maladie

Ce tour qu’a ma maladie. Un espace dingue d’inhumanités, des forces contraires. Au milieu de mon âge, en forêt obscure, j’avais bifurqué, le chemin menait dans les ruelles des Enfers, des ombres jouaient au tarot, d’autres, de mauvaise foi, voulaient de leurs mains d’ombre construire des saloons et des mairies et des tribunaux, nous voilà aux Enfers, sacrée bifurcation, j’avais bien choisi mon chemin, de tout temps je me dirigeais aux Enfers, il y avait ici des enfants-nymphes, nés et morts le même jour, d’autres trouvés à la surface écumeuse d’un océan, chevelure plus vivante qu’eux, filante chevelure, des amants éplorés, des jeunes gens fusillés pour que d’autres vivent et des inconsolables de tout poil – ah j’avais bien choisi la ruelle après que j’avais bifurqué, à moitié de mon âge.

Les ombres on s’y voyait dedans, en transparence. Dans les yeux des ombres, on se voyait, plus petit que jamais, fantôme, modèle réduit, minuscule enfantelet – cheval battu, battu, et c’était toi et c’était l’autre, le mort de toujours, le mort d’avant, et alors au milieu de ton âge tu tombais en pâmoison devant l’image dans la pupille du mort. Te voilà aux Enfers, bienvenue. Amoureuse de qui est passé par la mort, la connaît et la quitte, il paraît, pour tes beaux yeux. Dans les vallées d’angoisse, les vallées tout court, les villes où l’ex-mort s’installe avec toi, maladroit comme on est dans ce cas, tu ne regardes que lui : il est immense, l’ex des Enfers, tu décides de lui donner de l’éclat, tu le briques le lustres lui demandes pardon, tu t’es fiancée à un mort c’est un très ancien mort et un très ancien problème ou plutôt une très ancienne passion, c’est dans les glaciers de la mémoire, te voilà dans la ville, la maison, sur le bitume avec ton mort géant, dans ses yeux on voit l’enfant ancien déjeté, battu à mort, on ne sait comment, une obsession : toi-même. C’est alors que ça se corse parce qu’on ne peut pas faire sans ce qu’il voit, lui : crois-tu qu’il voie cette chose qui se reflète dans sa pupille, qui s’y est installée, cette chose d’enfance battue qui est là, posée sur le cristal de sa pupille et qui est un peu toi et qui n’est en réalité vraiment nulle part, ni toi ni lui ni là mais autrefois ? Non. Il veut voir comme c’est beau, loin des marais pestilentiels. Il se hisse sur toi, le mort, l’ex-mort immense. Il s’appuie. Il ne voit rien du tout. Il ne voit qu’une chose. Que vous êtes tous foutus. Que vous l’étiez bien avant qu’il ne mourût.

2 réflexions sur « maladie »

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