Adieu la vie adieu l'amour

C’est le titre d’un des pemiers livres de Juan Marsé. Après Teresa l’après-midi et La généalogie des rêves traduit récemment (Christian Bourgois), j’ai découvert Enfermés seul avec un jouet, L’étrange disparition de R.L Steveson, Adieu la vie, adieu l’amour. Dans les romans de Juan Marsé, on est après la guerre civile, en Catalogne.

La plupart de ceux, réfugiés au pays basque nord, qui, dans les années 70, étaient de l’autre côté de la frontière dans l’oeil du cyclone, disent aujourd’hui avoir tourné la page. Des vagues de  réfugiés se sont succédé, et c’est sans parler de la dernière guerre carliste dont la génération des arrière grands parents ont gardé mémoire. J’ai tourné la page. J’ai lu des chroniques, des journaux de l’époque, j’ai parlé avec Arnaud, Xabi. Je n’ai pas lu de récits, de grands récits. Le récit est en suspens. La lutte armée a pris toutes les forces.

Avant Marsé j’ai lu Benet, Sender, les longs labyrinthes de Max Aub. Encore Barcelone. Dans la préface à la deuxième édition de Adieu la vie adieu l’amour, Marsé écrit : “quand j’ai écrit ce roman, j’étais convaincu qu’il ne serait pas publié. C’était entre 1968 et 1970. Le régime franquiste paraissait établi à jamais et une idée déprimante me hantait : j’étais persuadé que la censure qui jouissait alors d’une santé florissane survivrait à nous tous, au régime fasciste qui l’avait engendré et à la transition tant espérée (ou à la rupture, comme l’appelaient beaucoup d’aspirations déçues) et s’installerait pour l’éternité, tel un mauvais sort jeté par le Caudillo au coeur même de l’Espagne future.”

A la fin du roman, les anciens de la FAI, dans les vieux quartiers de Barcelone, se retrouvent 20 ans après. 20 ans après. Ce 20 ans après me fascine, peut-être à cause d’un livre d’enfance … Sans doute parce que ce sont alors les corps, l’expérience, la durée, la triste durée et la désespérance mêlée à de tout petits arrangements qui sont en question. En tout cas Lage et Palau survivants FAIistes se retrouvent, vie broyées Et Marsé écrit :

“Palau écrasé dans la foule sans pouvoir se retourner, ce corps lourd et épais, coincé entre les nuques et les épaules, qui n’arrive pas à se mettre à l’aise ni à s’imposer, qui aurait cru ça de lui autefois, quand un sang jeune bouillait encore dans nos veines, quand tout était perdu sauf l’espérance, à cette époque nous pensions tous ça ne peut pas durer mais ils sont toujours là ceux qui pensent aujourd’hui que ça ne peut pas pas durer, il faudra bien que ça finisse un jour, impossible que ça tienne longtemps, sans savoir que ces propos parviendraient comme un écho vide aux oreilles sourdes de leurs enfants et de leurs petits enfants : ils étaient vraiment aveugles, irrémédiablement vaincus et ils étaient bien loin d’imaginer de reprendre les armes, ils n’y pensaient même plus, maintenant ils n’avaient même plus assez de cran pour s’imaginer la tête dans un passe montagne, pistolet au poing, poussant le tourniquet d’une banque ou plaçant un explosif”.

Ailleurs, ils continuèrent ils imaginèrent, enfants et petits enfants, ont eu du mal à cesser d’imaginer – aveuglés non par le non savoir mais par trop de savoir et par trop de mémoire. Erreur tragique – quand on est vaincu et qu’on se dresse encore, quand le droit fait du malheureux un coupable – comme dit Walter Benjamin après Goethe, du misérable vous faites un coupable.

Alors ? Alors je n’ai pas lu beaucoup de grands récits, je n’en ai pas entendu beaucoup, ou alors en douce, auréolés de secrets et de silence. Mais je sais que tout coupables qu’ils se firent, ils furent, ces vaincus de vaincus, moins vaincus que Louis Lage, que Palau, que Marcos Javaloyes dans le roman de Marsé.