Archives de catégorie : Cette France-là

On fait quoi maintenant

On fait quoi, maintenant. A Bayonne comme ailleurs familles après familles déboutées de l’asile se retrouvent dehors. Famille avec enfants, 18 mois, 8 ans, 10 ans, pour les R. On reçoit des coups de téléphone : ça y est, pour la famille arménienne, dehors depuis hier. Mourad, 15 ans, va au collège quand même. On propose de le recevoir à la maison. Oui mais. Moi, ce WE, mon grand garçon rentre, il a besoin de sa chambre. Oui mais. Les R. sont à l’abri pendant deux mois, un ami a laissé l’appart. Oui mais. Ils vont faire appel et on le sait, ils n’obtiendront pas le statut. Rien à gratter, disent Chantal, Jeannette et Florent. Le G20 se prépare. La mobilisation face au G20 se prépare. Ce soir, Bizi prévoit une réunion,  rue des cordeliers, pour organiser les actions, ici et là-bas, à Nice, les bus. Les R  sont à l’abri, quand elles ont vu l’appartement, les filles ont eu le sourire. Oui mais. Dans deux mois, on fait quoi ? Et la famille albanaise, à qui peut-on demander de la prendre chez soi ? Il y a bien la maison, dans les Landes, pas vide, non, mais grande. Il leur faudrait un moyen de locomotion. Et qu’est ce qu’on dit aux proprio ? C’est jusqu’à quand ?  Rien à gratter. Presque on s’entend dire qu’il vaut mieux qu’ils rentrent en Albanie. Il y a un an encore, jamais… La Cimade n’a pas d’argent. Les billets de train et les nuits d’hôtel ont épuisé les cotisations, la caisse du festival Migrant scène de l’an dernier et l’argent donné par Emmaüs. Au Lion’s club on peut demander de l’argent ? Et aux foyers de jeunes travailleurs, des chambres ? Et aux copains. Secours catholique, secours populaire, Emmaüs accueillent au maximum. Un curé qu’on connaît héberge une famille avec enfants à qui faire faire les devoirs. Une prof à la retraite, aussi, ici, pas loin. On fait quoi, maintenant. Quand les R. seront dehors de nouveau ? Parce qu’il faudra bien que son appart, le copain le récupère. Hollande ce matin, sur France Culture, essaie de parler alter-mondialisation. Ce serait presque comique, la course à Montebourg, mais on est après le comique et puis je me dis que c’est déjà ça. On fait quoi, maintenant. D’abord, on va au collège, on va voir les gamins, trente par classe de troisième, qui plein d’allant et de curiosité (oui) craignent (oui) quelque chose autour de ce qui sera. Et la crainte, ça se voit et s’entend. Travailler, jamais, jamais, je suis en grève, écrivait Rimbaud à Izambard. Les adolescents protestent. Un satisfait qui n’a jamais rien fait.  Il exagère, non ? Pourquoi faudrait-il être insatisfait ? C’est formidable, avec eux, comme on peut discuter. On fait quoi maintenant ? On lit, on lit, on poursuit.

Vous pouvez me dénationaliser

Le 21 septembre 2010

Voici l’idée que la sociologue Evelyne Perrin nous propose. Une idée d’action qui permet à chacun de cesser de se sentir muet et planté là après cet été affreux où la xénophobie d’état que nous dénonçons depuis quelques années a franchi un nouveau cap. Une idée à laquelle je souscris, une action où je m’engage.

Monsieur Sarkozy, je vous renvoie ma carte d’identité.

En effet, je ne veux plus faire partie de la France que vous nous construisez, faite de haine, de rejet de l’autre, de peur, de division, et de lutte de tous contre tous.

Je n’adhère pas au concept nationaliste et mythique d’identité nationale fixée par l’Etat.

Je n’adhère pas à la politique raciste que vous mettez en œuvre en désignant comme boucs émissaires successivement et de proche en proche des parties de plus en plus larges de la population, une politique qui rappelle les périodes les plus sombres de notre histoire.

Aussi, vous pouvez aussi bien me dénationaliser.

Je redeviendrai un-e citoyen-ne français-e quand la France aura renoué avec les valeurs de la Révolution française de 1789 et de la Résistance, celles qui ont été les siennes dans son histoire, celles pour lesquelles elle est une référence dans le monde.

Un mot de réflexion autour des réactions que peut susciter et a suscitées cette proposition de petite désobéissance civile.

Ne pas avoir de carte d’identité ne constitue pas un délit. N’empêche pas de voyager les voyageurs impénitents munis de passeports. Peut être faite si on n’en a pas et refaite si on l’a perdue – preuve qu’on a bien vécu sans jusque-là.

« Vous pouvez aussi bien me dénationaliser » peut n’avoir pas grand sens ou valeur symbolique – pour la raison qu’on ne se sent pas « nationalisé», qu’on ne se sent pas français mais basque occitan catalan breton ou citoyen du monde. Qu’on peut sentir la grandeur de la Révolution française et de la Résistance tout en pensant au petit Adolphe Thiers et à ses Jules qui offrirent aux habitants de l’Alsace Lorraine de 1871 quelques 300.000 hectares de terres algériennes, tout en pensant aux 90.000 morts de Madagascar, à ceux de Sétif deux ans auparavant et à tout le reste. C’est mon cas. Mais pour l’occasion, je ferais comme si cela pouvait prendre valeur, d’être français, comme si cela pouvait être synonyme d’exigence et de devenir. Je ferais « comme si » parce qu’il ne me suffit pas de voter, d’écrire, de manifester ou de signer. Que le « devenir meilleur » qui m’importe, je cherche à ce qu’il s’inscrive, s’entende dans le réel.

« Vous pouvez me dénationaliser » peut n’avoir pas de sens pour une autre raison. On peut se sentir français et juste, français et non dépendant d’un gouvernement que l’on n’en sent plus digne, lui, en revanche. On peut refuser d’inverser les choses quand on se sent à la fois français et horrifié par la politique française. Dans ce cas-là, que fait-on ?

Je sais que « politique raciste » fait réagir certains. Non, la politique Sarkozy-Besson-Hortefeux n’est pas raciste comme était raciste, c’est-à-dire basée sur la notion de race, les politiques des années 30. On est tous d’accord là-dessus. Sauf que les actes politiques actuels, quels que soient leurs réels objectifs et leurs terreau idéologique, risquent bel et bien de faire grossir le racisme, qui toujours le même, avec ou sans théorie, avec ou sans Gobineau, est capable toujours de resurgir quand on l’a bien excité.

Je sais aussi qu’ici et là on n’aime pas rappeler, en parlant d’aujourd’hui, « les périodes sombres de notre histoire ». Croit-on que la comparaison serve à égaliser comparant et comparé ? Non. Et il est toujours en notre pouvoir (et devoir) de chercher à distinguer, à comprendre les singularités de chaque époque, etc. C’est à faire. En attendant, nous avons une référence et un dégoût commun, un spectre à hauteur de quoi nous mesurons les événements et à propos de quoi nous répétons : nous ne voulons pas. Oh bien sûr nous pourrions en rappeler d’autres, des périodes sombres de notre histoire, des diverses et des variées – hélas. Il se trouve que la dernière en date, dont le XXème siècle s’est fait le témoin catastrophé et dont le XXIème ne se remet pas, c’est celle qui en France a pour nom Vichy. Nos six de Pau, les 4 de Tours ( http://baleiniers.org/), Michel Rocard et Viviane Reding ont trouvé même référence et ont dit même refus.