeurs, de sondages d’opinion. La situation avant l’événement est la même qu’après l’événement : le monde est intouché, inchangé, il n’y a pas d’événement. Le monde peut paraître bousculé mais ne l’est pas : il est tel qu’on l’a dit au début, qu’on l’a proféré.

Certes le Front national faisait un gros chiffre (mais dans cette histoire même les chiffres étaient trompeurs, l’abstention choisie et l’abstention subie par les travailleurs étrangers résidents en France venaient un peu changer la donne). Certes le FN serait représenté au parlement européen. Certes il s’était passé quelque chose ; pourtant ce quelque chose n’avait pas eu lieu ce jour-là : la preuve, les affiches étaient déjà imprimées le jour du résultat. L’événement, le moment de la crise, ça faisait longtemps qu’il traînait, rampait. Il ne s’était rien passé qui ne se fût déjà passé. De là à dire qu’il ne s’était rien passé. L’acte (de voter) n’avait rien changé à l’affaire.

De là à dire qu’il ne s’était rien passé.

On avait une de ces gênes, un de ces malaises.

De comprendre qu’il n’y avait aucun événement et que pourtant on posait dessus les mots de l’événement majeur, de la crise telle qu’après elle le monde dût changer et les personnages n’être plus jamais les mêmes : on entendait choc, séisme, bouleversement.On l’entendait de la bouche même de ceux qui avaient préparé, qui avaient dit, au début, la fin. On entendait, rien ne changeait.

Il y avait alors le monde du langage. Il était parti là-bas, bien loin.

Et ici, nous engloutissant, risquant de le faire en tout cas, le monde-monde.

Le monde séparé des mots.

« On nous a volé les mots. »

On ne voyait plus le monde ; on en devinait le trou irreprésentable.

On se sentait déréalisés, on le disait entre nous. Ce bruit que faisait la répétition et les contradictions du discours organisé en sophismes pervers. En réalité, nous comprenions que loin d’être déréalisés, nous étions au contraire poussés au réel, jetés dans le vide que fait le réel, c’est à dire dans l’absence, l’horreur de l’absence des mots qui signifient. Nous étions dé-symbolisés – mais c’est d’une telle évidence de vivre dans un monde que le discours habille et permet qu’il nous semblait que nous tombions dans le non sens, que nous perdions notre réalité, nous nous disions déréalisés.

Retour à la contradiction, posée par le linguiste Harald Weinrich, entre monde commenté et monde raconté. On l’a vu, la rumeur de notre actualité ne renvoie ni au commentaire ni au récit. Il s’agirait d’histoires possibles, vendues bien cher (merci Bygmalion), dont la structure narrative copie les histoires passées, la fin vendue avant l’événement. Bon, on a un vrai problème de récit. On ne sait pas du tout ce que c’est que ce récit qui annule l’événement. Qui le remplace.

Problème de récit -dans le temps de la composition narrative. Il n’y a tellement pas d’expériences en dehors de ce qui se bâtit ici, en écrivant. A partir d’images et de ces idées qu’on tord, bien qu’indicibles, dans les mots. Pas d’expérience sauf quand on noue l’abrupt à l’abrupt- mes souvenirs sont contradictoires, en pagaïe, et cette sorte d’émotion à joindre l’inconciliable. Que la chronologie soit bousculée, tu parles, ce n’est pas le signe sûr qu’un récit foute en l’air le récit en annulant l’événement. Tu ne sais pas la fin ? Tu ne sais pas la fin ? Tu ne sais même pas le début, idées et images et cette forme d’absence à soi, maladie, à partir de quoi tu montes ton petit bâtiment.

Ce n’est pas l’inversion des temps qui fait du discours médiatique, puisqu’il faut dire ainsi, un discours qui dé-symbolise le monde. L’inversion, c’est dire aujourd’hui ta mort de demain. C’est imaginer. C’est subir par métaphore. Ici, où ça parle bruyamment, ici, on on produit les affiches affirmant le Front National avant que les électeurs en décident, ici, où un ancien président UMP poursuivi par plus d’affaires que toute la Vème république réunie se propose nouveau chef de l’UMP, ici, où l’après est dit avant, ici, où il n’y a pas d’événement, ici, où on l’affirme pourtant, et d’autant plus fort qu’il n’y en a pas, ça n’inverse pas : ça écrase.

Un vrai problème de récit, donc. Greimas, linguiste et sémioticien, lie la théorie de la communication au problème de la véridiction. Dire vrai et croire vrai sont les deux éléments du contrat liant entre eux les parlants. Chaque message donné / reçu se présente ainsi : il paraît ou ne paraît pas vrai. Il est ou il n’est pas. C’est un jeu de vérité que le jeu ou l’exercice de la communication. Ce qui s’énonce dépend, du point de vue de la vérité, tant de celui qui parle que de celui qui écoute et croit, ou non.

Voilà qui donne aux auditeurs concernés que nous sommes une responsabilité énorme. Pas question de se laisser dé-symboliser ( monde sans mots parce que les mots ont filé, dénués de sens, loin de nous, mensonges donnés comme vérités, comme des histoires archisues et finies, racontées, passées).

Dans Les Nuées, pièce comique qu’Aristophane écrit au Vème siècle avant Jésus-Christ, un paysan, pour échapper à ses dettes, veut « apprendre le discours sophistique qui dit à la fois une chose et son contraire, qui démontre que les mots dette, jour du terme n’ont pas de sens »5. Le débiteur n’est lié par rien. Il n’est pas relié. Plus de monde. Les mots ont quitté le monde et le débiteur l’a quitté aussi. Des mots, des mots. Organisés et cohérents et en quoi on croit comme des fous. Ce qui se passe pour le paysan du Vème siècle avant Jésus-Christ est à l’opposé de ce qui se passe pour moi, qui écoute les informations. Les conséquences sont les mêmes pour nous deux.

Chez Aristophane, le discours crée les conditions d’un monde tout autre et tout faux. Un monde de pure fiction, inventé, dont il ne faut jamais sortir à moins de se prendre un grand coup de réalité dans la figure. Quant à moi, je crains de perdre la possibilité du récit, de l’invention du monde mais je risque aussi un gros coup de réalité : ce fascisme en quoi je ne crois plus, à force, il en profitera bien.

Ce n’est pas rien si c’est le besoin économique (échapper aux dettes) qui pousse le paysan d’Aristophane à apprendre l’art de dire blanc ce qui est noir, bon marché ce qui est cher, rendu le dû et passé le futur. Dans le film de Scorsese Le loup de Wall Street, le héros, trader de talent, commence avec quelques illusions : s’il s’enrichit, les autres s’enrichiront aussi. Le personnage qui l’initie à la vie dans les nuées lui explique tout de suite : on se fiche que les autres s’enrichissent, le tout est qu’il faut que ça tourne, tourne tout le temps, en haut, il ne faut pas que quelqu’un vienne un jour te réclamer son paquet d’argent. Il ne faut pas que les mots et le monde coïncident. En haut, dans les nuées, c’est ce qu’on appelle une bulle. On la connaît économique – elle est permise et doublée par une autre bulle, celle du discours qui a décidé, ici et là, de quitter le monde. De faire fiction, une fiction qui empêche toutes les fictions. Une qui tue le récit.

Alors il faut refaire les nœuds, rapiécer, nouer sans fatigue l’abrupt à l’abrupt.

1 Harald Weinrich, Le temps.

2Paul Ricoeur, Temps et récit, tome II, p 127.

3 Bertsulari : improvisateur en langue basque.

4Paul Ricoeur, Temps et récit, tome I, page 150.

5Pierre Judet de la Combe, le jour où Solon abolit la dette des Athéniens. Libération, 31 mai 2010.

tempête, 5

Je tente de ne rien oublier de ce qui s’est passé avant l’intervention de cette poche d’orage devinée pour finir : matin sans café par manque de temps pour le café, départ précipité et déjà, 8:00, douleur à la nuque, nuque brisée pas tout à fait brisée mais quelque chose tire vers le haut tandis qu’autre chose tire vers le bas, pointe et s’enfonce, deux mouvements, penser que la veille L rédigeait un devoir soulignant la tension entre l’horizontalité des fleuves éternels charriant les morts, la mort, et la verticalité d’un pont qui se dresse, Octobre, Eisenstein, un pont qui se rompt ou se dresse et lève avec lui un cheval blanc, merveilleux et foutu. La révolution était en marche.

Pas moi. J’étais pas en marche.

Moi je prenais la voiture ; voiture, temps et moi nous hésitions : si nous avions froid ou chaud, si nous étions assez sympathiques pour un printemps, ou pas. S’il nous fallait faire des efforts. Le premier cours dans une salle nouvelle avec des élèves nouveaux, la remarque d’une fille bien attentive, ces deux-là, pas à côté Madame, je vous promets, ok, clin d’œil, je comprends dis-je bêtement alors que je ne comprenais pas mais devinais l’incompatibilité ; l’un des deux garçons, agressif : qu’est ce que vous comprenez donc si bien ?

Rien.

Rien, m’en vouloir de rien, mini-sadisme, je me reprenais tout de suite et ça passait inaperçu, dehors le vent souffle et même même les rideaux puisqu’une fenêtre est restée ouverte, les rideaux verts gonflent, une voilure, on rit un peu quand une fille se prend la voile dans les cheveux, on a avec nous un bruit chuintant puis on se tait.

Les uns expliquent aux autres ce que sont les complétives, les verbes d’énonciation, le rôle du subjonctif et le conditionnel comme un futur dans le passé. Il est 8:30 du matin et on fait de petits gestes – qui aident. Avec les mains. De petites grimaces. Toi tu joues le rôle du verbe principal.Tu te lèves. Va choisir un ou une subordonné(e). 

Après, c’est l’heure de solitude, bienvenue et bien aimée, dans le vent, les cheveux drôlement tirés en arrière parce que je marche contre. Il faudra y penser pendant les migraines, c’est une analogie, la tête tire en avant en arrière dans le vent. Je pense autre chose, une histoire qui ferait bien une histoire mais je l’oublie tout de suite.

Après, les cours s’enchaînent, et toujours le vent. Il souffle si fort qu’on ne s’entend pas ; on se tait. On l’écoute. On va traduire un poème d’amour, on s’y prépare, une élégie c’est à dire un chant de deuil mais quand Lesbie pleure son moineau, tout le monde rit. Le moineau de Lesbie finit en mauvaise blague. On écoute Robert Johnson, Youtube, moi ça m’est un peu égal que le son soit mauvais. C’est fini.

Avec P au téléphone : chez Ross Thomas, il n’y a rien de stable, tout est mobile, les lieux, l’argent, l’argent surtout, des liasses incroyables de billets et des coffres d’or, les héros, toujours (?) deux par deux, des barbouzes qui ont changé de vie, qui ont agi au Vietnam et qui ont agi dans les années 80 au milieu des guérillas de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. Il y a ceux qui savent que les premiers ont agi et ceux qui ne savent pas tout mais ont servi de boucs-émissaires et savent plus que s’ils savaient, sortes de messagers, chez Oedipe le gars de l’escorte du roi au croisement des routes se sauve et vingt ans plus tard il revient pour dire combien ils étaient sur le chemin quand on tua le roi. Ils étaient ? Non, il était, 1 seul, et c’est un indice.

Songer avoir lu que s’il y a quelque chose qui est comparable au départ des jeunes convertis en Syrie 2014 (pas si nombreux que ça, en fait), c’est le départ dans les années 80 de tout un tas de jeunes gens en Amérique latine qui voulaient empêcher le Nord de dominer le Sud mais ce n’est pas ce que je voulais dire, je voulais dire que dans les romans de Ross Thomas tout est dans le dialogue, dialogues et échanges sont des planches de salut – par ailleurs tout est si mouvant. Justement tout est si mouvant que tu as un doute : le dialogue l’est aussi, mouvant et il est de la triche – qui triche ? Sans doute les deux qui parlent trichent. Deux qui parlent trichent. Ils le font bien et les mots prononcés il faut les dénuder pour les comprendre ; ce qui compte n’est pas leur noyau, leur petite chair malade mais leur mise en situation. Prenons le dialogue au niveau du signifiant, au niveau le plus superficiel, c’est qu’on est dans le jeu, c’est qu’on a (et/ou n’a pas) les codes, personne n’a tous les codes, c’est ce qui est vachement excitant. Tout est si faux, traîtrise – et bizarrement, ça ajoute du vrai au dialogue. Parce que dans l’instant précis où ça parle, tout pèse. Peu importe que les mots, eux, ne valent que pour leur costume. Rien n’est plus pesant ni plus vrai que l’instant où s’échangent les mots et les liasses de billets. C’est pour ça que c’est vrai : c’est lourd. Toute branche branle, mais ce moment où les regards se croisent, et les paroles.

L’histoire des arbres à planter quand une caravane démarre, c’est Tonio qui nous l’a dit. Le même soir : celui qui possède les histoires et les colporte, dans ces formes de théâtre, les Pastorales, en Soule, c’est le clown, un bohémien, un bouffon du roi, un qui n’est pas dans le champ du pouvoir et peut tout dire au pouvoir. La tête ici les pieds là. Lear et son fou et cette manie de disperser ou ne pas disperser son territoire, sa maison, tant pis pour ceux qui n’ont pas, les cadets, qui partent curés ou soldats, le rouge ou le noir, ou bien émigrent pêchent la baleine ou bien font les artisans, qu’on dit cagots et qu’on tient l’écart. Cordelia, elle, n’aurait rien, c’était à cause d’un défaut de paroles, il lui manquait un mot ou une phrase, chez elle c’était pas sadique du tout, mais rien ne peut sortir de rien. On en revenait au rien. Lear allait se disperser, disperser ses territoires, la cadette émigrait, vendue un peu, à bas prix. Pas cagot, princesse, Cordelia, et soldate exilée. C’était une journée.

La nuit est venue.

Les personnages des romans de Ross Thomas sont infiniment fiables en leur instant de présence et ne sont jamais fiables hors de scène (penser tout ce que cachent leurs délicieuses silhouettes aux costumes subtils ou peignoirs de chinoiserie). Les personnages viennent ici faire de l’esprit, gagner le match de la conversation ou l’interrogatoire.

La nuit est venue.

Auparavant nous avons partagé un repas avec Jasone et JM qui s’aimaient depuis trente ans et ça se voyait. C’est à dire, des personnages comme Jasone et JM ont trouvé, semble-t-il, 30 ans auparavant, à inventer un terrain où être deux : étrangers /familiers à la fois, juste comme il faut, jamais trop ennemis, jamais à s’étouffer de terreur, jamais à trahison et balle au cœur.

Moi non. Je veux dire moi non, je n’ai pas su.

Chez Ross Thomas, on meurt vite : une balle tirée de loin, en cachette, avec silencieux, en plein cœur. Il y a ces délicieux généraux d’âge, raffinés et pleins de bonté qui se font du café comme toi et moi et souffrent de migraines comme toi et moi et se souviennent parfaitement de ce qu’ils ont fait au Salvador.

Bref, pour finir la journée, du roman d’espionnage comme de la tragédie antique.

Quand la nuit est venue, je résume : lexomyl, xyzall, prothiadhen, propanolol, j’en passe – je passe l’autre, par exemple, le somnifère. La peur, bien sûr.

La nuit a commencé. Je ne peux pas en dire beaucoup plus : elle a commencé contre mon gré et ce qui est paradoxal et me sert de sommeil à rêves est arrivé, sans doute fort tard. Droguée comme je suis. Tard dans la nuit, un comble, à revivre la journée. Un mot sadique dit à un enfant, rien, le jeu des subordonnées mais les élèves portaient des têtes de lapins comme dans un film de David Lynch ou bien ils étaient des personnages que je connais, V se moquait de quelqu’un, se moquait de quelqu’un d’autre.

C’est un moment très important. C’est là que je pouvais tenter de comprendre de quoi il était question. Quelqu’un d’autre s’appelle Suzanne. Suzanne prononcée comme si on parlait mal, un peu d’accent de Californie mais moi les accents – je ne repère pas puisque, c’est bien évident, je n’ai pas d’oreille.

V se moque de Suzanne ; Suzanne mal prononcée est un peu moi, ; d’ailleurs il y a ce moment où V explique qu’il dit Suzanne alors que ce n’est pas du tout le bon mot.

De quoi il est question : ça y est, entre le rêve et la journée s’est glissée une petite différence, sinon tout aurait été copie conforme, quel ennui, l’anicroche a eu lieu puis le rêve poursuit sa route chronologique. Lesbie pleure son oiseau mort, on avance, comme pressé, on écoute du blues, les élèves en profitent pour jouer en ligne, tant pis, tape dans les mains, s’éparpille. Puis à toute allure le couple blanc ou gris, Jasone et JM, donnent des explications sur l’amour, disent que la tragédie c’est quand ta vie dépend d’un mot et d’un autre, de ceux que tu joues là comme au casino tu joues les sommes que sont ta vie et une autre, des millions, sans comparaison. Ils rient. Les millions éparpillés, nous tombent en pluie.

Et je me réveille. L’anicroche, certes. Dans le rêve, il y a quelque chose de plus : Suzanne – je – ne – sais – qui, un double et quelqu’un d’autre. Parfaitement.

Et parallèlement quelque chose manque.

Il y avait dans cette journée quelque chose que j’ai pas su revoir en rêve, quelque chose de trop, de trop gros. Le trop gros, je l’ai vu en vain, qui enflait les rideaux et pas seulement les rideaux. Je dis en vain parce qu’il s’est passé ceci : je l’ai vu comme si je ne l’avais pas vu. Il y avait dans la réalité du vent en trop ; beaucoup de vent, une grosseur, une qui appartient aux rêves, aux films et aux histoires ; pourtant c’était dans la première partie, dans la partie vraie ou la partie en vrai. Dans la deuxième partie, la partie rêve, la tempête avait disparu. Je l’avais pas super bien entendu (à cause du fait que je n’ai pas, n’ai jamais eu d’oreille). Mon rêve avait supprimé le vent et la tempête tant je les avais découragés, vent et tempête.

Il fallait recommencer.

Je recommençais. D’abord, être à ce point privée d’oreilles, être à ce point privée, je dirais. Je commençais par la privation. Ce que ça faisait de se montrer ou d’être vue oreilles en moins, on me les a coupées, alors les pansements, oui, bien sûr. Sans oreilles : c’est aussi sans savoir et sans science.

Un temps, pour compenser, je ne mangeais pas, ou très peu. Tout l’éther très malin alors me prendrait pour sœur, je m’élèverais.

On recommence.

Salle de classe. Pas ces deux-là à côté. Merci, je comprends. Vous comprenez quoi ? Rien.

Le vent, alors, s’engouffre.

Il a pris la porte de la discussion. N’importe quelle porte ou ouverture, j’ai dit rien et il est entré. Le vent est entré. Le rideau a soufflé. C’est le moment parfait. Tu as 15 ans, te sens bête de la tête aux pieds. De la tête surtout. Les pieds trop larges ou trop courts. Patauds. De ne jamais y arriver, ne pas avoir les airs légers, les subtilités. Le vent est entré. Il a ouvert une vitre, je précise qu’on est dans la partie deux, remixée. On a recommencé. La vitre s’est brisée, ça a donné de petits bruits défaillants. C’était le fin couloir du vent, le tunnel ou tuyau du vent, il vrombissait. Nous autres, les pauvres sans oreilles (tu sais : ça te pend au nez d’être ainsi, du coup, après l’oreille, privée de langue), eh bien nous les pauvres qui n’avions pas d’oreille regardions les volutes bien repliées sur elles-mêmes, des perfections rouges et violentes, couleur d’air, les roulures ou tournures remplissaient la salle de classe, ne s’éparpillaient pas, elles faisaient la tornade droite sombre et fumeuse, ourlée comme un rêve jamais défait.

Nous les pauvres.

Ce qu’elle a fait, la tornade, un peu aiguisée en sa pointe il faut le dire, dans la salle de classe. Elle nous a touchés au cœur, nous tous, les pauvres d’oreilles. 

tempête, 4

 

Le capitaine MacWhirr navigue sur les mers de Chine. Je le vois, bien costaud, barbu ou mal rasé, tenir debout, pas un mot de trop. Pas une imagination de trop, mais ces événements réels que sont les faits marquants de la mer, récifs, courants.

Il en est qui ne se heurtent jamais aux choses, les regardent pourtant, les tripotent et considèrent. Rage de dents, acouphènes de folie, la maladie, de son aiguille, te pénètre, laps après laps, sans espérance – mais après, quand tu n’as plus mal, tu ne sais plus te figurer ce qu’a été la longue durée de l’agonie ni son intensité, tu nies, oublies, tu es de bonne foi. Fabrice s’endort à Waterloo ou se retrouve dans un autre Waterloo, un de fraternité et de chaleureuses idées. Toujours dans une autre image, que tu rêves à la place de celle qui jamais ne se laisse habiter. On dit que tu as de l’imagination. C’est ce que MacWhirr ne connaît pas, pas du tout. Les mers de Chine sont étroites : pas la place d’aller y voir autre chose que des faits marquants, des courants, des récifs et la pointe d’une île. De toute façon, ça suffit, images, déplacements et métaphores : une honte, MacWhirr donnerait raison à qui pense les poètes capables de te foutre une république en l’air, d’abord ils s’attaquent aux rythmes, formes, normes et contrats et donc, de proche en proche, aux lois de la cité. Les déplaceurs de sens.

En tout cas quand Jukes pour parler de la chaleur explique qu’il a la tête dans une couverture de laine, MacWhirr est furieux. Pour quelles raisons Jukes ou n’importe qui aurait-il eu la tête langée dans une couverture ? Alors, pour quelle raison imager ainsi la chaleur ? Pour quelle raison cette couverture de laine ? Qu’est-ce que tu sais de la chaleur provoquée par une couverture de laine qui envelopperait ta tête ?

Les eaux glissent, bien sûr elles peuvent un peu te secouer mais au bout du compte tu rapportes un salaire, de quoi nourrir tes enfants. Un capitaine doit savoir un minimum de choses sur les tempêtes circulaires, les ouragans, les cyclones et les typhons. Le capitaine MacWhirr a su ce qu’en disent les livres puis il a oublié. Bien sûr, comme un qui part au boulot sur les flots pour nourrir ses enfants restés à terre, les eaux fortes l’ont chahuté mais la colère démesurée, sans limite, il ne l’a jamais connue. L’horreur, la mort, l’irrémédiable terreur que recèlent certaines gaines de vie ? Il n’en rit pas, il n’a rien du cynique ou du provocateur. Simplement, il ignore.

Aujourd’hui sur le pont il fait chaud, beaucoup trop chaud. Dans la chambres des machines la température atteint 47°. Le mécanicien regarde l’horizon et le ciel puis le ciel et l’horizon ; et l’horizon se dresse puis se recouche, tranquille. Le soleil de tout petit diamètre est devenu brun et une flopée de nuages verdâtres et lamentables sont infiniment immobiles, groupés là. Il fait plus chaud que tout et une immense vague, lente, oblige Jukes, sur le pont, à poser la main par terre. Suivie d’une autre vague dont on dit qu’après tout elle n’est pas si terrible. Dans la nuit, MacWhirr lit un livre sur les tempêtes. Demi-cercles, quadrants, courbes isométriques, saute du vent et analyse du baromètre, autant dire : parlottes et vues de l’esprit. Il y aurait un gouffre, pas sûr, s’il y avait un gouffre, et c’est pas sûr, il est devant et pour le nommer il y a les mots et les chapitres, les détours, pour le nommer comme pour l’éviter il y a les mots, on parle parle t’ordonne de courir à l’envers, pas regarder, quitte à dépenser une fameuse dose de charbon, quitte à te dérouter, à faire 300 milles de plus. Parler, écrire des chapitres et faire les détours, c’est tout un. La chair redevient verbe et MacWhirr (mal rasé mal dormi), qui semble ne pas souffrir de la chaleur, n’est pas d’accord. L’Évangile ne peut pas aussi mal nous conseiller et même si elle le faisait. Lui MacWhirr, sans imagination, continuerait droit sur le gouffre, par bon sens et mesure, avec ou contre les Évangiles, on s’en va pas au nord quand on veut aller au sud, parlottes, on ne fuit pas devant le grain. Il continue à glisser sur les eaux, le capitaine, va nourrir ses enfants qui sont à terre, leur écrira sa lettre mensuelle : le temps se maintient. On ne va pas faire un détour pour un trop gros calme et le baromètre qui descend. D’ailleurs, MacWhirr supporte assez bien la chaleur.

Premièrement : ne pas omettre le désir secret du gros bonhomme planté là, qui a lu le chapitre sur les tempêtes pendant la nuit, qui ne sue pas, qui dit qu’il y a de toute façon tant de mauvais temps de par le monde, que la seule chose à faire est de les traverser, impassible et avec le moins d’imagination possible, on ne peut pas omettre, là, le désir du gros bonhomme d’être dedans le grain, le gouffre. Voyons voir ce fameux grain qu’on dit sans savoir mais qu’on parlotte parlotte. Ceux qui pensent qu’il faut subtilement rester à des 50 milles du gros grain en nommant subtilement le gros grain qui n’existe pas. Du moins tu ne peux pas savoir s’il existe puisque tu es, toi, à 50 milles de là.

Deuxièmement : il y a les Chinois. Il sont sur le pont, maltraités en premier lieu par les éléments et en second lieu par les hommes d’équipage. La chose qu’on comprend, c’est qu’ils ont de l’or, l’or juste qu’ils ont gagné, ils se disputent parce que les boites à or ou à dollars se brisent et hommes et dollars sont jetés ici et là, par dessus bord aussi bien, à un moment on attache les hommes et rassemble l’or et on verra bien – s’il y a quelque chose à voir. On se doute bien que cette histoire de masse d’hommes et de masse d’or dans la tempête, ce n’est pas tout à fait rien.

Troisièmement : on ne se déroute pas. Chaque fois dire  que cette fois on est dedans et pourtant, c’est à venir, encore. On y est. Bon sang, dit Jukes (hurlant contre le bruit), bon sang, cette fois nous sommes en plein dedans, le vent nous vient devant, la mer aussi. Jukes regarde le ciel, il n’y a plus d’étoiles : peut-être sont-elles dans ses yeux. Peut-être, encore mieux, sont-elles, les étoiles, dans les yeux du capitaine. Celui-ci hurle qu’il faut garder le cap, quoi qu’il en soit. Un début de début d’événement et ce n’est qu’un début. Les étoiles dans les yeux de MacWhirr, c’est pour mieux regarder. Si tu crois qu’on peut parler, c’est non.

L’important, c’est que vous entendiez les bruits, vous, les grondements de bêtes fauves, les cliquetis des gamelles qui basculent, le cliquetis des verres qui se brisent, les hurlements d’équipage et les cris des coolies. Notre MacWhirr ne peut pas se chausser, les bottes glissent d’un côté et de l’autre de la cabine. Cependant, les ténèbres couvrent les ténèbres. Les deuxièmes ténèbres, nouvelles venues, palpitent, une peau, frémissent. C’est alors, après ce voile tremblant posé sur les airs, que la vraie chose arrive. Difficile sans image : il y a celle (image) du bouchon qui déborde. Dans le flacon, la colère était tenue, maintenant elle jaillit, gicle à l’avant et le résultat, outre la déflagration, est l’éparpillement des hommes. Une tempête s’en prend à l’homme personnellement. C’est sa fonction. Une tempête est un courroux personnel contre l’homme, contre les hommes. Résultat : la tempête-courroux isole les hommes, les rend tout à fait solitaires – et propres à mourir. Comme ils le sont mais ils oublient toujours. La tempête leur rappelle comment vont les choses, une par une, comment vont les hommes, un par un : tout seul au fond du gouffre quand on ne peut pas passer. Pour passer il faut des jambes bien solides, comme le capitaine. Malgré les jambes solides on ne tient plus très bien aux hommes qu’on aime ; MacWhirr et Jukes se séparent, Jukes qui lutte de chaque muscle de son corps est emporté dans les airs, les zéphirs, le Notos, les vents, les brises, il vole, ça c’est fait, mais il vole seul, Jukes.

Les ténèbres donc avec leurs doubles voiles, le voile du dessus plus palpitant que l’autre, plus obscur, aussi. Les dents neigeuses des vagues, le dos de la mer comme d’un monstre et au-dessus nulle étoile, mais ce bleu éclatant des nuages ; de chaque muscle tenir à quelque chose, pied du mât, la barre. On voit dans la noirceur des récifs, celui d’un rocher, on voit filer les canots de sauvetage, Jukes le dit au capitaine, au creux de l’oreille du capitaine, les canots viennent de filer, monsieur et monsieur répond : bien, bien ils viennent de filer, voilà une information.

Le trésor perdu des Chinois, là-bas, les caisses d’or dégringolent et s’ouvrent, l’or se répand, en dollars, les bagarres des hommes qu’on descend en groupe forcé dans la cale, on se doute que ce n’est pas tout à fait rien. Que quelque chose nous rappelle ou va nous rappeler à la bonté. On ne peut pas le dire comme ça, pas en présence, en tout cas, d’un grand gaillard ou escogriffe qui n’a jamais eu la moindre imagination – alors la bonté. Le grand gaillard répond, quand tout clame, c’est à dire quand la mer de Chine est en proie au typhon et escalade les navires et s’escalade elle-même : passez donc, tenez le cap.

La vague : elle est impossible et surgit pourtant et contrairement à MacWhirr et Jukes je ne la vois pas. Les vents poussent gigantesques, l’atmosphère elle-même bondit, se rue, venue des profondeurs du globe, sur le navire où sont les hommes – qui à la barre, qui dans les soutes et les deux, capitaine et second, sur le pont. Il faut noter que le capitaine a la voix calme. La voix est toute proche. Il faut noter que les deux hommes, MacWhirr et Jukes, s’enlacent, s’étreignent. La colonne surgie des bas fonds va se briser sur eux qui se tiennent joue contre joue, oreille contre joue et lèvre sur lèvre et main sur la cuisse. C’est tout ce qu’il y a quand on est dans le gouffre : l’autre. C’est tout ce qu’il doit y avoir. Et quand on se détache, bien forcés, le vent d’en haut et le vent d’en bas se joignent et ils finissent tous les deux ici, dans la tête, les vents assourdissants, dans la tête de Jukes dans celle du capitaine qui jusque-bien calme passait dans le gouffre comme on saute à cheval – par dessus un canyon. Un instant la voix calme s’inquiète, la voix qui ne s’inquiète jamais s’inquiète, elle appelle, elle lance un appel hurlant pour couvrir le vacarme : Jukes, Jukes !  

(L’appel hurlant dans ma nuit personnelle, quand le gouffre c’est, à 2:00 du matin, l’immense conscience des temps, des épaisseurs antérieures et post-postérieures si bien que tel héros, penseur ou poète à changer le monde n’est qu’un mini-sillon, fente bientôt recousue – et la nuit dure, pas sûr qu’on puisse reposer les pieds ou les pattes par terre un de ces jours s’il y a un jour.)

Tempête. C’est un peu comme si on était détachés, alors. Il reste nos fonctions, capitaine et second et l’inquiétude qu’il y a dans la voix du capitaine qui par définition est une voix qui ne s’inquiète pas redouble le truc de la tempête qui surgit alors même qu’elle est impossible. C’est l’impossible qui a lieu une deuxième fois. MacWhirr s’inquiète : une deuxième vague nous écrase, MacWhirr s’inquiète et le rempart qui tenait le gouffre sous nos coques et pieds et nous gardait à quelques mini encablures de lui, le gouffre, s’effondre. Ce qui reste ? Nos fonctions. Lèvre sur lèvre, main sur la cuisse, tête de Jukes entre les mains de MacWhirr et l’appel, l’appel. Le type qui disait : allons tout droit, faisons face, s’inquiète maintenant, celui qui ne faisait pas de détours doute – et c’est la dégringolade. Ce qui reste ? Nos fonctions. Jukes se révolte. Il est le second, MacWhirr le capitaine et la tempête gagne toujours qui sépare les hommes des hommes, ceux-là se sont tenus enlacés, ils se sont étreints et ils se séparent : Jukes se révolte contre la hiérarchie et le commandement. La tempête impossible a lieu. Elle gagne toujours. On est bien offusqué, réduit à aller à la mort, seul, un par un. D’ailleurs les Chinois se disputent pour les ors qui gigotent, se dispersent, se confondent. On les a bien accrochés, Chinois et coffres, pour qu’ils ne soient pas écrasés. Pourtant ils se démembrent, se battraient au sang pour un dollar, la grosse tempête pour la grosse lutte des hommes et c’est ainsi que ça gagne toujours. Que ça s’attaque à l’homme, sépare l’un de l’autre, divise.

Et pourtant. C’est ça, la tempête, le furieux renversement. L’impossible devient possible puis, retour à la phase n° 1, c’est ça, on saute par dessus le gouffre, on n’a pas touché le fond et les pattes on les pose quelque part, animal qu’on est devenu, l’impossible redevient impossible. Il n’y a pas de place ici pour la stratégie des tempêtes, il n’y a pas de place pour les discoureurs, il n’y a pas de toujours, pas de jamais, il suffit de faire face, faire face est le seul moyen de passer au travers.

Enfin : on avait dit bonté, c’est sans doute justice qu’il faut dire et après qu’on a chahuté dans les remous, ce qui se passe est de l’ordre de l’autorité, MacWhirr redevient MacWhirr. Il dit qu’il préférerait ne pas perdre le navire. Et qu’il faut être le plus juste possible.

Ce qui se passe est de l’ordre de l’autorité et de la justice, d’une justice qui a survécu aux gouffres, d’une justice imparfaite comme sont les justices qui survivent aux gouffres. Pas de parlottes : les Chinois sont des Chinois à qui vous redistribuerez avec équité les dollars ramassés, qui ont roulé des coffres éventrés. Répartissez à part égale entre les Chinois à qui on a arraché l’âme sur l’entrepont (et ça tombe bien, ils n’avaient pas d’âme, comme le capitaine MacWhirr n’en a pas, dénué qu’il est d’esprit et d’imagination), les dollars qui leur reviennent. 

tempête, 3

Une jeune femme, un peu la pietà de Michel-Ange, aussi jeune qu’une pietà, plus heureuse, quoique. Son homme qui tourne mal, beau type brun, élancé, emporté et dont on comprend, si mes souvenirs sont bons, qu’il est désœuvré et qu’il a des idées ou illusions. Leur enfant minuscule. L’inquiétude dans laquelle est la jeune femme, pietà d’autrefois, l’euphorie qui lui revient toujours, c’en est une que tu fais tomber, qui se relève systématiquement, répétition incessante de la chute – et la joie qui succède. Jeune couple avec enfant, jolie maison, quelque ennui, une grand-mère qui observe ou accompagne, discrète. L’homme, c’est de la ville qu’il rêve, des usines, du boulot qu’il n’y a qu’à se pour que, des distractions, séductions ; une femme brune, cheveux courts si je me souviens bien, débarque là-dedans, suscitant l’idée qu’on peut être plus actif et malin que ça, plus libre et géant plus que ça, ailleurs qu’à la place où on est.

Qu’il parte avec elle. Elle le veut et il veut qu’elle le veuille, il embrasse la femme brune de la ville, dans le secret embrasse la ville et la virilité qu’elle lui donne, plonge dans un désir confondu, fille brune violente, ville et jeu. Il lutte, probablement lutte et la pietà s’attriste, berce l’enfant, pleure souvent.

Puis renaît à la vie comme on sait faire aussi, si mes souvenirs sont bons, à peine l’homme égaré (brun, grand, enfantin, fendu, au visage, d’une tristesse verticale) lui propose-t-il une ballade sur le lac, une fête là-bas, une journée de fête. La pietà, petite fille.

La fête, nous on sait. Pas elle, pas lui : presque lui ne sait pas, il est bel et bien divisé en deux.

Ils prennent le bateau et il y a le pressentiment du chien, finalement ils sont deux à savoir, le chien et la partie de l’homme qui n’a pas d’autre solution que celle de noyer son ennui de cette façon fatale. L’homme : tout penaud, pas fier de lui du tout mais c’est un effort à faire, premier ou dernier, ça commence comme ça, couper dans la morosité, la mollesse, noyer dans les eaux sombres et une fois pour toutes la blondeur, la blancheur, le doux ennui et tout ce qu’il devient, lui, en sa compagnie.

A se foutre à l’eau.

Le chien a deviné qui les suit à la nage. Le chien a deviné les meurtres à venir, l’un contre elle si joyeuse, l’autre contre lui si embourbé dans la peur de disparaître. Dans la peur de de ne pas savoir faire venir, ici, où il est, la joie, des joies. Sans un mot, l’homme ramène le chien à la berge, sans un mot et cette journée d’amour, soupçon, elle commence bizarrement.

Là, à cet endroit, on peut se demander si dans l’inquiétude, chagrin ou mini soupçon, elle ne s’y retrouve pas un peu, la jeune pietà de Michel-Ange. Un peu. A peine.  Du moins sait-elle peut-être, vaguement, quelque chose de ce qui l’attend. L’homme triste et sombre à mes côtés. Comme si de tout temps c’était fichu. Silence donc, il rame.

La fête a eu lieu.

Je passe parce que le moment raté où il veut la tuer, après quoi oui il ira avec la fille brune et violente à la ville, ce moment je l’ai oublié.

C’est un moment raté : c’est le moment où la pietà comprend pour de bon et la vie lui revient, pulsion tenace de vie. Elle échappe, ne veut plus rien savoir de l’homme, elle pleure et lui, de voir qu’elle a vu ce qu’elle a vu de lui, la division la plus secrète, la plus obscène (finalement il prenait possession d’elle, l’avalait comme les eaux allaient l’avaler, le plus secourable des hommes devenu monstre de dangerosité), lui de voir qu’elle a vu ce qu’elle a vu : c’est la honte, comme s’il montrait ses fantasmes ou le noyau au fond du noyau de ses rêves, comme s’il se déchirait, comme si la petite copie qu’il y avait alors, spectre, fantôme, imitait la forme initiale en grimaçant, comme si les deux qu’il était restaient là plantés, ni en campagne ni en ville mais dans cet espace fait exprès pour pourrir de honte, il suffisait qu’elle eût vu ce qu’elle avait vu pour qu’il se dégoûtât, exposé, cupide, creux, boyaux et ventre, le tout en double, multiple et multiplié et les mains pour tuer avancent crochues et le désir, le désir bi-face, gueule de travers, les dents, double ligne. Bref.

De voir qu’elle a vu, fait marche arrière. Il veut les morceaux rabibochés.

Je pense à ma grand mère Emma excusant l’inexcusable pour le plaisir d’excuser : il a eu un mauvais moment.

Il voudrait quand il a raté le moment voudrait se recomposer devant elle et que ça n’ait pas eu lieu. Qu’elle n’ait pas vu le moment ; ça suffirait. Mais elle pleure et refuse.

On passe.

Elle finit par accepter, je ne sais plus comment, faire confiance de nouveau, croire en l’un qu’il peut être, ou en l’autre – un autre à recomposer, rafistoler.

On va faire de lui un autre homme, d’aspect. On rafistole. Coiffeur. Il a perdu un peu de sa tristesse et il y a là une reconquête à faire, c’est à la fois très pratique, être tombé et se relever avec une reconquête à faire, on t’y aide, de façon à ce que tu te sentes un mec bien, un mec mieux, un peu en tout cas, assez peut-être, pourquoi pas. Chez le coiffeur il va se passer un événement, l’événement de toujours, de mieux en mieux, de mec mieux en mec toujours mieux.

L’événement : un type grossier, pas un qui a voulu tuer quelqu’un, un type à qui tout est permis et rien donné s’approche un peu trop de la pietà qui a séché ses larmes. Le type s’approche, fait des des mines pas du tout séduisantes lui qui cherche à séduire facile, vulgaire. Vraiment le pauvre type n’a pas une chance, il s’y prend très mal et ne comprend rien. L’homme anciennement divisé et sombre, sombre, va lui casser la gueule. La jeune pietà joyeusement les sépare, bref ils s’aiment ces deux-là, avec le désir qui sait ce qu’il cherche, dans l’instant, et ce qu’il exclue, contre quoi il se rassemble (le désir) et s’entend. Comme il se fortifie d’un salopard qui drague dans les salons de coiffure.

Le jeune couple retrouvé fait la fête, je passe.

Ils rentrent, heureux je crois me souvenir.

Sur le lac.

C’est le retour, un drôle de retour.

Jusque-là il y a eu un renversement, non du bateau et de la jeune femme qui devait être avalée par les flots, mais de la situation. Les amoureux rentrent après quelques métamorphoses.

Elle, elle dort tant elle est tranquille, ne pense plus du tout qu’il a voulu la tuer et pourrait encore vouloir parce que quand on a voulu ça, eh bien en quelque sorte le germe est planté, celui du renversement.

La situation s’est retournée. Retour, il veille sur elle, certes il a bu, certes a joué et je ne me souviens plus sur combien de trucs il a tiré, combien de trucs il a visé, fête foraine, il a trouvé des cibles, a un peu bu, n’empêche il est là dans la bateau du retour, sur le lac qui sépare la campagne de la ville, l’ennui des excitations, il est là, solide et rasé de près et souriant et à peine fatigué et elle, elle dort paisiblement contre lui.

Paisiblement, il faut le dire vite.

Tout ce qu’il y avait à l’intérieur à l’aller, la tempête fantastique qu’il y avait en lui : l’image décollée de lui-même et comme d’un geste, d’un geste des deux mains sur le cou fragile de la gosse, pietà qui s’y attend – tu t’y attendais, ne dis pas autre chose – il voulait tout basculer.

Paisiblement, il faut le dire vite.

Le lac moutonne. L’homme est debout à tenter de rétablir les choses mais le lac secoue drôlement. Les cieux bougent, les arbres se couchent. Comme je ne me souviens plus très bien, je regarde la scène sur Youtube, via Google, Murnau Aurore Tempête, ça commence par le vent sur la ville, les manèges tournent et les rideaux volettent et le vent siffle tandis que l’homme fier et rasé de près tient contre lui la jeune femme blonde qui dort sur le lac, retour, il a oublié qu’il a voulu la tuer, complètement oublié, et la ville s’emporte, les rideaux et les manèges et les silhouettes courent, les silhouettes courent en tous sens, petites bribes de choses que les airs sifflants veulent bien vous laisser, choses noires et debout, la colère est terrible, c’est alors qu’on se dit : tiens, on assiste au renversement d’un renversement, tempête. Tempête. Les eaux maintenant, celles qui devaient avaler. Les dents des vagues que provoque la tempête sont d’argent boursouflé, gonflent et elle, le fille innocente se dit-on, pense-t-on, comme ça, dort toujours. Innocente ? elle qui avait deviné tout ça, quelque part, aller et retour et comme on n’échappe pas à la querelle de soi et de soi, les deux tristes dégueulasses qu’on est toujours, soi contre soi. Retour. Pourtant il faut le voir, lui, debout, sous la poudre qu’est devenu l’air, il faut voir le grain de l’air voilé, il faut le voir, lui, s’agiter et tenter de rétablir la barre et ce n’est que quand l’éclair coupe en deux le ciel qu’elle, pietà, se réveille, et la suite : elle tombe, est perdue, noyée et pour de bon. Puis le chagrin de tous, et sa culpabilité à lui.

C’est le moment du renversement du renversement, peut-être qu’on n’échappe pas aux pulsions de mort et au plaisir d’au-delà du plaisir. Et puis : le doigt de la tempête, quelque chose a fait tourner d’un côté, quelque chose (des ciels, des villes, des dents des vagues) a fait tourner de l’autre.

Elle est tombée à l’eau.

Eh bien ce n’est pas ça. Ce n’est toujours pas ça, on croit le renversement du renversement et la fille, pietà de Michel-Ange, aussi jeune et belle, on la croit morte à souhait.

Eh bien non. Elle vit. C’était une noyade ratée.

C’est donc bien qu’on échappe.

Tempête. L’aurore, Murnau.

tempête, 2

 

Menditte. Mercredi 7 mai. Paysage 2010. Dater pour le plaisir, toucher le temps passer. Après le col d’Osquich, ne saurai pas y retourner, ça commence comme ça le paysage, tempest in my mind, toute la géographie avec moi qui tout le temps dégringole et ce sera en voiture si seulement tu, voiture, j’avais imaginé un récit avec voiture perchée sur une route de montagne à deux doigts d’une frontière, tout ça bien abstrait, en tout cas la voiture est en rade, les personnages, c’est peu dire que je les aime, en rade aussi, l’un avec migraine, au lit, l’autre en cure de sommeil, le 3ème se promène amnésique ni fille ni garçon ou bien un peu les deux, passons.

Les personnages en rade, c’est bien moi, ça. Les déplacements aussi tant qu’on y est mais ce n’est peut-être pas le déplacement qui bloque. Autre chose : de gros pics de joie, les mêmes que ceux que te donne la vie d’Henry Beyle racontée par lui-même. Peur que ça n’aille plus qu’avec la chimie, tout va avec la chimie, que la tête te tienne, chimie, que la joie te, chimie, que le cœur ne batte ni trop fort ni trop lent, chimie encore. Mais cette fois chimie ou pas, l’ombre était passée, soupçonner la peur de raconter + le plaisir d’après, plaisir de l’avoir fait, envers et contre, avoir raconté. La route ah la problématique des routes (de l’enfance à aujourd’hui), la problématique des espaces et de ceux qui y marchent et courent, y font des affaires, des fuites et débrouillardises, de Billy the Kid à ce garçon moldave rencontré par hasard et qui était en panne d’Europe.

Rouler. Roulions. Amusant parce qu’une fois parti c’était parti, même si m’inquiète toujours (col d’Osquich), alors que le désir accompagne, le moment de sa disparition, en réalité la route était l’élément n°1, l’élément essentiel pour la fabrication d’un assemblage désirable (image) et je pensais : sans doute en raison même de son lien de proximité au désir, la route m’est difficile à emprunter – alors que pour d’autres, pour ne pas les nommer, c’est le contraire : rester n’est pas possible.

Dans les mascarades, en Soule, spectacles collectivement créés, réunissant professionnels et amateurs, jeunes du village et moins jeunes, il y a les personnages rituels et parmi les personnages rituels le pitxu est clown et bohémien. Les rémouleurs ont la parole. Ils possèdent ragots et récits et disent aux maîtres, selon le niveau de politisation du village, ce que vivent les pauvres, les miséreux, comme dit le roi Lear. Ils mettent les points sur les i, aiguisent les couteaux, parlent du monde vaste et du petit et des géographies et chez Vittorini en Sicile c’est la même chose, le rémouleur évoque la douleur du genre humain offensé et les petitesses, chacun des tours joués et ce qu’il y a de bien pire, la grande offense, la grande douleur du monde, aiguiser et parler, aiguiser la langue bien pendue et aiguiser les couteaux avec lesquels tu.

On ne parle jamais trop autour de la chose essentielle ; elles reviennent comme elles savent le faire les histoires, reviennent floues comme si elles étaient des géographies, des paysages, reviennent comme ça, abstraites un peu, 2 histoires de silence. La 1ère histoire c’est un meurtre et le meurtrier un petit gars du village, l’assassiné un salopard du village, et le corps en vitesse est fichu derrière le bar. Les villageois sont interrogés mais pas un pour dire le corps caché et c’est pas qu’on en voulait au salopard ni qu’on aime le meurtrier.

Quand on parle c’est toujours pour dire autre chose. Le pas essentiel, et qui l’est, au fond.

Bon sang, encore une histoire de géographie, de cols, de douceurs et verdures froissées, ici c’est brûlé et là rose, mince, ce rose. Pour ça que tu la fermes, t’es pas à hauteur. Et que l’autre, tout autre, tu le planques, en ton sein, en quelque sorte, qui que tu sois.

On a dit qu’on échappait à ce qu’on disait, qu’on était autre chose que ce qu’on disait quand on disait, quand on parle, si on parle.

Les choses énormes que tu fais (énormes, appuyant sur le cours des siècles, bloquer entrées et issues ou bien les ouvrir comme on le fait des veines malades pour que toujours toujours le sang irrigue le muscle), les choses énooooormes de risquer ta vie – tu construis un radeau jour après jour récupérant un clou un bout de bois dans le siècle 21 dans la 2ème décennie du siècle 21 où tu habites, avec impression que tu as vécu, vitesse de la lumière, aller-retour, express, tous les autres siècles jusque-là, tu es au siècle 21 où on soigne et finance et investit et spécule sur le sur ou post-humanisme, l’homme ajouté, le robot ajouté, tu es au siècle 21 et sur la plage tu construis ton radeau, clou à clou et à moitié chemin de ton espoir, milieu de la Manche on te fait faire demi-tour, tu récitais les poèmes sur ton bateau, sur ton bateau qui est très réussi tu récitais les poèmes – j’ai pensé que les choses folles que tu fais (imagine : tu as 15 ans, passes en Syrie, héros d’une de ces histoires qu’on a trop lue, mince), j’ai pensé que les choses énormes étaient absolument muettes et si tu entrouvres la bouche tu dis sur les pavés la place de ton pied, la place exacte pour ton pied.

La 2ème histoire m’a échappé, c’est comme ça avec les histoires : je rêve de les attraper mais pour ça il faut attraper les hommes qui les racontent, on raconte tant d’histoires à côté du silence, j’ai écrit silence comme j’aurais écrit soleil, voilà.

C’est pas tout, ça. Parce qu’il y avait le col, les brebis et les vallonnements et pas du tout l’enfance ni même le rêvé de l’enfance mais l’étrange étranger le plus complet, il y avait la route et superposée à celle-là une autre, une route de tempête par dessus la première, tempête, c’est à dire bouleversement et on ne sait jamais ce que donnent les bouleversements. Chez le roi Lear, tu as vu, ce qui lui tombe dessus, avec des tonnes de flotte et des vents déchaînés, c’est la compassion, inattendue, alors là, tempête, sur une route de Soule, sur la toile paraissait soudainement la chose claire, phosphorescente, la chose que tu cherchais. 2010, Xiberoa. Paysage. 

 

tempête, 1

Le roi, qui a été frustré par la plus jeune de ses filles, sa préférée, Cordelia, qui n’a pas reçu d’elle le mot d’amour absolu, je vous aime, père, plus que tout au monde, décide de tout perdre. Il se dissémine, se disperse, s’éparpille. Il offre à la nuit son ancienne puissance, sa tyrannie. La nuit devient ouverte, rugissante ; dedans, il y a des ours, des vagues. Lear devient fou ou bien tout le monde observe qu’il va devenir fou. On ne peut pas souffrir autant. Autant de pluie sur ses épaules, et le rhume qu’il aura, et à son âge. Mais dit le roi, ou à peu près, c’est pas grand chose, cette pluie qui cisaille les os. Le pire, c’est ce qu’on fait aux autres os. Pourtant tout le monde s’inquiète, le roi est fool, dément, les deux, ou il va l’être. Kent, le compagnon de toujours, tente de le mettre à l’abri. Mais c’est l’orage qu’il faut au roi. Ce qu’il lui faut : la transformation. Transformation des os ; battent et palpitent. Le cœur est un vieil os, un ex-os. C’est après le premier mouvement qui fait du roi Lear ce malheureux prêt à affronter la gueule de l’ours, qui fait du corps du roi un corps nu, livré et délicat, un tyran dépossédé de la parole, c’est après ce premier mouvement de frustration de fille (le rien de Cordelia), d’ingratitude filiale, dit Lear, qu’on plonge dans le deuxième mouvement.

A l’ingratitude filiale, à l’homme puissant qui accepte ou plutôt souhaite se et tout perdre, succède l’homme sans possession, couronne de cheveux, jambes graciles ou bien costaud et plissé, ventre gras, dans tous les cas battu de vents et d’averses : le deuxième mouvement c’est de faire venir de l’extérieur les sollicitations, des images jamais rencontrées jusque-là. De les faire venir vers l’intérieur, que ça coïncide un peu. Ça marche. Les images rencontrent la pitié ou la conscience de Lear : les pauvres, oui, il y a des pauvres, des miséreux. Ils vivent dehors, sur les trottoirs, dans les forêts. Leur haillons ne les protègent de rien par temps de tempête et ils ne mangent pas à leur faim et jamais jamais jusque là le roi ne s’en est préoccupé. Mon luxe, va te faire voir. Ou plutôt partage-toi.

Ce moment de chute, dégringolade, tu avais la puissance et n’as plus rien qu’une feuille de vigne quelque part et des tombereaux d’eau sur les épaules, si souvent dans les fragilités te serres sur toi-même et regardes tes pieds, éventuellement les pavés où ils se posent, dans tous les cas craignant le pire, t’accroches aux paroles des autres même si ce sont des paroles en lambeaux mais t’y accroches parce qu’elles bouillonnent et excitent comme il faut ce qu’il faut et parce que ce sont les paroles des autres, eh bien non : le moment de chute de Lear est accompagné d’une connexion, on va dire super rapide, super forte et émouvante, entre les miséreux en haillons criblés de trous et de fenêtres (on les voit) et la capacité à les voir, recevoir. Quelque chose à l’intérieur leur a déjà fait une place. Et s’indigne que le luxe, le faste, soit toujours du même côté, que jamais personne n’ait eu l’idée de partager.

L’ingratitude filiale, le refus d’une fille (suivi de la saloperie des deux autres, Goneril et Rejane) entraîne Lear sous les vents, en désastre. Son cœur bat, qui était un os. Lear a le choix entre la mer et les ours. Et au lieu qu’il devienne le salaud total de la paranoïa, l’amertume incarnée, le rétrécissement, le vieux fou apprend les autres, le monde, et désire plus de justice sociale. Tempête.

Immense dans la perte comme dans le pouvoir, l’immensité que met en lumière la pluie qui tombe drue, verticale, l’immensité qui est signalée, nous est signalée (attention, tempête !), est une immensité qui s’est déjà perdue et se perdra d’une autre façon : en aspirant à des cieux, comme dit le roi, plus justes. Il faut se guérir du faste, ou que le faste se guérisse de lui-même. L’immensité, regardez-la : de se disperser mais de se disperser autrement que jusque là elle n’a fait. Non par goût de la dépense ou principe de plaisir qui va chercher sa mort. Mais sens de l’équité. Que l’orage t’a révélé. 

Europe, jeune fille

Ils ont dit (tous, ceux qui gouvernant ne gouvernaient plus depuis longtemps, où que ce soit ou presque sur ce continent qui s'enfouissait s'immergeait comme une vieille poche un sac si vous voulez, gonflé un peu, qui a contenu de tout, qui est vide à présent, déchiré aux coutures, palpite en descendant dans les eaux, bat comme un poumon épuisé, le poumon Europe, jolie fille promenée sur les berges de la plage de Tyr, enlevée, que ses frères cherchent de l'autre côté de la mer, une mer à traverser une mer à boire jusqu'à noyade, quant aux terres : t'as qu'à croire, ces endroits de frontière où ça coince, chez nous il y a les palais et les pauvres côte à côte, la jolie fille devenue sac gonflé de vide palpite sous les eaux, elle s'y est précipitée), ils ont dit : 11 milliards de prestations sociales en moins, c'est le tarif pour que les entreprises et pour que l'emploi, le travail des jeunes est trop bien payé et le minimum trop minimum, ils ont dit sachant qu'ils n'attendaient rien comme emplois de plus et cependant que les firmes enthousiastes investissaient dans le post-humanisme, ont dit sachant qu'ils ne cherchaient rien de ce qu'ils disaient ; ont dit pour dire, cette affaire de discours - la poche ex jeune fille que ses frères en vain poursuivaient se noyait dans la bassine d'une mer calme et douce, elle n'avait besoin de personne pour se noyer, cependant qu'une autre poche, celle des discours, voletait par dessus, l'aigle de la mêlée, les discours sans lien avec les choses qui s'enfonçaient, les mots faisaient de jolies ou de très affreuses images en haut, c'est selon, dans tous les cas les mots étaient solitaires, agencés dans des ciels crépusculaires et fermés, le drame c'était qu'ils ne disaient, les mots, aucune des choses qui étaient ni aucune des choses qu'on voulait qui soient, ils ne disaient que ce qu'on voulait qu'on voie (firmes, gouvernants, princes princesses ne gouvernant rien, on, les autres, messieurs Pétrole et tous ceux qui font des affaires à Karachi), ils ne disaient, les mots du crépuscule, que les choses qu'on voulait qu'on voie, voie un instant, voie paraître. Ce qui sombrait parce qu'on voulait que ça sombre (groupes, prédateurs, ex gouvernants, élans et plaisirs) et ce qu'on disait parce que c'était rôdé. On voulait une sorte d'entre-deux. D'une part les mots liés à rien, roulant dans les crépuscules des discours ; d'autre part, ce qui tombait, en bas, pauvres aux pieds nus, Falstafs, réfugiés de la faim. On faisait l'entre deux : une pire représentation, qui stagnait au milieu, on y fichait nos idées (on appelait ça idées mais c'était parfois résignation, d'autres fois amertume ; pour d'autres dans l'entre-deux il y avait tout à faire, ceux-là se moquaient d'en bas, se moquaient d'en haut). 
C'est vrai, il y avait ceux qui voulaient raccommoder, qui s'obstinaient : dire c'est faire. 
Ils ont dit : reprise, relance, gel des salaires, fonctionnaires et vieux au jardin. 
Au point où on en était. Au mois d'avril.
Ils ont dit (ceux qui ne gouvernaient plus - les voir regarder à la lunette ou suivre sur des téléphones achetés sous nom d'emprunt les hommes portant valises et dans les valises les millions, les plus que trente millions d'euros avec lesquels remporter les élections garder les palais produire à la serpe des discours fermés dans les bulles crépusculaires, plein emploi relance et qu'on me vire ceux-là, fiche à la place des blancos des white tu m'as compris, expulsion des camps, priorité et vocation. Ceux qui ne gouvernent rien, les voir regarder aux frontières ceux qui passent avec les valises, dans les grosses valises l'argent des commissions gagnées sur la vente de sous-marins, ceux qui devaient toucher les trente et quelques millions font sauter les corps, tu payes ou tu meurs, dans tous les cas ne gouvernes rien, dans tous les cas tu as, cachées dans ta piscine et tes paradis, sous le manteau de tes graisses et fourrures, des morts explosées - parce que t'as pas donné l'argent que tu devais donner pour vendre les sous-marins pour la relance et pour la relance, les  corps gisent en représailles de trente et quelques euros, ce sont les morts de ta corruption ce sont les morts et témoignages de tes agissements de crapaud à l'intérieur du sac vide et gras déchiré maintenant, le sac ex fille Europe qui s'enfouit toute seule mais tu l'as drôlement aidée, ça gigotait au-dedans, tu as drôlement gigoté, quand tu gigotes ça fait des corps déchiquetés, voilà ce que ça fait, il est là, ton résultat et si tu peux faire avec les mots des bulles et des semblants, les corps eux ne volettent rien, ne volettent jamais. 

aucun métier

 J'arrête. La première heure c'est l'illusion. La deuxième, l'inquiétude et la perte de l'aisance rhétorique si on peut dire aisance et si on peut dire rhétorique. En fait c'est le bégaiement assuré. C'est l'abîme devant toi, ce qu'il y a à expliquer, comme on est tombé déjà, champs flous à perte de vue et les mots par dessus comme des oiseaux perchés. La troisième heure, le désespoir. Essayer de saisir le désespoir comme il vient, à défaut d'autre chose : il n'y a rien à dire, rien à partager, il n'y a aucun imparfait du subjonctif pour nous sauver la vie, c'est à dire qu'il n'y a plus que l'agacement de piétiner dans la demi mesure, il n'y a plus que le savoir tordu et sec qu'il n'y a rien pour te, pour nous sauver la vie, aucun imparfait du subjonctif, aucun tableau méticuleusement tracé, alors on gigote, ricane, alors se perd des yeux et perd les traces, ça nous arrive, en général on a 14 ans, on a 14 ans de nouveau et le savoir sec et triste qu'il n'y a rien à faire (aucun métier, tu entends aucun), rien à faire si ce n'est rester chez soi, jardin ou blues, blues au jardin, migraine, aucun métier, nul savoir faire, le jour où tu sauras ranger tes papiers et plier du linge repassé mais tu n'as pas appris comme tu n'as pas appris à apprendre ni à faire apprendre - ni n'as appris à ranger les mots ni les tableaux ni même les conjugaisons, les imparfaits du subjonctif dont tu veux qu'ils te surprennent toujours autant te sauvent la vie et qu'ils soient une fête, on sautillerait tous ensemble, rirait, pleins d'imperfections, d'irrégularités, ah les verbes défectifs que nous sommes.

un luxe

 

 

Le moins que l’on peut dire, c’est que le parti socialiste français n’est pas doué. Ou qu’il est doué d’un singulier manque de chance.

Le jeudi 27 mars, après le premier tour sans surprise des élections municipales, le conseil constitutionnel a estimé que la loi Florange, qui prévoit des pénalités pour les entreprises qui ferment un site rentable, “privait l’entreprise de sa liberté d’entreprendre”. Et la censure. Certes.

Le soir même du premier tour, vers 22h, les intermittents qui occupaient le Carreau du Temple ont été violemment évacués.

Tout pour qu’on ait envie de voter PS.

On dirait que la capacité à agir est nulle, elle l’est peut-être, on finit par se demander. Nulle en tout cas la machine à idées. Cependant qu’en Italie, Renzi, social démocrate comme il est, décrète anachronique le plafond du déficit budgétaire à 3% du PIB et le pacte de stabilité un pacte de stupidité. On dirait qu’il est possible de peser, d’agir, réagir.

Pas en France.

On déplore les voix FN, oui, ça pour déplorer on déplore et ça commence à paraître tordu, cette manière de déplorer, de s’étonner chaque fois après, chaque fois après l’élection. Il semble pourtant que les voix FN ne soient pas plus nombreuses qu’elles ne l’étaient il y a deux ans. Et on oublie de dire que le Front de gauche n’a pas fait un mauvais score. On n’oublie pas, on les rend responsables, les 40% d’abstentionnistes. On déplore les voix et les votes FN, on déplore et on bavarde : front républicain, alliances, drôles d’alliances, etc.

En 2002 j’ai voté Chirac, j’étais convaincue qu’il fallait le faire. Aujourd’hui, je ne saurais plus. Je me reproche ce doute et me demande si ce n’est pas un luxe de nantie ou de très relative demi-nantie de ne pas désirer faire face à tout prix, d’éviter le pire à tout prix. Mais peut-être le pire qu’on a redouté, on voit, dix ans plus tard, qu’il n’avait même pas besoin du FN ?

Je ne sais pas. Après tout, si je vivais à Avignon, je voterais PS. A Béziers, ce serait plus compliqué.

Finalement, le luxe que j’ai, c’est de voter à Bayonne, où il n’ y a pas, ni au premier ni au deuxième tour, de liste FN.

Nous avons nos problèmes pourtant, de désistement et de désinvestiture et de second tour.

Et d’incompréhensions.

Mais ici comme ailleurs, la preuve est faite que le PS, qui avait voie royale, a fait tout de travers. Ce n’est pas un manque singulier de chance mais un manque singulier d’idées, de vision, de stratégie.

A Bayonne, au premier tour, la liste MODEM fait 30%. Le PS, 35. l’UMP 18. Le Front de gauche presque 6. Et la gauche alternative abertzale, définition à venir, un peu moins de 11%.

Si vous avez un doute sur ce que signifie abertzale, le PS à Bayonne a l’air d’avoir le même. Or il ne devrait pas – n’aurait pas dû.

Rassembler largement, dans une démarche plurielle et participative, des Bayonnaises et des Bayonnais porteurs d’engagements dans les domaines économique, culturel, sportif, syndical et politique, de toutes les sensibilités de la gauche, écologiste ou abertzale”, c’est ce qu’a souhaité la liste menée par Jean-Claude Iriart.

Point commun entre ceux qui ont participé à cette démarche ? “Le positionnement à gauche, la nécessaire reconnaissance institutionnelle du Pays Basque, l’engagement en faveur de la transition énergétique et l’adhésion aux principes de la démocratie participative.” C’est ça, être abertzale.

A propos de la reconnaissance institutionnelle du Pays basque, demandée depuis des décennies, cadre d’autres revendications culturelles et économiques, chambre d’agriculure autonome, abandon de la ligne LGV, création d’emploi par la transition énergétique, relocalisation de l’économie, université de plein exercice, le PS ne se prononce pas. Remarquons qu’il n’est pas le seul : l’UMP non plus. A propos de la langue basque, le PS est bien timide : “chaque fois que cela sera possible, nous ferons en sorte d’utiliser et de promouvoir nos deux langues régionales“. On se demande quand ce sera et ne sera pas possible. Même la candidate UMP prévoit pour 50.000 euros l’an un plan de formation en basque de ses agents.

Le rêve et le programme de se sentir bien au pays, d’accueillir ceux qui souhaitent y vivre, langues et cultures respectées : le PS n’a pas compris. Encore une fois n’a pas compris. Ou bien son mépris est plus grand que son désir. Ou il ne sait pas compter.

C’était lundi après le premier tour. La liste de gauche abertzale a voté le maintien. Surprise, et joie, espérance que oui, les choses bougent : le Front de gauche ne craint pas la perte ou la dispersion ou l’émiettement de la République et rejoint la liste abertzale. Bien sûr, ça va rendre les choses compliquées au deuxième tour pour le PS. Bien sûr, il y a des remous et le lendemain matin le Parti de gauche retire son investiture. Il n’y a pas qu’au PS qu’on ne sait pas ce que c’est, la gauche abertzale.

Mais on explique, et retour en arrière. Le Front de gauche fera au deuxième tour liste commune avec la gauche abertzale, qui pose que le désir de se sentir bien au pays où on vit, dans la langue qui vit, ne met pas en risque la notion d’égalité. Qu’au contraire, on est bien accueillant au pays où on vit bien.

Au pays basque, des hommes et des femmes de gauche l’ont compris.

A Bayonne, où il n’y avait pas de liste FN au premier tour, des hommes et des femmes l’ont compris.

Ce n’est pas au PS. 

rêves d’automne à la fin de l’hiver

J’en étais là, confusément, à la veille de l’opération consistant à recoudre les tendons de l’épaule de celle dont on disait : elle tient debout, elle tient debout alors même qu’elle est tombée, comme elle tient debout, comme elle tient toute seule, et debout.

Elle faisait la fière et moi des rêves.

Le 1er, le 1er des rêves.

Ce sont de petits rêves, des touches de rêves, des rêves touchés d’insomnie, de réveils palpitants

Le 1er, il y a 2 personnages
D me ferme dans les toilettes. Il ne fait pas exprès, il a emporté la poignée avec lui, il faut dire que la poignée ne résiste pas à la force qu’il a. Il dit : je vais chercher un tournevis je cherche ce qu’il y a à entendre d’autre dans tourne, tourne) mais il ne revient pas, j’attends longuement, je l’appelle, le cri est éraillé, la voix s’écorche. Je m’étouffe. Il y a un 3ème personnage : la voiture. Une voiture jaune. Elle est entrée dans les toilettes avec moi et c’est moi avec elle qui étouffe. En plus, la voiture est froissée. Le pli de la carrosserie est pris. Pris le pli jaune, plissée, pliée la lèvre jaune de la voiture. J’étouffe. Et puis elle prend, à peine, comme c’est possible, ses aises. Elle se délie. Il y a du jeu. C’était notre 1ère étape. Maintenant j’attends que D ouvre la porte.

Le 2ème rêve, on me peint de jaune. Quand on passe le pinceau, petites coulées de peinture et qu’on en est au jaune, je suis finie.

Le 3ème rêve : je suis assise, passagère de la voiture que conduit le conducteur (?). On voit ou je vois une chose atroce. Crois avoir mal vu. Demande qu’on arrête la voiture. Je n’ai pas mal vu : on tranchait l’oreille d’un jeune homme au couteau. Au cutter. Il y a cette plaie et ce jeune homme brun, recroquevillé de douleur. Le trancheur d’oreille est sale, barbu, effrayant comme un forçat chez Victor Hugo ou Charles Dickens. Je lui ordonne de nous rendre le jeune homme, oreille coupée. Le jeune homme nous précède jusqu’à la voiture. Nous ? Nous sommes 4, le conducteur, le jeune homme douloureux, D que l’atteinte de l’autre à l’oreille atteint, lui, à la jambe, D est l’image du jeune homme sans oreille, il boite bas. Un autre boite bas : un chien. Le chien du jeune homme. Il s’assied à mes pieds ; tout ce monde est douloureux.

Le 4ème rêve. Roulent (en voiture) un homme et une femme et cette femme porte les seins nus, très nus, très lourds, très nus.

C’était les rêves en voiture.

On était à la veille de l’opération de celle dont on dit, alors qu’on dit des hommes qu’ils ne tiennent pas et ne peuvent pas, qu’elle tient debout, qu’elle n’est jamais dans une aussi belle énergie que lorsqu’il y a des tendons à recoudre, des sommeils à forcer.

Par ailleurs il y avait une histoire de père, c’est celui qu’Enée portait sur son dos (à croire que lui non plus, debout, ça n’allait pas de soi) mais la question qu’ils posaient tous les 2, Enée et le père, était différente. 

(Octobre 2013)

Des aubes particulières