les ateliers de Bayonne (en écrivant)

J’animerai à partir du 14 janvier 2017 des ateliers d’écriture à Bayonne.
Voyez ici pour connaître les conditions (dates, tarifs, lieu).
Ici pour jeter un oeil rapide sur ma bibliographie.
Les ateliers seront au nombre de douze.
Quatre fois trois ateliers ; chaque série d’ateliers sera construite autour d’un thème : les voici.
Les ateliers commenceront en janvier et se termineront à la toute fin du mois de juin : revoir le calendrier.
Les ateliers s’adressent à quiconque a envie de découvrir des formes littéraires et d’en créer.
Ils ne nécessitent que cette envie-là.
Et de la curiosité.
Et de la générosité.
Aucun savoir-faire particulier.
On pourra sans mal prendre à tout moment ce train en marche.
Toutefois, les places étant limitées, il faut s’inscrire avant chacune des sessions.
Pour se faire une petite idée des contenus, c’est ici.
Pour remplir le formulaire d’inscription, c’est ici.
Formulaire à envoyer, comme il est indiqué, à mon nom, au 4 rue sergent Marcel Duhau.
Pour me contacter, c’est ici.

bio furtive & biblio

Marie Cosnay
desaubesparticulieres@gmail.com

Vit, écrit, enseigne, traduit au pays basque.

Quelques récits :

Entre chagrin et néant, CADEX
Comment on expulse, LE CROQUANT
Villa Chagrin, VERDIER
Déplacements, LAURENCE TEPER
André des Ombres, LAURENCE TEPER
La langue maternelle, CHEYNE EDITEUR
Des métamorphoses, CHEYNE EDITEUR
Le fils de Judith, CHEYNE EDITEUR
La bataille d’Anghiari, OR DES FOUS
A notre humanité, QUIDAM.
Cordelia la guerre, éditions de L’OGRE
Vie de HB, NOUS EDITEUR

Chroniques régulières sur les blogs et périodiques suivants :

http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-cosnay
http://www.enbata.info/auteur/marie-cosnay/
http://marie-cosnay.maison-des-ecrivains.fr/
le matricule des anges
l’impossible

Traductions

Traduction collective de l’Enéide de Virgile, à lire ici :
http://remue.net/spip.php?article6482
D’Orphée à Achille, traduction de trois livres des métamorphoses d’Ovide, NOUS

Théâtre
Bouc de là
Compagnie La baraque liberté, Caroline Panzera
(création en octobre 2015 au théâtre du Soleil)

prix lieu et calendrier

combien ?

12 ateliers : 290 euros (ou euskos)
6 ateliers : 150 euros (ou euskos)
3 ateliers : 80 euros (ou euskos)
1 atelier : 30 euros (ou euskos)

A l’inscription, je vous demanderai de vous engager sur la formule de votre choix, et de verser des arrhes.

?

10 rue Seguin.

quand ?

les samedi matin, de 10h à 12h.

janvier : 14
février : 4 / 18
mars : 4/ 25
avril : 8/ 22
mai : 6/ 20
juin : 3/ 17
juillet : 1er.

If (un petit bout)

J’avais conduit un personnage de 1962, un personnage d’Algérie, dans une cellule du château d’If.
Mon personnage avait perdu une terre, avait perdu avec sa terre ses vignes, son soleil, sa maison qui n’était pas une maison mais un palais.
Mon personnage était enfermé à quelques kilomètres de Marseille dans une cellule du château qui n’était plus une prison d’Etat mais appartenait toujours à l’armée.
Mon personnage a failli se trouver mal.
C’est un peu comme si jusque-là le château-prison l’avait attendu.
Sur le mur de cette cellule aménagée, il lit son nom, griffé. Lui qui n’en a pas changé. Il a perdu des pays, deux au moins, le premier qu’il n’a jamais connu, France métropole et le deuxième, France-Algérie. Il a perdu des pays mais pas son nom. Le siècle a fait un tour presque complet. Un de ses ancêtres après la Commune de Paris, en 1871, victime de la semaine de répression sanglante ordonnée par Adolphe Thiers, est enfermé au château d’If avant d’être déporté, certainement en Nouvelle Calédonie.
L’ancêtre grave son nom. Signe le château de son nom et d’une date.
Les communards futurs déportés en Nouvelle Calédonie ont-il été enfermés au château ?
Le château a-t-il emprisonné en 1962 de plus ou moins gros activistes de l’OAS ?
La seule histoire qui est attestée : les retrouvailles, en ce lieu, d’un nom.
Le nom de 1871 est celui de 1962.
En 1962, mon personnage de l’OAS n’a absolument pas conscience de la sorte de triangle historique et géographique qui s’est dessiné autour de lui, depuis presque cent ans.
En octobre 1870, Napoléon III vient de perdre la bataille et l’Alsace à Sedan, malgré 37.769 hommes partis sur le front franco-prussien, hommes enlevés à l’Algérie jusque-là de régime militaire. En septembre a été instaurée en France la IIIème République. En mars 1871 le gouvernement républicain se méfie du peuple de Paris affamé et révolté par la défaite. Les soldats, aux ordres de Thiers, viennent chercher, au nez et à la barbe de la garde nationale, les fameux canons qui appartiennent au peuple de Paris. On sait la suite, le 18 mars les soldats, à qui on intime l’ordre de tirer sur le peuple de Paris affamé et révolté, lèvent la crosse de leurs armes. On sait la suite. La Commune de Paris s’organise. On sait la suite. La IIIème République et Aldophe Thiers font un carnage.
L’Algérie de statut militaire a perdu 37.769 hommes au profit du front franco-prusse. Il faut dire que la IIIème République se démarque de l’Empire et souhaite, c’est Adolphe Crémieux qui parle, substituer en Algérie, au détestable régime militaire, un régime civil. La IIIème République souhaite assimiler l’Algérie à la France à un moment où l’assimilation est portée par des voix progressistes, celles qui visent à l’égalité.
Crémieux naturalise par décret les juifs algériens.
On commence par là – et on s’arrête là.
Quand on attribue la division juifs – musulmans au décret Crémieux, on oublie que ceux qui craignaient de tout perdre, les seuls à avoir quelque chose à perdre, étaient les colons pieds-noirs, on oublie l’excitation des émeutes antisémites provoquées par les agitateurs pieds-noirs, on oublie que Drumont une vingtaine d’années plus tard profite du climat, se présente à Alger aux élections législatives, y est élu député.
Les indigènes de statut musulman ne l’ont pas élu, qui ne votent pas.
Ce qui n’est une menue question.
Drumont voudra faire abolir le décret Crémieux, réviser le procès Dreyfus, condamner Zola.
La IIIème République souhaite donc l’assimilation et un régime civil en Algérie mais après la défaite de Sedan elle renvoie 17.000 hommes en Algérie. C’est que comme à Paris et comme à Marseille, on l’entend gronder, la révolte. Les paysans sont laminés par les séquestres, doubles impôts, confiscations, rétentions administratives, code de l’indigénat.
Les années qui précèdent ont vu le succès, craint par le gouvernement français qu’alertent des rapports militaires, de la confrérie religieuse Rahmaniyya et de son Cheikh Améziane El-Haddad.
La confrérie exhorte les musulmans à la ferveur.
Début 1871, les officiers des bureaux arabes enregistrent le refus de payer l’impôt.
On vend les semences à vil prix pour s’acheter au plus vite des armes.
On s’assemble en confréries de dix à douze membres.
A Paris, dans le même temps, la Commune crée comités et commissions.
Le 11 avril, à Paris, l’Union des femmes se constitue pour la défense de Paris. Le 8 avril, en Algérie, 15.000 Kabyles se soulèvent, appelés au djihad par le Cheikh El-Haddad.
Quelques décennies plus tard, on lira dans le Figaro, à l’occasion d’une nouvelle insurrection que la répression ultra sévère expliquera par le désormais célèbre fanatisme musulman, on lira dans le Figaro qu’à côté « des choses du ciel, les choses de la terre entraient pour quelque part dans l’exaspération des fanatiques ».
Ces choses de la terre qu’on aime oublier ou faire semblant d’oublier.
Dans les années 1858, dans les vallées béarnaises, les famines se succédaient. Les préfets craignaient recrudescence de foi et protestation politique conjointe. Cela n’a pas manqué, une petite fille a vu la Vierge. On s’arrangera pour que le Vierge elle-même, que l’Eglise va dessiner comme elle veut pendant que la petite fille meurt de tuberculose, écrase ceux-là même pour qui elle est venue.
Aux Kabyles entraînés par El-Haddad il faut ajouter ceux que El-Mokrani soulève avec lui.
Ou comment la révolte vient aux hommes qui n’ont rien à voir avec la révolte.
Parce que El-Mokrani, c’était pas franchement l’esprit de rébellion qui l’animait.
El-Mokrani, nommé bachaga, titre institué par les Français, avait reçu la légion d’honneur. Etait reçu chez le petit Napoléon, à Compiègne. Soutien des Français, il recevait le soutien des Français. Au milieu des années 1860, il avait payé de sa poche les semences pour ses villageois victimes de famines. La France de Napoléon III devait les lui rembourser. Il attendait. La France de la République a oublié. De plus, comme l’a dit Adolphe Crémieux, passons à un régime civil. El-Mokrani perd ses soutiens militaires. Un régime l’a trahi, lui qui a, si on peut dire ainsi, trahi. Ou accepté. Il a pris les honneurs et ça fait d’autant plus mal s’ils n’ont plus besoin de moi. Les honneurs perdus, il s’agit de retrouver l’honneur. Soudain El-Mokrani se lève, on va des portes de la Tunisie jusqu’aux portes d’Alger, d’est en ouest.
21 avril 1871, 20.000 insurgés marchent sur Alger.
A Paris, on interdit le travail de nuit et celui des enfants.
Le 8 mai El-Mokrani est tué au combat.
Au mois de juillet, le Cheikh El-Haddad est arrêté.
La répression est sauvage comme à Paris.
Le fils du Cheikh est déporté en Nouvelle Calédonie, avec une centaine d’insurgés. C’est là-bas que ceux-ci rencontreront ceux-là, les insurgés d’Algérie ceux de Paris. A ces gens-là on proposera remises de peine et grâces contre participation à la répression de la révolte kanake, on est en 1878.
Ce que tous ces gens-là accepteront, le plus souvent.
Quant à ceux qui n’ont pas été déportés.
Combien ont été, comme Crémieux, l’autre, celui de Marseille, Gaston, fusillés, visez la poitrine et non la tête, encore un qui est passé par la forteresse d’If, et vive la République.
Combien ont perdu de proches et d’espérances.
Combien de terres, combien ont été expropriés, rendus à la misère.
Défaite ou répétition générale, rendez vous dans même pas cent ans.

armier

Le temps filait. La voiture filait et comme d’habitude je me perdais à proximité de chez moi. Mercredi, longtemps le jour des enfants, ne l’est plus, ne le sera plus jamais, comment fait-on pour passer d’un monde et de ses rites à un autre, dans le temps d’une même vie ?

J’essayais d’écrire des sortes de romans, dans lequel il y aurait du temps, des semblants de suspens.
Il y aurait l’Histoire, des histoires.
J’en ratais plein, mes désirs étaient (trop) nombreux.
J’accumulais livres, documentation, je faisais des découvertes que je considérais comme des trésors, on pouvait voir les choses comme ça, dans cette liberté, cette phrase, dans une langue. J’avais des amis-livres. Je n’en faisais pas forcément quelque chose, les amis-livres rendent plus costauds mais aussi, plus seuls.
Le jardin et la maison étaient pleins de lumière, ça met le reste à une de ces distances.
Il y avait des personnages. Je rêvais de les poser là, dans le cours du texte qui s’écrivait au long cours.
Il étaient tous là, les personnages ; je n’étais pas bien ordonnée.
Hier, mardi, je me suis longuement perdue à proximité de chez moi, sur une route que j’emprunte depuis près de vingt ans.

A dix mètres, avait dit quelqu’un, il y a une quinzaine d’années – un monsieur qu’on disait énergéticien, un de ceux qu’il faut voir à tout prix, régulièrement j’avais envie qu’on me parle du corps et d’autre chose, tout ensemble, régulièrement on me parlait de quelqu’un qu’il faut voir à tout prix, tu vas voir il fait sauter les migraines, sauter, on m’avait parlé comme ça, c’est encore une histoire de voiture et de routes, je m’y perds. A dix mètres, a dit l’énergéticien dont je me rendais compte qu’il était, outre énergéticien qui fait sauter les migraines, coach de musculation, la salle à côté de celle où il faisait sauter les migraines était pleine de femmes et d’hommes peinant sur les instruments à muscler. Il portait une sorte de testeur, antenne à deux branches, brandissait l’engin vers moi dont le crâne était équipé d’un récepteur, le bonhomme avec énergie testait l’énergie que mon corps (ou mon âme) dégageait ou dont il (ou elle) manquait. L’énergie, dans mon cas, je l’apprenais, était à dix mètres de moi et ça expliquait tout, le monsieur du bout des routes landaises se contorsionnait pour qu’elle rentre sage, l’énergie, en son territoire – moi-même, âme ou corps, on ne sait pas.

J’ai pris une année sabbatique, j’étais au bout de l’enseignement, le collège a dégringolé, pour tout un tas de raisons il a dégringolé et mon année est sabbatique.
Jamais le jardin n’a été aussi radieux ni la succession des journées. Il faudrait savoir porter au jour les vies des hommes illustres ou infâmes, il faudrait savoir décrire au plus juste l’atroce grimace langagière et publicitaire que les futures élections présidentielles nous valent, il faudrait écrire des projets de, des projets autour de, il faudrait ramasser des brassées d’informations et les poser là, les montrer, en faire bouquets, il faudrait, c’est un chemin.
Tout était en chemin. Soi-même on était en chemin. On était le chemin et je trouvais ça chouette, le chemin, avec ses tracas, ses plaies, embuches, ses immenses peines, même, à hurler inconsolée dans la nuit.

Hier mardi fin de journée je me suis perdue c’est que tous les trois ou quatre ans j’ai envie qu’on me parle de mon âme, j’ai trouvé le chemin compliqué d’un thérapeute, un de ceux dont on te dit : il m’a sauvée la vie, il te fait sauter les ceci les cela, pourtant on se méfie d’un bouleversement quand il est si soudain, à ma décharge ça faisait bien longtemps que je n’avais pas eu envie qu’on me parle d’âme et une personne de confiance, c’est toujours le même scénario, m’avait mise sur la voie, à ma décharge j’étais en période de jardin et de lumière, à ma décharge Pierre m’avait parlé de la belle tradition, dans le sud de la France, des armiers, ces compagnons de l’âme des morts à peine ils meurent, qui savent, compagnons de l’âme, ce que veulent les morts à peine ils sont morts. Les armiers sont armés de ne je ne sais quoi, se tiennent tout près des larmes et de l’âme des morts.
J’étais prête.
En même temps je me demandais bien ce que j’allais livrer à la thérapeute comme symptôme vraiment emmerdant, depuis le début de l’année sabbatique, aucun de ces fameux symptômes n’était invivable. Je trouverais bien, en symptômes je me fais confiance. Mais ça a commencé par cette erreur sur la route, ça m’a amusée, je me disais allez perds-toi donc un peu.
C’est fait.
Je me suis perdue.
La route que j’emprunte depuis vingt ans, je m’y perdais sans peur.

J’ai pris une année sabbatique.
Il faut bien vivre.
Quand j’ai demandé à mon fils aîné de quoi il pensait vivre en faisant tel ou tel choix j’ai vu que la question était tordue, de quoi vivre ?Je ne comprends pas ta question, il a dit, sérieusement interrogatif.
Comment allez vous gagner de l’argent ?
Ah, ça !
J’ai pris une année sabbatique et je prépare un atelier d’écriture que je suis contente de mener bientôt dans la ville où en 1848 une petite fille a vu paraître quelque chose de blanc à qui on a donné un nom neutre puis un nom féminin.
Je suis partie de tempêtes.
De ces tempêtes, météorologiques, symboliques, intimes, qui fracassent le temps et signalent dans les oeuvres et les vies un avant, un après.
Il y a avant la tempête (ou le déluge), il y a un après.
Une coupure nette au milieu, un événement qui va tout changer. 
Prospero va marier sa fille et réconcilier ce qui était brisé par l’événement de la tempête.
Le roi Lear va devenir fou ou pauvre ou tendre ou triste.
Etc.

Je me suis perdue.
J’ai rencontré une énième poseuse d’antennes à scanner hyper voyant et pseudo scientifique, scanner, je n’invente rien, quantique, parce que chez nous, Madame, on regarde le totum (prononcer totom) de l’homme, l’âme, l’âme.
Mon âme était blessée et le scanner disait où elle en était de sa relation au corps qui lui était accordé, le mien donc, où ils en étaient tous deux qu’on ne sépare pas, il le disait via antennes, le scanner électro magnétique qui développait une activité quantaceutique, le scanner répondait aux questions, listait sur l’écran de l’ordinateur les bactéries, les mémoires du foie, d’ailleurs que le foie eût des mémoires inspirait à la dame naturopathe un jeu de mot, l’avez-vous, l’avez-vous ? Le foie ?
La foi.
C’est à dire on pouvait en parler, justement je, enfin quoi, vous croyez à, quelque chose, croire, quelque chose est un peu vague, je pourrais, mais passons.

J’ai écrit un mail que je devais écrire, on est mercredi, l’ex jour des enfants qui ne le sont plus, je suis plutôt de vie heureuse, les piles des livres et d’articles à lire me réjouissent, les journées ne sont jamais assez longues, je suis gênée aux entournures, j’ai écrit dans ce mail à un ami, je suis gênée parce que mon travail ne produit que ce qu’il produit, c’est pas tout à fait rien, mais pour nous, nous tous, en termes de connaissances ou d’utilité ou de lutte contre le racisme façon plongeon direct dans les années 60 ou années 30, quoi ? Soyons très honnêtes, rien. Rien, j’étais dans cette tension, depuis toujours d’ailleurs, j’avais choisi à la fac latin grec et j’étais et suis toujours aussi incapable de me débrouiller dans une des langues vivantes que j’ai pourtant toujours voulu fréquenter, espagnol, basque, arabe, italien.

La tempête j’ai bien aimé la poser à un moment de ma vie, il est hors de question de savoir aujourd’hui, mercredi, si c’est un souvenir primaire ou reconstruit, il est les deux à la fois, je prends la voiture après une annonce tragique, je prends la voiture, un de mes enfants est en danger, c’est alors que se lève une tempête dans le crâne, il y a un avant et il y a un après.
Je me suis arrêtée.
Je me suis arrêtée de parler – mais dans l’autre histoire, l’histoire du trajet en voiture, je ne me suis pas arrêtée, j’ai reçu soudain une migraine qui a coupé ma tête en deux, de la base au sommet.

Oh dit la dame aux antennes qui voit quelque chose sur l’écran de l’ordinateur, oh il y a eu un accident de voiture ? Oh il y en a un, en effet, dis-je mais c’est pas ce que vous croyez, j’ai envoyé promener les accidents, tous les accidents, l’accident n’est pas à moi, il n’est pas exactement à moi, si vous saviez combien il y en a, des accidents, il y a tant d’autres accidents que ces mini mémoires que vous lisez dans mon foie ma rate ou ma bile, tant d’autres accidents d’hommes passés par les fenêtres, il y a tant d’accidents et ces accidents, je dis, ils sont tous à moi, et ces tempêtes, je dis, elles sont toutes miennes.
Ce que je fais ? Je reconstruis un souvenir parmi d’autres car il me plait de poser un événement dans mon temps et le temps de mes enfants, je recompose un célèbre trajet en voiture, je propose qu’on l’appelle le célèbre trajet de la partition, c’est que ce trajet en voiture est tout pour moi parce qu’il a fonctionné comme fonctionne une tempête, il y a un avant trajet et un après trajet.
Un avant migraines et un après.
Puisque vous me demandez.
Un accident si vous voulez mais pas comme vous entendez.
La naturopathe me posait sur la tête des antennes quantiques reliées à son ordinateur, c’est une machine sérieuse, les médecins même voulaient de nos machines, la naturopathe proposait son verdict et le verdict tenait en deux mots.
Accident.
Dépression.

Il y a quinze ans, en ce jour de célèbre trajet de la partition, je courais pour bondir au volant de ma voiture dans le bureau de la directrice de l’école de mon fils cadet et y faire un scandale. J’y fis un scandale tout à fait mérité. Vous êtes dépressive, a dit alors le bureau de la directrice et j’ai cassé la gueule du bureau. Vous êtes dépressive, a dit la dame aux antennes mais je n’ai pas eu de colère ; résolument du côté des choses qui ne se laissent pas définir j’ai bien ri, la dame aux antennes a eu peur de m’avoir chiffonnée pire que si j’avais été en colère, je n’étais ni chiffonnée ni en colère, j’étais après, après après, longtemps après après.

Dans nos jardins radieux et nos jours sans école, on évitait, les enfants et moi, de poser des verdicts.
Il n’est pas né, le jour où les enfants et moi, nous aurons envie de définir.
Dans notre vie est entrée la tempête.
Quelque chose ou quelqu’un a porté la tempête.
C’était une tempête d’Algérie.
C’était une tempête sans le nom, une tempête sans son nom de tempête est entrée dans ma vie et dans la vie de mes enfants. A la place du sans nom de l’Algérie on a construit des souvenirs de mini tempêtes comme le souvenir du célèbre trajet de la partition, le jour de la partition nous a beaucoup marqués, je cassais la gueule des bureaux et des verdicts. Le jour de la partition a été suivi de quelques autres cassages de gueule et tous nous ont beaucoup marqués même s’ils n’ont pas, eux, de petits noms.

Et ces histoires d’antennes et d’âmes des morts ? Le mort c’est moi c’est à dire les autres, celles et ceux qui ont sauté par les fenêtres, ceux que les verdicts rattrapent, dans ma main un enfant pleurait, que dis-je, sanglotait, se roulait par terre contre l’abandon et contre les histoires, contre l’histoire de faire chemin, trajet, l’enfant dans ma main pourtant absolument courageux disait stop au chemin, au trajet, stop pour un instant, un instant seulement et pour ce même instant, en ce même instant, je disais moi aussi stop aux tempêtes et aux trajets, j’entendais une voix tordue et criarde qui répétait : vous savez ce qu’est l’aura ? Et je répondais : vite fait. Cette histoire d’antennes et d’aura a lieu tous les trois ou quatre ans, quand je fais une crise d’âme ou de totum, prononcer totom, totom quantique je ne sais quoi. Ce soir, mercredi, ex soir d’enfant, je me suis perdue dans mon enfant, il voulait quelque chose aspirant au contraire, voulait que ce soit pour toujours et grandiose comme montagne et qu’à la fois ce ne soit plus, c’est toi en haut de la montagne, enfant, bon sang c’est une histoire de route, de trajet modeste, dût-on s’y perdre un peu-beaucoup.
Des tempêtes sans nom ont traversé nos vies si bien que si j’ai deux mains, dans l’une pleure un enfant, dans l’autre se tait un enfant avec son nom muet d’Algérie.

La grande demeure

Les premiers symptômes d’une maladie mortelle fournissent au professeur le sujet de brillantes leçons, mais toutes les maladies mortelles présentent le même phénomène ultime, l’arrêt du coeur. Il n’y a pas grand chose à dire là-dessus. La société ne mourra pas autrement.
Vous discuterez encore des pourquoi et des comment.
Et déjà les artères ne battront plus.
(Bernanos)

Vous trouverez ICI notre deuxième chronique musicale.
Vincent Houdin & Marie Cosnay

un peu voyou

Nous commençons une série de chroniques, polychronies, musique et voix, par celle-ci, que nous vous donnons ici à écouter.

Marie Cosnay & Vincent Houdin

*

Nous en avons assez de devenir des jeunes sérieux
ou heureux par la force ou criminels ou névrosés
nous voulons rire être innocents attendre
quelque chose de la vie demander ignorer

nous ne voulons pas d’emblée être si surs
nous ne voulons pas être d’emblée tellement sans rêves
Grève grève camarades ! Pour nos devoirs !

Monsieur l’instituteur cessez de nous traiter comme des idiots
qu’il faut toujours ne pas vexer ne pas blesser
ne pas toucher. Ne nous adulez pas, nous sommes
des hommes, Monsieur l’instituteur.

Pasolini

cependant

D’une part, les armes exocet les sous-marins les outils de (toujours plus définitives) guerres circulaient, d’autre part circulaient aussi les mallettes, les liasses, trésors de guerre, butins – chaudrons à trois pieds, vases ciselés, tuniques brodées, rivières de diamant, filles pour servir. Circulaient, se divisaient en monceaux de richesses, s’éparpillaient, se planquaient. Des hommes de lettres morts prêtaient leurs noms sous lesquels cacher du très mort en monceaux. D’autres noms de fantaisie et de fumée cachaient en sociétés les avoirs faiseurs de rois et de très morts.

Cependant qu’on s’étonnait : la guerre n’était donc pas ce prétexte servant à faire circuler hautes technologies contre mallettes et noms situés sur la carte entre deux palmiers ?

Cependant qu’on s’étonnait : la guerre ?

Cependant, elle avait, la guerre, des tas d’années, elle était tout à fait une dame plissée, une vieille dame pareille au chien des Enfers, avec sur le cou plusieurs têtes, les têtes géantes se ramifiaient en autant de têtes de complexités, de deuils et d’exils – de têtes de petits arrangements aussi, et de gros profits.

Cependant, les meutes féroces devenaient plus féroces, plus avides, maladie que l’avidité et la férocité, les meutes disaient s’adapter, à ce monde cruel il leur fallait, pensaient les meutes, s’adapter, sortir pour le souper les marrons chauds du feu où elles se brûlaient les doigts, aux marrons chauds les meutes se brûlaient les doigts mais les sortaient du feu pourtant, ce faisant sans surprise elles en piquaient pour les marrons chauds sortis du feu, tout à fait addicts maintenant les meutes recommençaient, sortaient du feu et planquaient les prises, entre deux palmiers.

Chaque fois les éléments se mettaient en place.
Sur ce grossier schéma, qu’est-ce que tu vois ?
Ceux du régime à qui la Russie donne des ailes.
Contre le régime, ceux qu’on dit rebelles.
Contre encore, un mouvement enfant de mouvements que les guerres de guerre froide et que les guerres pas froides, Irak 2003, vieilles dames difformes, alimentèrent. Certains de l’EI étaient côté rebelles, avant, c’est vrai. Tu remarqueras que vu d’ici, du dedans, tu te places et ne te nommes pas toujours si clairement.
Les Peshmerga empêchent l’EI d’avancer.
La coalition des européens contre l’EI fait des victimes armées et des victimes civiles.
Attaque l’EI qui attaque le régime.
N’attaque pas le régime.
Ne le soutient pas.
Attaque, collatéralement, ceux qui attaquent l’EI et le régime, qu’on appelle rebelles.
Cependant.
Des types d’Europe et de partout rejoignent l’EI. Cherchant un royaume mille merveilles, cherchant aussi l’aventure, parfois merveilles, aventures et cruauté font bon ménage. Cherchant un bon royaume de revanche.
Des types d’Europe et de partout rejoignent les Kurdes, parfois de ceux qui viennent crâne rasés contre l’islam les Kurdes sont un peu encombrés.
Infiniment plus nombreux, des hommes femmes et enfants se retrouvent coincés, noyés, dans les criques d’une île. Cherchant non pas un royaume à merveilles mais un toit que les bombes ne déchirent pas – ou ne cherchent pas de toit mais un ciel que les bombes ne pas.
Sont renvoyés. 
Ici, trafic avec la coalition d’Europe : être un bord d’Europe enfin, et tenir les flux et reprendre les flux.
Cependant que rage la guerre de force avec les Kurdes, peuple qui, de temps ancien et de tout temps, etc.
Qui tient tête à l’EI, avec quelque chose comme l’idée que ça peut compter dans l’histoire. 

Cependant qu’on entendait : on a toujours été les dindons de la farce.

la fille et le lézard

Débarque quelqu’un sans prévenir. Débarque quelqu’un, la tête d’abord, la chevelure noire et longue jusqu’aux reins, quelqu’un.
Au féminin.
Qui t’annonce que tu es sur son terrain, tu penses à la nymphe des fleuves ou des bosquets, tu dis : d’accord je me suis égarée mais je ne manquais de respect à personne, je vous présente mes excuses, j’étais là par épuisement et la fille gracile, cheveux en tresse sur les reins, grand cou séparant le tronc de la tête, tu ne fais rien remarquer parce que tu n’en mènes pas large, te dit en riant (ce qui te conduit à penser qu’elle se moquait un peu de toi avec son affaire de terrain personnel) : je vais vous montrer quelque chose, c’est bien parce que c’est vous.
Le chemin, là, dont tu aperçois l’entrée, est le chemin que prennent ceux qui ont accumulé tant de matière que la matière s’est ossifiée, te dit la fille.
Notons qu’elle te tutoie.
Elle explique : si la matière se densifie et qu’arrive l’événement de la mort dans la suite des histoires c’est quand même pas pour ça que meurt le reste, l’énergie par exemple ne meurt pas ou si elle meurt c’est quelque chose de complètement à part et de singulièrement triste, certes, mais de très rare, soyons loués.
Là, tu te dis que la fille débloque.
Tu révises ton premier sentiment, nymphe des bosquets, tu n’y crois plus une seconde.
Si on voit les choses de ton côté qui semble un côté plein de tristesse, reprend la fille à l’allure d’indienne au long cou, ce serait radicalement plus simple de mourir d’énergie.
Adieu, alors.
Elle se ravise : viens, emprunte avec moi ce petit chemin. Quant à savoir si on en revient, ah ah ah.
La fille aux longues jambes longs cheveux longs ongles rit puis cesse de rire.
C’est pédagogique comme visite, ajoute-t-elle.
La fille est docte et maternelle. Je remarque le tatouage sur ses reins quand le tee-shirt très court remonte un peu, à force de gestes.
Je fais tout ça ça pour te plaire, dit la fille, tu prends ton air d’outre-tombe or les outre-tombes tu sais quoi, je vais te dire à l’oreille (elle approche, les yeux écartés l’un de l’autre, les pupilles dilatées, son odeur de pluie, de nymphe des bosquets, de fée de rosée matinale), je vais te dire à l’oreille, t’expliquer le processus, ce n’est pas difficile.
Tu es naïve petit moineau.
C’est sa dernière remarque.
Ne pas se vexer.
La fille avance, le lézard sur le rein bouge avec elle, je lui arrive en bas des épaules, j’avance à sa suite, j’en aurai fait, des découvertes, j’en aurai suivi, des pistes, chemin au milieu des graminées, je m’étouffe, éternue trois fois, la fille et le lézard se dandinent devant moi et quand la fille se retourne elle me fait un clin d’oeil.
Elle me raconte ses séances d’hypnose, ça permet, dit-elle, de faire des découvertes, tu ne vas pas en croire tes yeux ni tes oreilles quand tu vas voir les morts.
Comment ils se sont ossifiés. Rien de perdu.
Elle se répète.
Ils sont morts de l’extérieur, les fluides devenus roches, la mort est arrivée, un accident, un emmerdement, un hic dans l’histoire ou alors c’est à force de fluides, à force et à force de fluides ce n’était plus possible, ça ne pouvait pas continuer, ça n’a rien de mortel, la mort n’est pas dedans.
D’accord.
Dis-je, suivant la fille qui me semble rajeunir au fur et à mesure que je la suis dans la campagne et la campagne est une crête maintenant, le chemin est un chemin de crête, d’un côté la route, sinuosité goudronnée, de l’autre côté la mer, d’un bleu miraculeux, d’un bleu qu’on n’a jamais vu jusque là, soit on n’était pas attentif soit il n’existait pas. La mer fait des ourlets mousseux, vraiment loin, on pourrait y être, on n’y est pas et entre y être ou pas il n’y a pas une si grosse différence.
La fille porte une tresse jusqu’en bas des reins, le lézard joue de sa chevelure, on avance, descend en zigzags, manque de se casser la figure sur les pentes de bruyère, en bas il y a une crique, la marée est basse qui laisse les pointes des roches saillir, des genoux, viens voir les corps, dit la fille en saroual.
Et ceux qui ont voulu mourir ?
Elle se trouble : c’est une légende. Il n’y en a pas.
Silence.
La fille n’a jamais entendu parler de mélancolie.
Elle revient à l’hypnose, aux quantités d’énergie qui circulent aller-retour et sens inverse, vitesse pas possible, tout droit maintenant, quand on dit droit il faut faire attention parce qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire on se foule une cheville, c’est que les rochers sont escarpés, traitres, de petits crabes se faufilent au-dessous.
Continue, dit la fille qui fait un peu la tête depuis la mélancolie.
Dire que je descends, je descends, je descends encore, dans une caverne d’océan, une caverne de marée basse qu’on appelle chambre, j’hésite, la fille m’a fait un signe de tête pour m’encourager, je n’ai pas eu le choix, les pieds s’enfoncent dans un sable couvert d’algues douces, n’aie pas peur, c’est là que tu verras.
Les corps.
Tu le vois qu’on s’est bien fichu de toi jusque là ?
D’abord, c’est l’odeur qui saute au visage, tracasse.
Ce n’est pas une odeur de mort mais d’herbe. On dirait une réunion de fumeurs de pétards endormis dans de douces positions. La main sur laquelle la tête s’appuie. Les jambes l’une sur l’autre. Les nuques abandonnées. Moi aussi je me suis abandonnée.
C’est ce que je crois du moins.
A mon réveil la fille a disparu. 
Alors, je crie, et l’hypnose ? Et l’hypnose promise ? Il n’y a plus personne autour de moi sauf les corps des morts historiques, ceux que l’accident a pris, il y a, clapotante, la marée montée qui ferme le trou de la caverne où je suis avec les morts.
Les flots ne recouvrent pas le trou naturel, la fille savait ce qu’elle faisait, une nymphe marine, à qui que ce soit que je pense elle a disparu, il me faudra attendre l’heure de la descente de la marée et j’attendrai.
Les morts ont de belles têtes décontractées. Certes en eux de la structure s’est accumulée, jusqu’au point où l’histoire a buté contre la fin. Le résultat ? L’air bienheureux, l’odeur pas désagréable du tout, le corps de roc, d’os pâle, blanc, dur, propre.
De beaux morts.
On a des gueules d’événements, disent-ils. Chez nous rien ne dégouline. Pas un mort une morte ne ressemble à un mort une morte. L’unicité du mort est ce qu’il y a de plus remarquable.
C’est simple, au fond.
Je n’ai pas besoin de séances d’hypnose.
La fille aux hypnoses et lézard et saroual est partie, elle m’a laissé tomber.
Elle m’a laissée dans le paysage.
Les paysages, autrefois, étaient forts comme les objets d’amour.
Plus forts.
Les emmerdes, évidemment, avec des paysages forts comme les objets d’amour, c’était tout le temps.
Je lisais des romans noirs. Je ne me souviens pas trop des aventures qu’ils multipliaient. Des ombres qu’ils suscitaient. Dans mes romans noirs, les corps n’étaient plus un problème. C’était des romans anti-mélancolies.

(accroche-toi, poupée, on décolle !)

Le lézard sur les tuiles du toit, le soleil se laissait voiler, l’idiot.
Le soir tombait déjà, ça faisait des toiles et des poings et des doigts dans le ciel, super lumineux le tout, gigantesque, on n’a plus l’habitude d’écouter les oiseaux, les grenouilles. Dans l’enfance et l’été c’est peut-être les grillons ; pas ce soir : les grenouilles.
On marchait.
Je marchais, seule. J’avais hérité, pour ma marche solitaire dans les grenouilles, les oiseaux et les lacs du ciel épouvantablement élargis, d’un fardeau singulier : l’enfant d’autrefois, sur la même route, portant les pensées, les ennuis, les mêmes. De petits équilibrages ? Ils avaient disparu, comme les grillons avaient disparu.
Restaient les grenouilles, ça m’allait mais ça m’allait un peu triste.
Le soir tombait, j’avançais sur la route où quelque chose devait se passer, avait dû se passer, j’avais une peur panique d’y aller voir, c’était irrésistible.
Le premier bruit m’a terrifiée, celui d’un chien dans le fossé : il devait être pris dans un piège, à moins qu’il ne remue à dessein les herbes hautes avant de me bondir dessus, m’écorcher comme il faut qu’on le soit à la fin. Une scène comme ça dans mes scènes-bestiaires. Tout pour la panique, surtout le soir, soir du retour à l’enfance ou soir du retour sur la route d’enfance. Le bruit-chien me terrifiait si bien que je faisais semblant, en appelais gaiement à la largesse du ciel, alors que le soir tombait, toujours pire je disais, je niais le chien et le bruit froissé dans le fossé, pire et pire le soir, je tournais la tête, si je devais finir écorchée eh bien je ne verrai pas la mort en face ni la peur, pas question.
Ce n’était pas un chien.
J’ai regardé l’écran du smartphone : il ne répondait plus.
J’ai voulu autre chose. C’était urgent, ça n’a rien donné. J’ai voulu de toutes mes forces parler à quelqu’un qui me reviendrait du passé, ça n’a rien donné. 
J’ai fait un bond. J’ai bondi à la place du chien. C’est que dans la nuit qui tombait, sur le chemin de pierres que j’appelle la route, à droite le champ labouré et à gauche les peupliers et les pins et les pins, c’est que dans la nuit qui tombait (on distinguait les formes), une biche a surgi, m’a heurtée comme ça, au coude, m’a frôlée, rasée, a sauté, j’ai accompagné la course jaune et les bonds côté peupliers, la tache rebondissait.
Le bruit d’un chien : tu parles.
Le deuxième bruit est un craquement. Il n’y a pas d’origine au craquement. Pourtant, quel raffut, mon premier mouvement est de regarder mes pieds et l’écran noir du smartphone et rien – la biche, qu’est-ce qu’elle est devenue, s’il y a dans mes scènes-bestiaires une ou deux biches, celle-ci sera la troisième ; la fureur du ciel est telle qu’une biche-bestiaire de plus ou de moins, peu importe, l’une d’entre elles est jeune fille soumise à la malédiction, ça en fait, des filles, sur la route de pierres.
Le craquement est identifié : le tonnerre. Il est arrivé comme ça, pas gêné, dans le ciel qui faisait jusque-là des vagues et des dessins dorés. Le tonnerre a explosé avec des zigzags de feu, pour de bon il n’y avait rien de plus repérable que ces bons vieux zigzags, des zigzags qui n’avaient rien à envier à ceux des enfants et des dessins.
Puis le feu.
Le feu, j’insiste.
Pour un peu je voyais la mer ici-même ici dans les champs je voyais la mer et les langues de feu par-dessus, fâchées, serpentantes, rouges.
Puis les roches. La roche nue alors que tout à l’heure, c’était à étouffer dans le vert des peupliers et des chênes – les fossés verts regorgeaient de scènes de chiens cachés ou de biches cachées sautant à l’aventure. Les roches nues comme si soudain, dans le feu qui hurlait, on avait tourné la page vers une autre géographie, un orient, pas un occident – pas un accident, la lettre a me tombait dessus dans le bruit du tonnerre et dans la lumière et dans les éclairs flamboyants.
J’allais rentrer à la maison ou plutôt j’ai voulu rentrer à la maison, j’ai marché à tâtons, accrochée au smartphone d’écran noir, bâton ramassé au cas où, j’ai marché longuement, un paysage désolé, mer, canyons, feu alentour, un arbre déraciné, la lune rasant le sol brûlé, rouge rouge, j’ai voulu rentrer, la pluie s’était invitée qui n’arrangeait rien, je voulais rentrer mais au lieu de rentrer j’allais trouver l’abri d’une grotte, une fissure dans la roche, ouverture étroite certes mais je passai quand même, tête en avant.
La gorge était étroite, ça n’en finissait pas, à un moment, je ne sais lequel, sans doute une fois tombée dans la salle confortable de l’intérieur de la grotte, j’ai dû m’assoupir.
Je n’ai rien vu.
Je me suis assoupie dans la grotte. Dans mon rêve, il y avait une jeune femme : blonde comme les blés elle interrompait une scène de théâtre, la scène était mal jouée, spectateurs nous étions au bord de la crise de nerfs tant la scène était mal jouée. La fille blonde comme les blés hurlait, le théâtre était convoqué, il renaissait, le théâtre était une sorte de bâton, de sceptre ou de thyrse, le théâtre frappait trois coups – il frappait bien plus que trois coups.
Dans mon deuxième rêve figurait un homme mort qui participait activement à ses propres obsèques, il riait à la folie et ça donnait à tous les participants de la fête funèbre un élan endiablé, une joie hors du commun. Figurait aussi dans la scène-rêve numéro 2 un autre homme, âgé, de mèche blonde, je pense après coup : de mèche. De complicité.
Réveil dans la salle du fond de la grotte où par soir de tempête je me suis glissée, tête première, smartphone en main, j’entendais encore les craquements du tonnerre mais c’était le noir absolu, pas une lueur, rien. 
Les explosions de tout à l’heure étaient de purs souvenirs, le gémissement des flammes régnait dans le ciel et le monde. Je me retournais douloureusement, j’avais mal à la hanche, l’épaule ne me disait pas grand chose qui vaille, la tête résonnait de douleurs précises, crabes ou scorpions prenaient la place.
J’étais au fond d’un trou, dans le noir, blessée.
J’avais fait une promenade sur la route de l’enfance aux pins maritimes, j’avais croisé une biche impromptue qui m’avait bondi et ri au nez, je l’avais prise pour un chien, je m’étais abritée de l’orage et de la pluie battante, faufilée dans une crevasse que je ne connaissais pas, c’est là que ma vie (pensais-je pompeusement), ma vie avait basculé, la crevasse était un long entonnoir débouchant dans une cavité fraîche et obscure, je touchais terre, je touchais la terre, je touchais la mousse, je pensais : une source non loin – à tâtons je découvrais les lieux.
Je ne pensais pas, pas tout de suite, à remonter.
Comme tout à l’heure, au moment du chien-biche, je préférais ne pas voir, ne pas savoir. Je n’imaginais pas l’ascension compliquée ni que j’aurais un besoin absolu d’aide sans moyen d’en demander.
La pièce était circulaire. Tentée de me rallonger dans le froid, sur la mousse. D’en rester là, je veux dire pompeusement en rester là de ma vie, la vie. Debout, la douleur. Tentée de ne pas chercher à aller plus loin. Ni à sortir de la grotte ni à passer dans le temps ni à comprendre les choses du passé ni à aimer celles du présent.
Les mini-phrases du présent ? Je vomissais, front appuyé contre la pierre dégoulinante de la grotte, les phrases du présent.
Je les vomissais.
Je ne sais pas où j’ai trouvé le courage de poursuivre. La biche ? La séquence de la biche tout à l’heure et mes biches précédentes ? Faire comme on apprend à faire, les choses pour les faire, sans regarder les choses ni l’amour ni le goût que j’ai de les faire ?
Tu m’étonnes, tes migraines et ta nausée.
La mousse était souillée. La belle chambre obscure et souterraine, je l’avais souillée.
Lève le nez. Vois le ciel. Pas le ciel mais cette tranche minuscule de ciel bleu roi et violent. Le jour plein. J’ai posé le smartphone dans un coin puis je l’ai oublié.
Chaque chose en son temps.
La douleur explose comme le tonnerre d’hier soir. J’ai le temps de penser : douleur et tonnerre, biche et feu. Ma vie, la vie (pompeusement, toujours), quelle histoire.
Quelle histoire.

Tombés dans ce que nous pensions ne jamais vivre mais que nous savions que nous vivions ou à quoi nous savions que nous étions mêlés intimement refusant de savoir que nous le vivions.
La guerre du-dedans, nous les sans-guerre les sans rivage à conquérir, les sans pays de Cham, nous les chercheurs d’or harassés qui ne croyions plus à l’or, nous les chercheurs de bonne foi, plutôt de meilleure foi que de moins bonne, plutôt plus que moins, l’or on croyait le chercher, on avait les stigmates de ceux qui le cherchent – et la fatigue et les épaules.
Bref.
Il y a eu des chocs consécutifs.
Les chocs de règles qui étaient des ordres et d’ordres qui ne suivaient pas les règles. Les lois d’espace commun qui découpaient, canif devenu bazooka, sourire crispation, l’espace commun. Décidons de doubler l’attirail militaire. Rends gorge, homme, pays, toi qui es debout, as les jambes et la parole. Le discours sans raison, on devenait le fou à la place du discours. On faisait nos comptes, perdus dans les champs lexicaux.
D’abord, l’ennui avait gagné et le tout-économie.
Puis l’ennui avait perdu.
Avait tout perdu comme toujours l’ennui.
Parce que l’ennui et le tout-économie perdent toujours et rien à voir avec la biche, quoique.
Voir ce qui surgit toujours.
Il y a des biches de gueule bancroche.
On allait oublier ce dont on avait conscience ou dont on avait décidé qu’on aurait conscience et qu’on ne nierait pas.
Une guerre, donc.

Vers la page 630 de mon roman d’espionnage (il me faisait une tête de complot, une tête de qui a vu le complot, merde je disais, une tête de complot pour résister à l’absurde qui rongeait dedans), je suis sortie, je suis sortie me dégourdir les jambes et hop, le chemin de l’enfance.
Il y a eu le bruit, ce chien qui était une biche.
Je sais maintenant comment j’ai pu glisser dans une faille qui donnait dans la grotte. J’avais rapetissé.
J’étais toute petite et légère, un poids de rien du tout. Je tiens à le dire : mon vrai poids. Le poids que je me pèse. La tête que je me fais. Désormais c’est mon poids et ma tête.
J’ai perdu le nom, en plus de la taille et du poids j’ai perdu le nom, ou j’en ai changé, comme ça, arbitrairement, j’en voulais un qui soit minuscule, c’est ce qu’il fallait à mon poids plume et ma taille Poucette, j’ai hésité. 
On comprend ce que m’a fait la biche, comment elle a pu sauter par dessus moi. Terreur sacrée de biche.
Puis la grotte, le glissement dans l’anfractuosité, l’humidité de la mousse en bas, une source quelque part, c’est sûr.
J’envisageais les sous-sols comme autant de réseaux de ruisseaux, ça faisait sous terre des coudes et des géométries, ça circulait sans fin, aller-retour, à toute vitesse.
Lève le nez, vois le ciel. Il est bleu terrible. Une fente. Je vais jouer des coudes, des mains, des genoux. Les bords m’échappent, les ongles griffent la roche qui pleure. J’ai voulu escalader, la stalagmite faisait un bon toboggan, j’y étais presque, j’y croyais. Puis j’ai dégringolé. Rien de bon pour la migraine. Le coeur frappe comme la pluie de la veille. Les forces allaient manquer. Le bleu de la fente s’éclaircissait un peu, légèrement, je dirais qu’il jaunissait, lumière, lumière, plein midi.
J’allais l’oublier : le smartphone. A tâtons le retrouver, appuyer, maintenir appuyée la touche magique. La deuxième fois est la bonne. Pas de réseau mais la fonction lampe de poche va me servir. J’éclaire au-dessus. Comme c’est haut – je gratte des échelons la stalactite. Patiemment. Je gratte, prépare mes prises. Comment ai-je pu être si étourdie que je suis tombée dans un trou à des mètres des airs du dessus.
Le ciel s’écrase dans la fente, vraiment lourd de lumière. Bravo. A ce moment-là je dirais que je suis à moitié de mon ascension, pieds sur les échelons grattés dans le pilier de glace, j’éclaire au-dessus et j’éclaire au-dessous, les souterrains et les lunes en quartier, je dégringole pour la deuxième fois.
Cette fois ce n’est pas une dégringolade technique, c’est une dégringolade super émotive.
Ce que j’ai vu je l’ai vu.
J’ai cru le voir et je le revois. Ce que j’ai cru voir je l’ai vu et je vais le revoir si je veux mais j’économise l’énergie du smartphone et j’économise la mienne, j’économise le tout et je ferme les yeux et je vois. J’ai vu de grandes bêtes. J’ai vu des monstres et j’ai vu des bisons.
Je n’en ai pas fini.

Un jeune homme conduit une mobylette, ses cheveux dans le vent sont tenus par un turban : c’est l’apparition au turban. Les miracles avaient lieu, des miracles coupés, des miracles à moitié – la moitié ne retirait rien au fait que c’était des sortes de miracles ou des chemins de miracles – ce qu’il faut pour te donner l’aile, l’essor. Je rêvais de turban sur la route de l’église (puisqu’église il y a). Le dimanche le rêve paraissait, en turban, sur une mobylette. Le rêve n’était pas de ceux qui communient mais sur la place il faisait tourner son moteur et regardait passer les filles qui allaient communier, le faisait en fumant, l’air de bien se marrer.
Je crois maladivement alors aux rêves en turbans et aux moteurs des églises, il me faut voir un médecin qui soigne le corps qui voit avec des aiguilles puis un autre qui soigne le corps qui voit avec de l’eau de mer puis un autre qui soigne le corps qui voit avec de l’énergie mais c’est une catastrophe puis avec du patchouli mais c’est pas mieux, bref depuis le jour de l’église je vois bouger le rideau orangé de ma chambre, quelque chose appelle.
Le rideau et derrière le rideau deux fois il y a eu un bruit, un picotement, un bec d’oiseau frappeur. Je tremblais. C’est ça, peut-être, le manque de courage : je n’ai pas bougé, je n’ai pas posé de questions devant le rideau dégoulinant de sang.
Je ne veux pas savoir ce qui appelle.
Le rideau dégouline de sang.
Mince, il suffirait de tourner la tête ?
Un drame m’attendait au tournant du miracle total, une vie de tuberculose et de maniaco-dépression.
Des choses comme ça.

L’amie à qui j’ai dit : dis donc, je crois bien que j’ai vu quelque chose.
Quelque chose ?
Elle faisait semblant, comme ça. En fait elle comprenait.
L’amie de confiance a dit : moi aussi j’ai vu, c’était beau.
C’était qui chez toi ?
Le Christ. Mais je suis myope. Si ça se trouve, c’était sa mère.


Le deuxième turban n’est pas exactement un turban mais une capuche.
C’était dans un endroit vallonné et mystérieux.
Un endroit où on marche en attendant ; pas toujours il se passe quelque chose.
Je savais que Bernadette à Massabielle ramassait du bois comme dans d’autres contes des enfants perdus et pauvres ramassaient du bois, des os. Je le savais à la fin des années 70, parce que je lisais, couchée dans l’infirmerie du collège, luttant avec et contre les miracles qui voulaient aller jusqu’au bout et n’y allaient jamais, les récits de l’enfance de Bernadette, il était question des branches qu’elle ramassait avec ses soeurs, petites voleuses de branches de chauffage, on n’a jamais parlé mal de nous, disait le père qui vivait dans un cachot, entre le canal et le Gave, Bernadette ramassait des branches et des os. Les os m’avaient marquée. Est-ce que j’avais bien lu ? Bien compris ? Bernadette et ses petites soeurs ramassaient des branches pour le feu et la vente.
Et des os.
Une vingtaine d’années après que Bernadette, comme disait mon livre, cueillait les os, en Chalosse, d’une carrière de vieilleries, on fit surgir des os, des restes et des traces de vie – et une toute petite dame sans bouche à la capuche.
Les os la femme et la capuche, c’est à dire un turban.
Mon deuxième turban.
Le turban de Brassempouy.
La petite dame d’ivoire ne peut pas sourire, elle n’a pas de bouche. Elle a tout à l’intérieur. Les joues un peu pincées, voire tatouées, scarifiées selon des rites magdaléniens en tout cas pyrénéens, en tout cas la petite dame était minuscule, une dame à capuchette, petite figure en 3D alors qu’ailleurs d’immenses figures plates, sur les murs des grottes, prenaient la place – des bêtes affreuses, des bisons blessés, des trucs comme ça.
Les arabesques des bêtes.
Elle, en 3D, son cou, le voile qui frisotte, les yeux grands et noirs, comme ceux de Bernadette sous le voile ou le foulard ou la capuche, les sourcils et le nez droit, il manque la bouche mais c’est que tout est à l’intérieur, avec le sourire.

De grands signes d’animaux, un bison blessé, une flèche qui lui traverse l’estomac, un petit bonhomme dessiné comme un bâton et le sexe du petit bonhomme comme un bâton, dressé. Tendu vers le bison, vers sa proie et chasse etc.
J’ai un moment de vertige, normal.
C’est alors, assise et la tête dans les mains, économisant la lumière et la batterie de mon téléphone, que je pense à l’église, à la capuche et au timbre de l’enfance, au turban d’un Christ, aux branchettes et aux os que ramassait la fille qui parlait patois, comme ma grand-mère et un peu ma mère malgré l’école et la République.
Les bêtes m’environnent ; il se passe quelque chose alors que c’est fini, que je n’attends plus aucun prodige : je rapetisse.
Je l’ai dit, j’ai rapetissé dans la grotte.
Je suis minuscule comme la dame à la capuche, je vois bien mes genoux sur lesquels je pose ma tête, de la taille d’un dé. Mes pieds n’en parlons pas, ils n’étaient déjà pas grands. Les vêtements baillent ; je pense que ça n’arrange pas mes affaires, cette histoire de rétrécissement. Je crois bien que l’ascension est fichue. Il faudra trouver autre chose et si c’est passionnant de chercher comment sortir de pièces hermétiquement closes, si c’est le grand jeu ou l’enjeu de toute l’histoire ou de toute les histoires, en attendant je ne fais pas la maligne car tout semble absolument désespéré.
Seules les formes rouges et ocres me regardent. On dirait qu’elles tremblotent mais c’est la peur que j’ai au fond de moi, la peur est comme le sourire de la dame capuchée, la peur fait trembler les dessins des hommes qui les premiers ont connu la peur, pire que ça.
Je pense : grotte ou pas, dedans dehors, petite comme je suis (quelques centimètres sur quelques centimètres) eh bien j’ai toujours su que la journée, je ne dis pas la vie, mais la journée, modeste, il faut la faire tenir et que c’est du boulot. Ma vieille, c’est le moment où ça ne tient plus, normal, il doit être aux alentours de 17:00 si je me fie à la lumière que j’aperçois, très loin, très haut, dans la fente par où j’ai dégringolé. Le soleil est parti vers l’ouest, il commence à chuter, c’est ainsi que le bout de ciel je le prends dans la gueule, un pur rayon, du feu. Bien.
C’est normal, donc. Mon heure.
Le jour ne tient pas et les grand animaux, mammouths par exemple, tremblent comme s’ils allaient attaquer, le jour est plein de mauvaise conscience, la mauvaise conscience a une méthode : elle déglingue le travail qu’on a fait, en premier lieu. Mon dieu, je suis capable de dire, à 17:00, dans la grotte, que tout est tordu et négligé. Négligé surtout me brise en morceaux. Je n’ai rien fait que de très négligé. Je baisse les yeux. J’ai atteint l’endroit sensible. Est-ce que quelque chose dans le moi rapetissé que voici ne se réjouit pas ? J’ai peur, je n’ai pas peur. Les deux en même temps. Avant il y avait, dans les moments découragés, toujours quelqu’un ou quelque chose qui survenait et devant qui faire fière figure et je faisais.
Je faisais toujours.
Je ne fais plus.
Je suis à présent plus petite que la dame à la capuche qu’on a appelé Vénus puisque tout nous ramenait aux antiquités classiques, même les Magdaléniens et les Pyrénéens. Je suis seule, enfermée avec des animaux chassés et leurs chasseurs qui vacillent, les lignes vacillent, l’encre végétale sur la pierre vacille, les siècles, ce qu’est l’Histoire, nos années, celles de Bernadette, vacillent, celles où attendre la fin du monde sous réchauffements climatiques. Avec tout ça je suis enfermée, pas vraiment seule : m’accompagne la mauvaise conscience ou pire encore, la malfaçon dans le travail, les travaux.
Plus, la peur.
La même peur tremble chez les bêtes qui ont été chassées et vont l’être de nouveau sur les murs de la grotte.
Nous tremblons. 
Nous sommes devant le coup de.
C’est peut-être une anesthésie générale qui va m’emporter.
L’anesthésie commence.
Je n’ai plus besoin de faire la fière figure. Je mange l’intérieur de mes joues. Mon visage mesure un ou deux centimètres sur un ou deux. Quand tu vois les grandes bêtes chanceler, tomber sous leur poids de mammouths et bisons et gnous quelque chose comme ça tu le sais tout net la vie ne tient pas ou pas bien ou pas seule ça se brise n’importe où, aux genoux, à la taille, au moral, au miracle qui va jusqu’au bout et ce n’est pas une chance, jusque-là on avait évité, tu vois bien que la grosse bête tombe de tout son haut, le ciel tombe avec elle et sur elle et sur toi, le soleil d’ouest parce que la soirée avance, la vie qu’il faut faire tenir et l’idée toute triste, dressée jusqu’à la fente où le soleil rougit maintenant, l’idée toute triste qui rivalise avec le guerrier du néolithique ou quelque chose comme ça qui a tué le bison et bande vers lui sa flèche et son sexe, encore, une fois mort, l’idée toute triste c’est que quand les choses tombent à genoux, ne tiennent pas la route ou le coup c’est l’amour lui-même qui devient de la vieille nuée, oh cette chouette nuée pleine de nostalgie – si lointaine, comme nuée, rien à voir, rien à voir avec rien, avec moi en tout cas plus grand chose à voir.
Je suis coupée comme une herbe des champs.
Le soleil devient rouge, comme une pointe il descend. J’allonge mes jambes : elles ont assez d’espace dans le fond de la grotte. Je m’attends à finir non pas en beauté car personne, sinon un bison blessé, ne me voit, mais à finir au lieu même où le reste a fini.
Les hommes étaient petits de taille, ça explique. On devait se tenir chaud et humide et pisser dehors, comment allait et venait-on et les femmes partageaient-elles les mêmes espaces de dessins et tracas.
Tout tremble, je parle des murs.
Mon coeur bien sûr mais ce n’est pas tout, je n’ai pas tout de suite le bonheur de comprendre. C’est une aile mais des ailes, celles que j’imagine aux bisons, mammouths, ventricules du coeur qui s’emballe et va tomber dans l’anesthésie générale, j’en ai vu des monstres, des nombres. Des ailes j’en ai vu alors je ne repère pas ce que celle-ci a de particulier. Elle est petite, aussi petite que moi, elle insiste devant mon visage, vent léger, elle appartient à un corps d’oiseau, il a fallu que l’oiseau de son bec cliquetant parle de la vieille voix d’hommes magdaléniens ou pyrénéens, de la voix incompréhensible de quiconque n’a pas rapetissé et n’a pas fini au fond de la caverne, pour que je le reconnaisse, c’est un moineau ce qu’il y a de plus pyrénéen ou magdalénien, un moineau qui parle dans la langue interdite que parlait Bernadette et que je ne comprends pas mais je fais un effort, soleil rouge et vent léger, au fond de la grotte, en face de moi les bêtes vont mourir tombées de tout leur poids, à genoux, elles tremblent de peur, c’est un moineau, il me dit : accroche-toi (il m’appelle poupée, je préviens), accroche-toi poupée, on va décoller.
On décolle.

Des aubes particulières